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Chine : Xi Jinping entre concessions et revers pour s'imposer en 2022

Le président chinois Xi Jinping. (Source : FT)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : FT)
À la veille du 6ème plénum du Comité Central du Parti communiste chinois du lundi 8 au jeudi 11 novembre, l’atmosphère au sein du PCC est des plus tendues. Xi Jinping affronte toujours des résistances notables pour faire accepter sa feuille route après le XXe Congrès à l’automne 2022 : le reconduire pour cinq, voire dix ans de plus à la tête de la Chine, avec une emprise encore plus décisive sur le PCC et le pays.
Quelques jours seulement après l’inculpation de Sun Lijun (孙力军) et la chute du Fu Zhenghua (傅政华), l’ex-ministre de la Justice, le PLA Daily, journal de l’Armée populaire de libération a publié un article intitulé « L’intégrité morale des règles ne peut être brisée ». Le texte fait allusion à l’histoire de la restauration de Nangong (夺门之变) sous la dynastie Ming : l’empereur Yingzhong (明英宗朱祁镇), après avoir été capturé et trahi par des membres de sa famille en 1449, est revenu au pouvoir en 1457. L’usurpateur, l’empereur Jingtai Zhu Qiyu (景泰帝朱祁钰), frère cadet de Yingzhong, décèdera dans l’aile ouest de la Cité interdite plus tard la même année. Voilà bien sûr une grossière simplification de l’histoire. Mais elle fait directement référence à des luttes intestines au sein de la cour impériale, à un coup d’État, suivi du retour du véritable empereur en 1457.
Plus tôt, en septembre, l’une des revues du Parti, Qiushi (Rechercher la vérité) avait publié une analyse historique sur deux rivaux de Mao avant la fondation de la République populaire, Zhang Guotao (张国焘) et Wang Ming (王明), mais aussi le très controversé Lin Biao (林彪), général héros de la guerre civile, puis dauphin de Mao pendant la première partie de la Révolution culturelle, avant de mourir en traître dans un mystérieux accident d’avion le 13 septembre 1971. En d’autres termes, toutes ces publications témoignent d’une discussion ouverte et en cours depuis un moment déjà sur des histoires de dissensions au sein du Parti et de coup d’État au sommet du pouvoir.
*Le Parti ne parle que très rarement de « coups d’État » (政变, zhengbian). Cela dit, on peut retrouver ce mot dans les dossiers qui traitent de Zhou Yongkang et de Bo Xilai, de Xu Caihou et de Zhang Yang, de Sun Zhengcai et maintenant de Sun Lijun.
Difficile de savoir qui des protagonistes actuels du gouvernement central à Pékin représentent l’empereur Yingzhong et l’usurpateur Zhu Qiyu, les personnages principaux du récit de Nangong. Il n’en reste pas moins étrange que des journaux officiels soient autorisés à publier des articles traitant de coup d’État, alors même que la chute de présumés conspirateurs comme Sun Lijun, Fu Zhenghua, Gong Dao’an (龚道安) ou Deng Huilin (邓恢林)*, fait encore les titres de la presse chinoise.
*Xu a été responsable du service de la gestion du service des réservations de livres et de bibliothèque pour Mao Zedong entre 1966 et 1976. **Fait intéressant, Mao avait demandé à Liu Shaoqi et à Deng Xiaoping de lire ces volumes juste avant le début de la Révolution culturelle.
Même le Quotidien du peuple n’a pas échappé à cette tendance. Le 15 octobre, dans sa rubrique « Histoire du Parti », paraissait un article signé Xu Zhongyuan (徐中远)* et intitulé : « Pourquoi Mao Zedong a-t-il recommandé de lire la « biographie de Huang Qiong » et la « biographie de Li Gu » à ses anciens compagnons d’armes ? ». Sans entrer dans les détails, Huang Qiong et Li Gu étaient des fonctionnaires de la dynastie des Han orientaux connus pour leurs talents en matière de joute politique au sein de la cour impériale**. L’article du PLA Daily et de Xu Zhongyuan, tous deux très lourds de symbolique, semblent confirmer que les tensions au sein du Parti entre les forces de « l’Ancien régime », le réseau de pouvoir de l’ex-président Jiang Zemin d’une part, et les « soldats » de Xi Jinping d’autre part, sont de plus en plus intenses. Le numéro un du Parti, malgré tous ses efforts, ne peut toujours pas s’asseoir confortablement sur le « Trône du Dragon » (龙椅), celui de l’empereur de Chine.

L’autre découplage

*Les secteurs clés de l’économie chinoise sont encore monopolisés par de puissantes familles rouges comme celle de Li Peng, de Jiang Zemin, de Zeng Qinghong, de Liu Yunshan et de Wu Guanzheng. Or chaque fois que l’un de ces dirigeants est mis en examen, l’un des membres de l’élite financière suit généralement. Ainsi la chute de Xu Ming (徐明) durant l’affaire Bo Xilai, et de Liu Han (刘汉) pour Zhou Yongkang.
Au milieu de toute l’agitation créée par le vaste remaniement provincial et la chute des « tigres » de la commission politico-légale du Parti (政法虎, zhengfahu), l’économie du pays subit de plus en plus les effets de l’inaction du gouvernement central à stabiliser la situation après à l’effondrement de plusieurs titres chinois cotés en bourse et aux multiples défauts de paiement de compagnies immobilières. En cause également, le « découplage économique » qu’opère Pékin depuis un moment déjà. Il ne s’agit pas là du découplage sino-américain, l’un des objectifs de Xi Jinping, qu’il ne peut réaliser pour des raisons pragmatiques et logistiques. Il s’agit pour le Parti de découpler l’économie domestique de l’ancienne élite financière, composée principalement de « rouges », de « princes » et d’associés de la clique de Jiang Zemin*.
En fait, après avoir bombardé les cliques provinciales et les factions au sein de l’appareil d’État, du secteur du divertissement à celui du transport – notamment DiDi Chuxing -, en passant par la Fintech – en tête, Ant Financial, filiale d’Alibaba -, Xi Jinping a décidé de se tourner vers le secteur bancaire et financier ainsi que ses organes de régulation. Ainsi, les premières pénalités contre DiDi, Alibaba et plusieurs autres dans le cadre de la législation anti-monopole marquent seulement la première étape de cette nouvelle campagne d’investigations.
*Par exemple, CITIC et Evergrande. D’autres institutions comme le groupe Everbright, proche de la famille de Wu Guanzheng, et la Banque Agricole de Chine, font l’objet d’une enquête pour des prêts à Evergrande. **Selon les l’Administration des changes, fin août, les réserves de devises de la Chine s’élevaient à 3 200 milliards de dollars. Le 2 octobre, sa dette extérieure avait atteint un record de 2 680 milliards de dollars. La Chine détient environ 110 milliards de dollars en réserve d’or. Avec le retrait actuel des capitaux étrangers, la réserve de change pourrait bientôt descendre à un niveau critique. ***Ces trois firmes sont soupçonnées d’avoir joué un rôle dans le krach boursier survenu en Chine en 2015.
Annoncée le 26 septembre par Pékin dans plus de 25 institutions, cette campagne vise à évaluer et identifier les liens entre l’appareil politique, les cadres du Parti et le secteur commercial, banquier et financier. Elle doit aussi mesurer le problème des actifs non productifs et des créances irrécouvrables. Elle devra également suivre le flux des capitaux pour voir si trop de prêts affluent vers le secteur immobilier*. Ce nouveau cycle d’investigations portera également sur les réserves de change** et les principales sociétés d’investissement nationales – comme CITIC Securities (中信证券), Haitong Securities (海通证券) et Guosen Securities (国信证券)***.
En dernier ressort, cette enquête approfondie dans le secteur de la finance vise à ramener l’économie chinoise dans un cadre plus dirigiste et plus centralisé. Cependant, cette vaste opération est susceptible de concerner, en plus des mécontents habituels de l’ancien régime, les décisions de l’actuel vice-président Wang Qishan lorsqu’il était gouverneur de la China Construction Bank de 1994 à 1997*. Notamment les prêts offerts au groupe HNA (海航集团) par la banque depuis le début des années 1990. Car il ne faut pas l’oublier, le secteur bancaire, bastion de Wang Qishan, n’avait pas été dans le collimateur de la Commission centrale de discipline lorsqu’il en était le patron. Par conséquent, il est permis de penser que les liens entre Wang et certaines sociétés financières feront l’objet d’un examen minutieux tôt ou tard avant le XXème Congrès du Parti. Cependant, le secteur financier chinois est une boîte de Pandore qu’il ne sera pas aisé d’ouvrir dans l’optique d’une campagne de rectification, même pour atteindre Wang Qishan, l’un des hommes de l’ex-Premier ministre réformateur Zhu Rongji, dont il fut « l’expert financier ».
*Contre les agents perturbateurs qui ont les moyens financiers de nuire, et contre les potentiels effets sociaux de l’ouverture continue du marché domestique. **Cela explique aussi pourquoi Pékin détient encore Xiao Jianhua, fondateur du Tomorrow Group, Ye Jianming (叶简明), PDG du Huaxin Group, mais aussi Chen Feng (陈峰), créateur du groupe HNA. Pékin a besoin d’eux pour démêler certains réseaux financiers et donc pour couper les vivres à certains groupes à l’intérieur du Parti.
Pour Xi Jinping, cette rectification n’est pas seulement un moyen de reprendre le contrôle de l’économie, qui était depuis trop longtemps entre les mains de divers groupes et de leurs « prête-noms » (白手套, bai shoutao). C’est aussi un moyen de la sauver des effets indésirables des réformes pro-marché. En ce sens, Xi veut forcer ces familles rouges à se « découpler » des secteurs clés de l’économie chinoise. Son objectif : que le Parti puisse contrôler les chaînes de capitaux des entreprises privées et assurer la sécurité du régime*. Cela permettrait également à Xi Jinping de faire d’une pierre deux coups en purgeant les personnes qui s’opposent à lui avant le prochain congrès**.
D’une certaine manière, cette répression du secteur privé, au nom de la stabilité mais aussi de la « prospérité commune », ressemble fortement à l’ancienne formule : « mettre l’accent sur l’agriculture et restreindre les affaires [du secteur privé] » (重农抑商). Cette politique fut d’abord formulée durant la période antique des Royaumes combattants (476 av. J.-C. – 221 av. J.-C.). Mais elle devint célèbre lorsque l’empereur Wu (156 av. J.-C. – 87 av. J.-C.) de la dynastie Han la mit en œuvre : les eunuques impériaux restreignirent à coup d’édits juridiques le développement des entreprises privées. Ces dernières étaient alors perçues comme une menace pour la hiérarchie politique et sociale, mettant en péril la sécurité de l’État au nom du profit. Ce faisant, l’empereur n’était pas tant intéressé à favoriser le secteur agricole qu’à empêcher la montée en puissance d’une classe dangereuse pour son pouvoir. C’est le même esprit qui se cache derrière la « prospérité commune » : non pas la redistribution, mais plutôt le contrôle de l’économie.

« Changement ordonné »

Durant la réunion de l’Assemblée nationale populaire du 14 octobre, Xi Jinping a parlé de « démocratie intra-Parti » et de « changement ordonné » (有序更替, youxu genti). Les étrangers, a-t-il ensuite déclaré, ne devraient pas jouer aux arbitres lorsque vient le temps de juger dans quelle mesure un pays est ou n’est pas démocratique. Selon Xi, cette évaluation doit se fonder sur la capacité dudit pays à procéder à l’alternance au sein de l’élite et de la direction du pays, et cela, en conformité avec la loi. Dans la mesure où la Chine a amendé la Constitution en 2018, les lois que Xi Jinping demande de suivre le mènent directement à sa « réélection ».
En général, les 6e plénums sont les dernières rencontres durant lesquelles le Comité Central finalise les listes pour le prochain Congrès du Parti, dont celle du Politburo et de son Comité permanent, avant le vote symbolique qui devrait avoir lieu aux environs d’octobre 2022. Avec la vague de promotions en province entre le 19 et le 22 octobre, il est permis de penser que lesdites listes doivent être pratiquement terminées.
*Avec en plus la chance de critiquer la période 1981-2021, soit la période de Deng et l’héritage des réformes. Cela dit, cette troisième résolution servirait davantage à Xi pour s’affirmer en leader suprême que pour critiquer les périodes précédentes.
Pour l’heure, il existe cependant encore au moins deux zones d’ombre quant aux enjeux du 6e plénum. Primo, la question de la « troisième résolution historique » (第三份历史决议) et secundo, le troisième mandat pour Xi Jinping. Pour la première, des discussions sont déjà en cours à l’intérieur du Comité Central sur la possibilité pour Xi de faire passer une « résolution historique ». Le Gouvernement central a d’ailleurs publié un article à ce sujet le 18 octobre. Cette notion de « troisième résolution historique » peut se comparer à une « IIIe république » dans le contexte français. Autrement dit, cette « résolution historique » permettrait à Xi de devenir le troisième dirigeant suprême après Mao et Deng, ainsi que le représentant de la prochaine « étape historique du développement de la nation chinoise »*. En ce sens, si le président chinois réussit à faire passer une telle résolution, la donne, en matière de gouvernance, en serait radicalement affectée. Un leader suprême, potentiellement « président du Parti » (中国共产党中央委员会主席), n’aurait pas à négocier avec les autres forces en présence et pourrait contrôler les promotions et les révocations beaucoup plus facilement.
D’un autre côté, pousser pour une « résolution historique » implique également que Xi en est encore à essayer de consolider son pouvoir. Une telle « campagne » ne serait pas nécessaire s’il se préparait à quitter son ou ses postes. Par conséquent, le but de cette résolution est simplement de confirmer la continuité du leadership de Xi tout en limitant les objections possibles à sa réélection en 2022.
*Depuis 1996, les 6e plénums se sont tenus en octobre, sauf en 2001, en septembre, mais jamais en novembre. Ce retard soudain de presque un mois nous laisse penser que les négociations pour 2022 ne sont pas encore terminées.
De toute façon, Xi Jinping s’est déjà mis en tête de rester en poste cinq voire dix ans supplémentaires, peu importe la manière. C’est lors de ce plénum que les membres du Comité Central devraient le savoir et voter sur une résolution à présenter l’an prochain. Cependant, étant donné que le plénum de cette année a déjà été retardé*, il est possible que les mécontents et les représentants de « l’Ancien régime » aient besoin de plus de temps pour « réfléchir » à cette proposition. Par conséquent, si la pilule est trop grosse à avaler, ou si le président chinois n’est pas capable de mobiliser suffisamment de soutiens, ces résolutions devront attendre le 7e plénum qui devrait se tenir quelques jours avant le XXe Congrès.

Concessions et revers

Xi Jinping peut-il se permettre d’attendre encore longtemps pour finaliser la consolidation de son pouvoir ? Le numéro un chinois semble en effet très désireux de mettre les luttes intestines derrière lui afin de pouvoir avancer et – enfin – espérer marquer la Chine populaire de son empreinte comme Mao et Deng. Cela dit, pour demeurer en poste et faire passer la « troisième résolution historique », il devra probablement faire des concessions. Il est d’ailleurs possible qu’il en ait fait certaines pour acheter la paix le temps d’un plénum. Pour l’instant, il semblerait en avoir consenti trois.
La première concession, qui est également un revers important, est liée à la réforme de la taxe foncière. Depuis 2016, Xi Jinping soutient qu’une résidence ne devrait pas être un objet de spéculation. Le 15 octobre dernier, il a publié dans la revue du Parti, Qiushi (Rechercher la vérité) un article intitulé « Promouvoir fortement la prospérité commune ». Il est important, écrit-il, d’améliorer la structure de l’impôt des particuliers – dans le sens de prélever plus – et de mener à bien une réforme de la taxe foncière.
*Malgré le fait que cette réforme n’est pas prête de passer, il semble que Han ait informé le groupe immobilier Shimao (世茂集团) du contenu de la future taxe foncière. Récemment, la société a vendu 93 propriétés d’un seul coup, encaissant ainsi 450 millions de yuans. Des propriétés toutes situées dans le district très prisé de Lujiazui à Shanghai. Le fondateur de Shimao, Xu Rongmao (许荣茂), est un proche de Jiang Zemin et de la bande de Shanghai. Ce qui explique comment une compagnie comme Shimao a pu acheter ces propriétés.
Cependant, le responsable désigné de ce projet de réforme n’est autre que Han Zheng, le vice-premier ministre en charge de l’économie. Or Han a clairement fait savoir à Xi qu’il ne devrait pas persévérer dans ce projet. Cette idée d’une réforme de la taxe foncière s’est avérée également extrêmement impopulaire au sein du Parti. Et pour cause, de nombreux cadres du PCC en feraient les frais*. Certains membres du Comité Central ont déjà déposé un recours contre cette réforme faisant ainsi de ce projet un enjeu majeur pour la stabilité interne du Parti et aussi pour le secteur immobilier dans son entier. Ainsi, la question est loin d’être réglée et Xi doit mettre au clair la mise en place de cette réforme, notamment préciser les propriétés qui en seront exemptées. Face à une telle opposition, il est probable que ce projet soit remis à plus tard pour éviter de compromettre sa réélection.
La deuxième concession de Xi fut de laisser Jack Ma sortir de Chine. Le fondateur d’Alibaba faisait pâle figure depuis novembre 2020. Le 20 octobre dernier, il a été vu en Espagne « profitant de la vie » comme si de rien n’était. Cela, bien sûr, a fait grimper les actions d’Alibaba. La venue de Jack Ma en Europe a donc eu l’effet escompté : rassurer les investisseurs étrangers. N’oublions pas cependant que tout était clairement organisé par Pékin et que l’idée était de mettre Jack Ma « à l’affiche ». Il est également probable que ce soit Han Zheng qui ait personnellement demandé à Xi d’autoriser l’homme d’affaires à se rendre à l’étranger afin de calmer les spéculations qui pèsent sur le marché chinois.
La troisième concession est cruciale pour que tout se passe bien en 2022 : Xi Jinping devra probablement inclure Jiang Zemin et Hu Jintao dans la « troisième résolution historique ». Pour atténuer l’opposition au sein du Parti, il pourrait avoir à diluer son propre statut en partageant la vedette avec les deux précédents présidents chinois pour asseoir sa propre légitimité historique. Ce qui, bien entendu, l’empêcherait d’être sur un pied d’égalité avec Mao et Deng, et porterait atteinte à la stature qu’il tente de se donner.
Enfin, Xi Jinping a subi un revers important lors de la 31ème réunion du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire (ANP) le 23 octobre. En cause, l’absence de changement de personnel au sein du Conseil d’État. Ne l’oublions pas, les pouvoirs de nomination et de révocation de l’Assemblée ont été considérablement étendus lors de la double session parlementaire en mars dernier. Et avec ces nouveaux pouvoirs, l’Assemblée peut, par exemple, nommer ou révoquer des conseillers d’État et même des vice-premiers ministres. Pourtant, rien ne s’est passé. Le président du comité permanent de l’Assemblée, Li Zhanshu (栗战书), doit affronter, lui aussi, de nombreuses résistances : pas moins de 9 des 14 vice-présidents de l’ANP sont associés à la clique de Jiang Zemin ou de Hu Jintao. Résultat, Li n’a pas été en mesure de remanier le personnel politique, surtout au sein du Conseil d’État.
*坚决反对, 抵制和防止西方所谓 “宪政”, 多党竞选, 三权鼎立, 两院制, 司法独立的侵蚀影响.
Ce blocage a conduit Li Zhanshu à déclarer que le Parti devrait « s’opposer, résister et empêcher l’influence occidentale corrosive du soi-disant « constitutionnalisme », des élections multipartites, de la séparation des pouvoirs, du système bicaméral et de l’indépendance judiciaire »*. Li a réaffirmé la nécessité de protéger le leadership unifié du Parti et de préserver l’autorité du Comité Central. Il a certainement voulu exprimer ainsi sa contrariété face aux dissensions internes. Il n’a pas aimé que l’ANP joue son rôle en quelque sorte et ne se contente pas d’apposer son tampon à des décisions prises ailleurs.

Dans l’antichambre de la fin de l’ère Deng Xiaoping

Nous devons maintenant attendre de voir ce que les documents du 6e plénum auront à dire au sujet de la « résolution historique », sur la reconduction du mandat de Xi et si ce dernier a fait entre-temps d’autres concessions pour consolider sa position.
Xi Jinping joue à présent cartes sur table. Des objectifs réels de la « prospérité commune » au démantèlement des espaces de rente par le biais de multiples campagnes d’enquête et de rectification, comment sera-t-il en mesure de convaincre les autres hauts responsables du Parti qu’ils n’en seront pas affectés, ni eux ni leurs familles ? Les membres du Parti devront désormais répondre de leurs liens avec le secteur privé en plus de ceux des membres de leurs familles. Il devient donc de plus en plus difficile de « bénéficier » du Parti en tant que cadre local. Sans certains avantages financiers, les nouveaux cadres seront dès lors peu incités à soutenir le programme de Xi. Cela ne veut pas dire que tous les cadres sont corrompus. Mais compte tenu de leurs bas salaires, comment pourront-ils vivre dans des villes comme Pékin et Shanghai ? Sans parler des plus petites villes dans lesquelles les budgets locaux ne couvrent même pas l’entièreté des salaires du personnel. Loin de faire l’apologie de la corruption, le problème est ici beaucoup plus profond et demande une réforme complète des échelles salariales dans la fonction publique en Chine.
À ce stade, compte tenu d’une telle disparition progressive des espaces de rentes traditionnels, il est légitime de se demander ce que Xi Jinping peut offrir à ses alliés pour consolider sa position après 2022. Car pour la plupart des cadres, le pouvoir comme fin en soi ne suffit pas. Revenir à la mission d’origine du Parti comme marqueur symbolique galvanisera-t-il le Comité Central lors du 6e ou du 7e plénum ? Il est permis d’en douter. Par conséquent, il est grand temps pour Xi de prendre le pouls du Comité Central et de ses alliés, et de choisir avec soin ses prochaines batailles. Autrement, il devra affronter encore plus de résistances de la part de ses subordonnés après le XXe Congrès.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.