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La Chine prise pour cible par l’OTAN et critiquée par le G7

Le président américain Joe Biden lors d'une conférence de presse le dernier jour du sommet de l'OTAN à Madrid, le 30 juin 2022. (Source : NPR)
Le président américain Joe Biden lors d'une conférence de presse le dernier jour du sommet de l'OTAN à Madrid, le 30 juin 2022. (Source : NPR)
Pour la première fois dans son histoire, l’OTAN a pris pour cible la Chine. Lors du sommet de Madrid de ce mardi 28 à ce jeudi 30 juin, l’Alliance atlantique a présenté le pays de Xi Jinping comme un « défi » pour sa « sécurité future ». Quelques jours plutôt à Elmau en Allemagne, les dirigeants du G7 avaient sévèrement critiqué les autorités chinoises, employant une terminologie nettement plus musclée qu’à l’ordinaire.
Il y a d’abord cette image, inédite : celle de quatre dirigeants de la zone Asie-Pacifique (Japon, Corée du sud, Australie, Nouvelle-Zélande), tous nouveaux venus à la table de l’Alliance atlantique. Et puis il y a le choix des mots. Réunie en sommet à Madrid, l’Otan a jugé ce mercredi 29 juin que Pékin représentait un « défi » pour les « intérêts » et la « sécurité » des pays de l’Alliance, dans sa nouvelle feuille de route. « Les ambitions déclarées de la Chine et ses politiques coercitives défient nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs », souligne l’Otan dans un document baptisé « Concept stratégique », qui n’avait pas été révisé depuis 2010.
C’est la première fois que ce document évoque la Chine qui ne relevait traditionnellement pas de la mission de l’Alliance atlantique. L’Otan dénonce en particulier « le partenariat stratégique approfondi » entre Pékin et Moscou et « leurs tentatives mutuelles de miner l’ordre international basé sur des règles ».
« La Chine développe substantiellement ses forces militaires, y compris des armes nucléaires, a précisé Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Otan, lors d’une prise de parole. Elle veut intimider ses voisins et menace Taïwan. Elle contrôle ses propres citoyens à l’aide de technologies de pointe et relaie les mensonges russes et la désinformation. La Chine n’est pas notre adversaire, mais nous devons être lucides sur les défis sérieux qu’elle représente. »
Tout est dans les mots. Pékin ne « menace » pas les valeurs, les intérêts et la sécurité des pays de l’Alliance atlantique, mais elle les « défie », selon l’organisation. Façon de notifier, pour les États-Unis par exemple, qu’il ne faut pas perdre de vue ce pays-là comme étant une grande priorité stratégique, même si la guerre en Ukraine contraint Washington à se réengager en Europe. D’ailleurs, pour le président américain Joe Biden, ces deux combats vont de pair, Pékin s’affirmant comme un partenaire de Moscou. Mais la priorité du moment doit rester l’espace euro-atlantique, rappellent certains alliés, dont la France, tout en sachant que deux grandes opérations menées par l’Alliance hors d’Europe en Afghanistan et en Libye se sont soldées par des échecs.
La réponse de Pékin ne s’est pas faite attendre : ce jeudi 30 juin, la Chine a fustigé les efforts tous vains de l’Otan pour la « salir ». « Ce prétendu document de « concept stratégique » de l’Otan fait peu de cas de la réalité et présente les faits à l’envers, a voulu dénoncer Zhao Lijian, l’un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Elle s’obstine, à tort, à présenter la Chine comme un défi systémique et à salir la politique étrangère chinoise. L’Otan prétend être une organisation régionale et de nature défensive. Dans les faits, elle ne cesse de s’étendre au-delà de son champ régional et de ses compétences, de déclencher des guerres et de tuer des civils innocents. […] Les mains de l’Otan sont couvertes du sang des peuples du monde », a encore souligné Zhao Lijian, en référence aux interventions de l’Alliance en Afghanistan, en Libye ou encore au bombardement de l’ambassade de Chine en Serbie en 1999. Ce dernier événement, qui avait provoqué la mort de trois journalistes chinois, a durablement entaché la réputation de l’Otan dans le pays asiatique.

Fureur de Pékin

Critiquer la Chine n’est certainement pas une nouveauté pour les pays du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni). Mais lors de leur dernier sommet en Allemagne du 26 au 28 juin, les dirigeants des pays industrialisés ont nettement musclé leur rhétorique. Ils ont dénoncé des « interventions non transparentes et faussant le marché de la part de la Chine ».
« En ce qui concerne le rôle de la Chine dans l’économie mondiale, souligne le communiqué final du G7, nous continuons à nous consulter sur des approches collectives, également au-delà du G7, pour relever les défis posés par les politiques et pratiques non marchandes qui faussent l’économie mondiale. » Dans ce document, les dirigeants du G7 condamnent les pratiques économiques déloyales de la Chine et s’engagent à travailler ensemble pour « élaborer une approche coordonnée afin de garantir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises et les travailleurs ».
« Les dirigeants évoqueront également le rôle de la Chine dans le piège de la dette des pays à revenu faible ou intermédiaire », a précisé un haut responsable de la Maison Blanche, assurant qu’il s’agit d’une « première pour le G7 ». Enfin, le club des sept pays industrialisés va s’engager, poursuit ce haut responsable américain, à « accélérer les progrès dans la lutte contre le travail forcé, avec pour objectif […] d’éliminer toutes les formes de travail forcé des chaînes d’approvisionnement mondiales, y compris le travail forcé soutenu par l’État, comme au Xinjiang », province chinoise où les minorités musulmanes, en particulier les Ouïghours, sont soumises à une répression implacable du régime chinois. « À l’heure où la Russie mène une guerre injustifiable et illégale contre l’Ukraine, qui ne fait suite à aucune provocation, nous demandons à la Chine de faire pression sur la Russie pour […] qu’elle mette fin à son agression militaire et retire ses troupes d’Ukraine immédiatement et sans condition », souligne encore le texte de ce communiqué.
Fureur immédiate de Pékin. « Sans précédent ! Le communiqué du G7 mentionne 14 fois la Chine », s’indigne ainsi le site nationaliste chinois Guangzhe Wang. Ce média en ligne estime que les membres du G7 prennent la Chine et la Russie pour cibles, et accuse les États-Unis d’avoir « obtenu ce qu’ils voulaient ». Les contradictions du G7 sont omniprésentes dans le communiqué, ajoute Guangzhe Wang qui estime « paradoxal » que ces pays critiquent de « prétendues pratiques économiques » et le « travail forcé » à l’œuvre au Tibet et au Xinjiang tout en exhortant la Chine à convaincre la Russie de mettre fin à la guerre en Ukraine, accusations relevant de « la calomnie ».
Le site nationaliste chinois énumère les domaines dans lesquels les pays du G7 estiment que la coopération avec la Chine est nécessaire : le changement climatique, la perte de la biodiversité dans le monde, la sécurité intérieure, et plus particulièrement la guerre en Ukraine. À la fin de son article, la journaliste avance que les pays européens membres du G7 sont en réalité opposés à l’idée de se joindre aux États-Unis dans une « lutte commune contre la Chine ». Selon elle, le Premier ministre des Pays Bas, Mark Rutte, est contre l’idée « d’isoler la Chine » quand son homologue belge Alexander De Croo juge que les pays de l’UE ne devraient pas traiter la Chine comme la Russie.

Partenariat mondial pour les infrastructures

Mais les travaux du G7 ne se sont pas arrêtés là. Les dirigeants de ces pays ont également adopté un projet visant à contrecarrer les immenses chantiers financés par la Chine dans les pays en développement. À l’initiative des États-Unis, le G7 a mis sur les rails, le 26 juin dernier, un vaste programme d’investissements à destination de ces pays en développement. « Avec les partenaires du G7, nous visons à mobiliser 600 milliards de dollars [un peu moins de 570 milliards d’euros] d’ici à 2027 pour des investissements mondiaux dans les infrastructures », a déclaré la Maison Blanche peu avant un discours de Joe Biden dévoilant cette proposition lors du sommet d’Elmau. Le président des États-Unis a assuré que ce programme était fondé sur des « valeurs partagées » telles que la « transparence », le respect des droits des travailleurs, de l’environnement, de l’égalité des genres. « Nous proposons de meilleures options », a-t-il commenté.
Ni le président américain ni les autres dirigeants n’ont prononcé le nom de la Chine, mais ils y ont fait des allusions évidentes. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a ainsi estimé que les pays partenaires des Occidentaux « [avaient] le choix », soit celui d’aller vers les démocraties plutôt que vers Pékin, pour développer leurs réseaux électriques ou leurs infrastructures médicales.
Les Occidentaux souhaitent se démarquer de la Chine, qui a investi massivement dans de nombreux pays en développement, pour y construire des infrastructures dans le cadre des « Nouvelles routes de la soie », ou pour s’assurer un accès à certaines matières premières. Pékin est néanmoins accusé de mener ses projets en recourant à des prêts peu avantageux, opaques, voire périlleux, qui aggraveraient les problèmes d’endettement de pays déjà vulnérables. D’où la « transparence » que promettent, au contraire, les pays du G7.
Le Partenariat mondial pour les infrastructures (« artnership for Global Infrastructure ») doit « faire au monde une meilleure offre en matière d’investissements dans les infrastructures », a affirmé le chancelier allemand Olaf Scholz. Les États-Unis, à eux seuls, promettent de « mobiliser » quelque « 200 milliards de dollars » sur cinq ans. Mais « mobiliser » ne signifie pas que les États vont eux-mêmes apporter ces sommes considérables. Washington arrive au total de 200 milliards de dollars en combinant des prêts, des financements publics – en partie déjà existants – et des financements privés encouragés par l’exécutif américain. Avec ces gros chiffres encore incertains et ces bonnes intentions, les Occidentaux peuvent-ils renverser la tendance face à la Chine ? Les États-Unis veulent y croire.
L’offensive chinoise « existe depuis des années et s’est traduite par de nombreux versements en liquide et de nombreux investissements », a commenté, dimanche, un haut responsable de la Maison Blanche. « Mais ce n’est vraiment pas trop tard, a-t-il assuré à propos de l’initiative du G7. Beaucoup de pays qui ont reçu des fonds ou des investissements du programme BRI [acronyme de la dénomination en anglais Belt and Road Initiative] comprennent désormais, des années plus tard, qu’ils sont plus endettés, que leur PIB n’a pas progressé de manière significative, que les prétendus investissements n’ont pas atteint leurs populations. L’Afrique subsaharienne sera clairement une priorité majeure [du partenariat lancé par le G7] », a encore rappelé ce haut responsable de l’exécutif américain, mais en assurant que l’Amérique centrale, l’Asie du Sud-Est ou l’Asie centrale étaient aussi des régions « extrêmement importantes ».

Nouveau projet de loi américain soutenant Taïwan

Les deux sommets de l’Otan et du G7 ont coïncidé avec une initiative explosive au Sénat américain. Voilà peut-être un élément supplémentaire dans l’affrontement entre les États-Unis et la Chine. Le 16 juin, deus sénateurs ont déposé un projet de loi dans lequel la chambre haute du Congrès à Washington entend renforcer le soutien américain à Taïwan avec l’octroi d’une aide de plusieurs milliards de dollars dans le domaine de la sécurité. Ce texte, s’il est adopté, reviendrait à renforcer de facto la reconnaissance par les États-Unis de l’existence de Taïwan en tant qu’État.
Les auteurs de ce texte de loi sont le démocrate Bob Menendez, président de la Commission chargée des relations étrangères du Sénat, et le républicain Lindsey Graham. Les deux élus prévoient de sérieuses sanctions contre la Chine si celle-ci devait entreprendre une agression militaire contre Taïwan. Le texte préconise en outre un financement à hauteur de 4,5 milliards de dollars d’aide militaire américaine au cours des quatre prochaines années et de qualifier Taïwan « d’allié majeur non-membre de l’OTAN ». « Tandis que Pékin continue d’intimider et d’isoler Taïwan, il ne devrait subsister aucune ambiguïté ni aucun doute sur notre détermination de nous placer au côté du peuple de Taïwan et de leur démocratie », a expliqué Bob Menendez dans une déclaration publique, citée par l’agence Reuters.
Cette loi entend envoyer un message sans équivoque sur le fait que la Chine ne doit pas commettre la même erreur que celle que la Russie a faite en envahissant l’Ukraine, a-t-il ajouté. « Le danger ne ferait que croître si nous faisions preuve de faiblesse face aux menaces d’agression de la Chine contre Taïwan », a affirmé de son côté Lindsey Graham. Le texte de loi sera soumis au vote du Sénat la semaine prochaine.
Là aussi, la réaction chinoise ne s’est pas faite attendre. « Si les États-Unis persistent à prendre des décisions qui portent tort aux intérêts de la Chine, nous n’aurions d’autre choix que de prendre des contremesures résolues », a déclaré Li Pengyu, porte-parole de l’ambassade chinoise à Washington.
Un responsable américain lui aussi cité par Reuters et qui a requis l’anonymat a expliqué que certains passages de ce projet de loi risquent de susciter un certain embarras au département d’État en raison du risque qu’ils feraient courir de jeter de l’huile sur le feu sur des relations déjà très tendues entre États-Unis et Chine. D’autre part, pour le cas où le Sénat devait adopter ce texte, il devrait encore être soumis à la Chambre des Représentants où un autre texte de loi préconisant de renforcer la compétitivité des États-Unis face à la Chine attend un vote des élus depuis plusieurs mois.
Tel qu’il est rédigé, ce projet de loi, s’il devait être signé par le président américain, l’engagerait à imposer des sanctions contre des responsables chinois dont le président chinois lui-même en cas « d’escalade significative dans les actions hostiles à ou envers Taïwan » telles que des tentatives de renverser le gouvernement taïwanais ou d’occuper le territoire de Taïwan. Ce texte prévoit aussi de « prioriser et d’accélérer » les ventes d’armes à Taïwan jusqu’à ce que le Congrès constate que la menace chinoise contre l’île soit considérée comme moins grave. Le secrétaire à la Défense américain aurait quant à lui pour mission de mettre en œuvre un programme d’entraînement des forces armées taïwanaises dans le but d’accroître l’interopérabilité des forces armées de l’île avec celles des États-Unis. Enfin, ce projet de loi exigerait du département d’État qu’il modifie le statut de la représentation diplomatique de Taïwan à Washington pour en faire une quasi-ambassade et faire de même avec la représentation américaine à Taïwan.
Voici donc deux réunions, OTAN et G7, qui ne sont pas faites pour plaire au régime chinois au moment où son image ne ce cesse de se détériorer dans le monde. Selon une enquête du centre de recherche américain Pew dans 19 pays, les principales causes de cette image abîmée sont sa puissance militaire et économique accrue, ses pratiques en matière de droits humains, ainsi que des questions sur l’origine du Covid-19.
Selon les résultats de cette enquête qui portait sur les réponses de 24 525 adultes interrogés entre le 14 février et le 3 juin, une proportion record d’Américains (82 %), de Sud-Coréens (80% ), d’Allemands (74 %) et de Canadiens (74 %) ont ainsi une opinion défavorable de la Chine. L’impopularité chinoise atteint aussi des niveaux presque records au Japon (87 %), en Australie (86 %) et en Suède (83 %). Les Français voient également Pékin d’un mauvais œil, 68 % d’entre eux en ayant une opinion défavorable. La réputation chinoise a particulièrement souffert en Corée du Sud après les représailles économiques engagées par Pékin contre Séoul en 2017 à la suite de l’installation d’un système anti-missile pourtant destiné à parer une éventuelle attaque de la Corée du Nord, pas de la Chine.
Plus grave : l’image de la Chine s’est même assombrie auprès de nations avec lesquelles elle entretient de meilleures relations, comme la Grèce, où 50 % des personnes interrogées en avaient une opinion défavorable, du jamais-vu. En Israël, où les opinions favorables et défavorables étaient presque équivalentes, la plupart des répondants souhaitaient que priorité soit donnée aux relations économiques même sans soulever la question des droits humains.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).