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Le G7 souffle le chaud et le froid sur la Chine avec la Russie comme priorité

Le président américain Joe Biden pose aux côtés du Premier ministre japonais Fumio Kishida, du président ukrainien Volodymyr Zelensky, du président français Emmanuel Macron et du Premier ministre canadien Justin Trudeau, lors du sommet du G7 à Hiroshima, le 21 mai 2023. (Source : Korea Times)
Le président américain Joe Biden pose aux côtés du Premier ministre japonais Fumio Kishida, du président ukrainien Volodymyr Zelensky, du président français Emmanuel Macron et du Premier ministre canadien Justin Trudeau, lors du sommet du G7 à Hiroshima, le 21 mai 2023. (Source : Korea Times)
Lors de leur sommet achevé dimanche 21 mai dans la ville martyre d’Hiroshima, les dirigeants du Groupe des 7 pays réputés les plus industrialisés en 1975, ont soufflé le chaud et le froid sur la Chine. Pékin a été une fois de plus invité à user de son influence pour convaincre Moscou de mettre fin à une guerre barbare qui s’éternise en Ukraine.
Dans leur communiqué commun, les chefs d’État et de gouvernement du G7 (États-Unis, Allemagne, Japon, Canada, Royaume Uni, France et Italie) n’ont certes pas ménagé leurs critiques sur la Chine. « Profonde inquiétude » à l’égard de la militarisation chinoise de la mer de Chine du Sud, « opposition ferme contre toute tentative de changer de façon unilatérale le statu quo par la force et la coercition » dans le détroit de Taïwan, appel à la Chine pour qu’elle recherche « une solution pacifique » aux tensions extrêmes autour de l’île. Les Sept ont en même temps souligné leur attachement à « la construction de relations constructives et stables » avec Pékin. Une nuance qui témoigne des discussions animées en raison des différences d’approche à l’égard du géant chinois entre les sept pays de ce groupe informel, dont la puissance économique diminue peu à peu face à celle croissante des pays asiatiques.
Mais aussi et peut-être surtout, les dirigeants du G7 ont appelé Pékin à « faire pression sur la Russie pour qu’elle cesse son agression militaire » contre l’Ukraine, et qu’elle « retire immédiatement, totalement et sans condition ses troupes d’Ukraine. » À la Chine qui reste un allié proche de Moscou et qui n’a jamais condamné l’invasion russe, ils ont lancé : « Nous encourageons la Chine à soutenir une paix globale, juste et durable sur la base de l’intégrité territoriale, […] y compris à travers son dialogue direct avec l’Ukraine. » Le président chinois s’est récemment entretenu au téléphone avec son homologue ukrainien. « Il est nécessaire de coopérer avec la Chine, étant donné son rôle dans la communauté internationale et la taille de son économie, sur les défis mondiaux ainsi que dans les domaines d’intérêt commun », ont ajouté les dirigeants du G7 sur un ton plus conciliant.
« Cette déclaration représente la critique la plus forte de Pékin jamais formulée par un G7 », estimait dimanche le Financial Times. L’exercice était en effet compliqué car il fallait se mettre d’accord sur un texte commun entre les États-Unis et les autres puissances démocratiques membres du G7 dont les divergences sont manifestes, tant sur la Chine que sur la rivalité sino-américaine, le changement climatique et même pour certains la guerre en Ukraine.
Volodymyr Zelensky a, quant à lui, réussi un beau coup médiatique en débarquant à Hiroshima samedi au terme d’un voyage soigneusement tenu secret jusqu’au dernier moment. La présence du président ukrainien au G7 est venue remettre les pendules à l’heure en démontrant que la véritable urgence à Hiroshima, ville où une bombe atomique américaine a tué quelque 70 000 Japonais en quelques jours avant la reddition du Japon en 1945, n’était pas la Chine mais le conflit en Ukraine. « Ces rencontres importantes avec les partenaires et les amis de l’Ukraine [illustrent] la nécessité d’une coopération plus étroite sur la sécurité pour notre victoire. La paix va se rapprocher aujourd’hui », avait tweeté Zelenski juste avant son arrivée. Le chef de l’Etat ukrainien a profité de son séjour à Hiroshima pour rencontrer le Premier ministre Narendra Modi dont le pays n’a jamais pris clairement position dans le conflit. Le chef du gouvernement indien lui a promis que son pays s’efforcerait d’œuvrer pour le retour de la paix en Ukraine.

Dégel prochain ?

Peu avant son départ pour Washington, Joe Biden a voulu souligné l’unité du G7 à l’issue de ce sommet. En particulier pour « résister à la coercition économique ensemble et s’opposer à des pratiques dommageables qui portent tort à nos travailleurs, a précisé le président américain, dans une allusion transparente à la Chine. Nous ne cherchons pas un découplage avec la Chine. Ce que nous recherchons est de dé-risquer et diversifier notre relation avec la Chine. » Joe Biden a toutefois indiqué qu’il s’attendait à un dégel « très prochainement » avec la Chine. « Nous devons installer une ligne rouge », a-t-il posé, rappelant qu’il s’était mis d’accord avec son homologue chinois Xi Jinping pour maintenir ouvert un mécanisme de communication, lorsque les deux hommes s’étaient rencontrés à Bali lors du sommet du G20 à l’automne dernier.
Mais Joe Biden n’a pas manqué d’évoquer ce qui a empêché un dégel plus tôt. Tout a changé « avec ce ballon idiot qui transportait l’équivalent de deux camions d’équipements d’espionnage », en référence au ballon-espion chinois abattu par la chasse américaine après avoir été identifié en train de survoler des sites militaires américains ultra-sensibles. Le locataire de la Maison Blanche avait déjà laissé entendre la tenue d’une rencontre prochaine avec Xi Jinping juste avant de se rendre à Hiroshima. Le président américain a encore indiqué qu’il s’était dégagé à Hiroshima un accord entre la plupart des alliés sur le fait que tout acte unilatéral de la Chine envers Taïwan serait suivi d’une réponse occidentale. « Nous n’allons par dire à la Chine ce qu’elle peut faire. Mais entre-temps, nous allons faire en sorte que Taïwan soit en mesure de se défendre. » Samedi 20 mai, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a promis que l’ancienne Formose s’efforcerait de maintenir le statu quo et la stabilité dans le détroit de Taïwan.
Peu après ces déclarations de Joe Biden, le ministère russe de la Défense a accusé le G7 d’être devenu « un incubateur » placé sous la tutelle des dirigeants anglo-saxons dont l’objectif est de « prendre des initiatives destructrices qui sabotent la stabilité globale ». Dans leur communiqué commun, les sept pays membres encouragent une « hystérie » antirusse et antichinoise, selon le ministère. La Chine n’est pas non plus restée muette. Le 20 mai, la presse officielle de Pékin a accusé le G7 de « calomnier la Chine », enjoignant les membres de ce forum à ne pas devenir « des complices [des États-Unis] dans la coercition économique » et à se garder « de s’engager ensemble à créer des blocs exclusifs » dont l’objectif est de « matraquer et endiguer les autres pays ».
Joe Biden a en outre annoncé la tenue prochaine à Washington d’un sommet avec le Premier ministre japonais Fumio Kishida et le président sud-coréen Yoon Suk Yeol. Les deux dirigeants asiatiques se sont quant à eux recueillis ensemble le 21 mai devant le monument à la mémoire des victimes coréennes de la bombe atomique américaine larguée sur Hiroshima en 1945. Le chef de l’État sud-coréen a salué les propos du chef du gouvernement nippon sur les exactions commises dans la péninsule coréenne par l’armée japonaise pendant la colonisation dans les années 1930 et 40, ainsi que pendant la Seconde Guerre mondiale. « On se souviendra de cette action courageuse du Premier ministre Kishida, qui ouvre la voie à un avenir pacifique », a souligné Yoon Seok-yeoul. Fumio Kishida avait affirmé la semaine dernière que son « cœur saignait » avec le souvenir de ces exactions.

« Sujet de propagande inespéré pour la Chine »

Quelques jours avant le G7, la réputation de Washington avait été quelque peu ébranlée face au défi chinois. Joe Biden, dont l’oncle est mort en Papouasie-Nouvelle-Guinée au cours de la Seconde Guerre mondiale, devait initialement devenir ce lundi 22 mai le premier président américain à se rendre dans ce pays du Pacifique-Sud. Mais le président américain a dû annuler sa venue. À Port Moresby, il devait participer à un sommet historique entre les États-Unis et 14 nations insulaires du Pacifique. C’est que Joe Biden doit impérativement trouver un accord avec les élus républicains au Congrès sur l’injection de milliards de dollars dans les circuits financiers financier américain avant le 1er juin afin d’éviter une situation catastrophique de défaut de paiement de la dette américaine.
Beaucoup de critiques avaient fusé aux États-Unis sur le retour précipité à la Maison Blanche du président américain. Dès le 17 mai, le Washington Post avait estimé que ces étapes annulées représentent « une erreur [qui témoigne d’une politique] à courte vue qui sera sûrement exploitée par Pékin ». La décision de Joe Biden de ne pas se rendre en Papouasie-Nouvelle-Guinée mais aussi en Australie « va probablement devenir un sujet de propagande inespéré pour la Chine », titrait l’hebdomadaire Newsweek. « La Chine proclame depuis longtemps que la gouvernance démocratique ne marche pas, explique Craig Singleton, un expert de la Foundation for Defense of Democracies cité par le magazine américain. La Chine va de façon quasi certaine trouver dans cette annulation et la crise sur la dette américaine un outil parfait pour saboter la réputation des États-Unis en tant qu’acteur global responsable. »
Le 17 mai également, le quotidien anglophone chinois Global Times, une filiale du Quotidien du Peuple lui-même l‘organe du Parti communiste chinois, s’était déjà emparé du sujet. Selon lui, la décision de Joe Biden « entame la crédibilité des États-Unis ». « Lorsque ses questions intérieures prennent le dessus sur son agenda politique, ceci se retourne facilement contre ses engagements » internationaux, ajoute le journal de Pékin.
Pour démontrer l’importance malgré tout de l’enjeu du Pacifique aux yeux des États-Unis, Joe Biden a dépêché son secrétaire d’État Antony Blinken pour le remplacer en Papouasie-Nouvelle-Guinée, État d’une importance stratégique dans le Pacifique, où les États-Unis cherchent à contrer l’influence de la Chine. Résultat : ce lundi 22 mai, le gouvernement papouasien a signé un pacte de sécurité avec Washington, qui donne aux forces américaines l’accès aux ports et aéroports du pays. Ce pacte donnera donc aux États-Unis un accès aux eaux de Papouasie-Nouvelle-Guinée près des routes maritimes vers l’Australie et le Japon, en échange d’un accès aux satellites de surveillance américains. Les deux pays pourront monter à bord des navires l’un de l’autre, partager leur expertise et « mieux patrouiller » ensemble en mer, selon les mots d’Antony Blinken. En plus de cet accord, les Etats-Unis ont promis un financement de 45 millions de dollars pour lutter contre le crime organisé, le changement climatique et le virus du sida, ainsi que des équipements de protection pour son armée, selon le département d’État américain.
Le Premier ministre papousien James Marape a toutefois précisé que cet accord ne l’empêcherait pas de conclure des alliances similaires avec d’autres pays, y compris la Chine. De son côté, Pékin, par le biais de la porte-parole de son ministère des Affaires étrangères Mao Ning, a réagi en indiquant ce 22 mai que Pékin ne s’opposerait pas à des « échanges normaux » entre les nations, mais qu’il fallait se méfier de l’utilisation de la coopération « comme prétexte pour s’engager dans des jeux géopolitiques » dans le Pacifique.

« Contre-sommet » à Xi’an

Au moment où le G7 entamait ses travaux à Hiroshima, le président chinois organisait de son côté le 18 mai à Xi’an une sorte de contre-sommet sous la forme d’un premier forum « Chine-Asie centrale », avec cinq anciennes républiques soviétiques traditionnellement plus proches de Moscou que de Pékin. Xi Jinping était tout sourire en prenant la parole devant les présidents du Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan et de l’Ouzbékistan. Il a salué l’entrée dans une « nouvelle ère » des relations entre la Chine et ces cinq États centrasiatiques auxquels a promis l’aide chinoise pour leur développement économique. C’était la toute première édition de ce sommet depuis l’établissement des relations diplomatiques en 1992 depuis la chute de l’URSS.
Choix symbolique : cette réunion qualifiée « d’extrêmement importante » par Pékin s’est tenue dans l’ancienne capitale impériale, extrémité orientale de l’historique « Route de la soie » qui reliait l’Europe et la Chine via l’Asie centrale. Xi Jinping avait mis les petits plats dans les grands en accueillant les cinq présidents dans la soirée de mercredi devant un grandiose bâtiment chinois de style ancien éclairé par des lampions rouges. Des dizaines de danseurs ont ensuite interprété un coloré spectacle musical inspiré de la dynastie Tang (618-907), autre symbole car les liens Chine-Asie centrale étaient particulièrement forts à cette époque.
Le 19 mai, le numéro un chinois a précisé son propos en invitant ses interlocuteurs à « exploiter pleinement les possibilités de coopération traditionnelle en matière d’économie, de commerce, de capacité industrielle, d’énergie et de transport ». Il a également souligné la nécessité de développer « de nouveaux moteurs de croissance […] tels que la finance, l’agriculture, la réduction de la pauvreté, la baisse des émissions de carbone, la santé et l’innovation numérique ».
La région et la Chine, a insisté Xi Jinping, doivent « prendre la tête » de ce projet et « approfondir la confiance mutuelle stratégique » afin de « maintenir une amitié éternelle ». Il a également souligné la nécessité d’élargir la coopération en matière de sécurité pour lutter contre ce que Pékin appelle les « trois maux » de la région : le séparatisme, le terrorisme et l’extrémisme. « Les six pays doivent s’opposer résolument aux ingérences extérieures dans les affaires intérieures des pays de la région et aux tentatives d’instigation de révolutions de couleur », a ajouté le président chinois.

Esprit de conquête

L’Asie centrale occupe une place majeure dans le projet chinois « Nouvelles routes de la soie », officiellement rebaptisé « Initiative de la Ceinture et de la Route » (Belt and Road initiative, BRI). Incarné par Xi Jinping qui l’a lancé fin 2013, ce programme pharaonique entend notamment développer, grâce à des prêts chinois, des routes, ports, chemins de fer et infrastructures à l’étranger. Le géant asiatique a déjà investi des milliards d’euros pour exploiter des réserves de gaz naturel en Asie centrale et construire des liaisons ferroviaires reliant la Chine à l’Europe via la région. Le sommet de Xi’an était l’occasion de faire avancer certains projets, comme la ligne ferroviaire Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan ou encore l’extension de l’oléoduc entre l’Asie centrale et la Chine.
Cependant, l’aspect le plus important de ce sommet était en réalité ailleurs : étendre l’influence de la Chine dans cette région stratégique et marquer ainsi de nouveaux points diplomatiques dans la rivalité qui ne cesse de s’aiguiser avec les États-Unis. Xi Jinping a appelé à l’avènement d’une « fraternité en Asie centrale » face aux tentatives visant à la division dans une situation internationale troublée. « Le monde a besoin d’une Asie centrale harmonieuse. La fraternité est plus importante que toutes les richesses », a-t-il souligné, sans jamais citer les États-Unis où l’Occident mais en laissant clairement entendre que la Chine entendait exercer un rôle moteur dans la région. « Les conflits ethniques, les luttes religieuses et les divisions culturelle ne sont pas ce dont a besoin l’Asie centrale. L’unité, la tolérance et l’harmonie sont ce que le peuple d’Asie centrale recherche. Personne n’a le droit de susciter la discorde et la confrontation en Asie centrale, sans parler de rechercher un intérêt politique personnel. »
Le sommet du G7 et le « contre-sommet » de Xi’an sont une parfaite illustration de la concurrence acharnée que se livrent les États-Unis et la Chine sur la scène mondiale. Le mois dernier, Pékin avait marqué des points au Moyen-Orient en parvenant à restaurer le dialogue entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Ce succès diplomatique avait témoigné de la perte d’influence concomitante des Etats-Unis dans cette région, comme vient le confirmer d’ailleurs le retour en grâce au sein de la Ligue arabe du président syrien Bachar el-Assad. Son régime brutal est depuis des années la cible de sanctions américaines et occidentales avec lesquelles le Moyen-Orient (Israël excepté) prend désormais clairement ses distances.
Mais, fait nouveau côté américain, le président Joe Biden a cette fois-ci déclaré publiquement à Hiroshima que les États-Unis n’imposaient pas à leurs partenaires de choisir entre Pékin et Washington. Ce ton nouveau semble dénoter un pragmatisme politique dans l’administration américaine qui tranche singulièrement avec l’esprit de conquête du régime chinois, aiguisé
ces dernières années sous la houlette du président Xi Jinping. Le but recherché des États-Unis est à l’évidence de mettre l’accent sur cette dichotomie essentielle entre régime autoritaire et système démocratique.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).