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Au sommet des BRICS : Xi Jinping et Vladimir Poutine, même combat

Le président chinois Xi Jinping lors du sommet des BRICS, le 23 juin 2022. (Source : China Daily)
Le président chinois Xi Jinping lors du sommet des BRICS, le 23 juin 2022. (Source : China Daily)
Lors du quatorzième sommet des BRICS du 23 et 24 juin derniers, le discours inaugural du président chinois Xi Jinping a renforcé l’impression d’un soutien quasi inconditionnel à son homologue Vladimir Poutine. Nouvelle confirmation que la Chine se range désormais aux côtés de la Russie.
Forum créé en juin 2009 par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, rejoints par l’Afrique du Sud, les BRICS contrent ainsi les sommets occidentaux comme le G7. Les cinq pays membres représentent pas moins de 42 % de la population mondiale et environ un quart du PIB de la planète. L’objet de leurs sommets est de renforcer la coopération entre ces pays ainsi que leur ouverture économique et la lutte contre les crises.
De ce jeudi 23 à ce vendredi 24 juin, quelque 1 000 participants ont pris part, en ligne ou en présentiel, aux cinq séminaires à l’agenda de l’événement. Les personnalités présentes étaient toutes logées à Diaoyutai, la prestigieuse résidence des dirigeants étrangers à Pékin où se sont déroulé tous les entretiens. Autre objectif commun de ce sommet : la réforme du système multilatéral, la reprise économique, le partage des technologies, la lutte contre les épidémies et le développement durable.
« Les gens s’inquiètent de voir l’économie mondiale tomber dans le bourbier des crises », a déclaré Xi Jinping dans son discours préliminaire. Les BRICS comme moyen de relancer l’économie mondiale, c’est le message martelé à Pékin alors que la Chine et surtout la Russie veulent opposer un contre-récit « positif » aux sanctions du G7, voire un autre modèle à proposer aux pays en développements que celui des États-Unis et de leur « petite clique », selon les termes de la diplomatie chinoise.
Moscou n’a pas lésiné sur la communication. La plupart des points d’informations affichés sur le site des BRICS ce jeudi matin concernent des projets sino-russes. Parmi eux, l’effort conjoint de préservation du tigre de Sibérie et de son environnement ou l’expansion d’une ligne ferroviaire Chine-Russie. Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi évoquait il y a peu l’idée d’un « élargissement du forum à des pays comme l’Argentine ou le Pakistan. La Chine a invité le Kazakhstan, l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Égypte, l’Indonésie, le Nigeria, le Sénégal, les Émirats arabes unis et la Thaïlande à rejoindre le dialogue Brics », indique sur Twitter le représentant permanent de la Chine auprès des Nations unies.
Vladimir Poutine a, quant à lui, prôné ce mercredi 22 juin un renforcement des liens entre pays des BRICS : « Les partenaires occidentaux négligent les principes de base de l’économie de marché, du libre-échange et de l’inviolabilité de la propriété privée, a aussi dénoncé le président russe. Ils poursuivent des politiques macroéconomiques essentiellement irresponsables. Parallèlement, de nouvelles sanctions à motivation politique sont constamment introduites. Il y a une rupture volontaire des liens de coopération. Les chaînes de transport et de logistique s’effondrent. Tout cela est contraire au bon sens et à la logique économique la plus élémentaire, se fait au détriment des intérêts commerciaux mondiaux, et affecte négativement le bien-être de la population dans pratiquement tous les pays. »
Dès le lendemain jeudi, le narratif du président russe s’est quelque aiguisé. Il s’est alors employé à critiquer les « actions égoïstes » des pays occidentaux, sur fond de sanctions sans précédent contre Moscou en raison du conflit ukrainien. « Ce n’est qu’en se fondant sur une coopération honnête et mutuellement avantageuse que l’on peut chercher des issues à la situation de crise frappant l’économie mondiale à cause des actions égoïstes et irréfléchies de certains pays. » Et de dénoncer les tentatives de ces pays occidentaux de « se servir des mécanismes financiers pour rendre le monde entier responsable de leurs propres erreurs de politique macroéconomique. Un rôle de meneur de la part des pays des BRICS est aujourd’hui nécessaire comme jamais pour élaborer une politique unificatrice, positive visant à créer un système [mondial] réellement multipolaire. » Selon Vladimir Poutine, les BRICS pourraient compter ici sur le soutien de « plusieurs pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine qui aspirent à mener une politique indépendante ».

L’Inde s’éloigne-t-elle de la Russie ?

Mais le choses ne sont pas aussi simples. Même l’Inde, pourtant une alliée proche de la Russie, prend peu à peu ses distances à l’égard de ce pays, comme en témoigne la volonté du gouvernement indien de diversifier ses acquisitions d’armes. C’est ainsi qu’il se tourne maintenant vers Israël, les États-Unis et l’Europe afin de réduire sa dépendance à l’égard de la Russie dans ce domaine. De plus, le rapprochement sino-russe représente pour New Delhi une menace nouvelle, Pékin étant son ennemi naturel. Les derniers affrontements frontaliers entre la Chine et l’Inde en ont illustré ce caractère pérenne.
Lors de sa tournée en Europe en mai, le Premier ministre indien Narendra Modi a insisté avec ses interlocuteurs sur la volonté de son pays de diversifier ses sources d’approvisionnement en matériels militaires. « La leçon la plus importante que l’Inde est en train d’apprendre de la crise en Ukraine est qu’une dépendance trop forte à l’égard d’un pays n’est pas bonne, explique Harsh Pant, vice-président de l’Observer Research Foundation à New Delhi. La coopération en matière de défense avec Israël et d’autres pays aidera l’Inde à réduire sa dépendance à l’égard de la Russie. »
Les liens militaires entre l’Inde et la Russie remontent à l’époque soviétique. Sur les 13,2 milliards de dollars d’importations indiennes d’armes, la Russie représente 49 % du total des livraisons pendant la période 2016-2022, selon le Stockholm International Peace Research Institute. La proportion des livraisons est de 18 % d’armes provenant de France, 13 % d’Israël et 11 % des États-Unis.

« Élargissement des alliances militaires »

La boucle a-t-elle été bouclée à Pékin ? La dernière fois que Vladimir Poutine s’était rendu à l’étranger, c’était dans la capitale chinoise le 4 février dernier pour assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver. Cette fois-ci, le président russe ne s’est pas déplacé physiquement en Chine. Il a participé virtuellement à ce sommet des BRICS.
Le 4 février dernier, Vladimir Poutine et Xi Jinping avaient présenté la coopération russo-chinoise désormais « sans limites ». Cette rencontre avait consacré l’axe des deux puissances dans leur volonté commune de contester « l’hégémonie » des États-Unis. En vertu de cette relation particulière, Vladimir Poutine avait-il informé son allié qu’il s’apprêtait à envahir l’Ukraine ? Trois semaines après le sommet de Pékin, les chars russes fonçaient vers Kiev. Au début de la guerre, la Chine a eu de la peine à cacher son embarras, elle qui est si attachée à la « souveraineté » des nations et à la « non-ingérence ».
Avec les propos de Xi Jinping lors de ce sommet des BRICS, l’ambiguïté chinoise semble désormais bel et bien levée. En effet, mercredi, Xi Jinping n’a pas mâché ses mots. Le président chinois a dénoncé « l’élargissement des alliances militaires », une manière de rendre l’OTAN et les États-Unis, sans les nommer, responsables de la guerre en Ukraine. Xi s’en est également pris aux sanctions, une « arme à double tranchant » qui risquait de se retourner contre les Occidentaux tel un « boomerang ».

Désaccords au sein du Parti

Le fait est désormais patent : la Chine a clairement choisi son camp. Le régime chinois préfère risquer des sanctions économiques de l’Occident qui pénaliseront son économie et sa population chinoise. En effet, rallier le camp occidental est absolument impossible puisque le faire reviendrait pour le Parti communiste chinois à se désavouer, lui qui est viscéralement anti-américain. C’est un choix purement idéologique car ce qui est en jeu est la survie du Parti.
Cet alignement sur la Russie ne semble toutefois pas faire l’unanimité dans les cercles du pouvoir chinois. Notons cependant qu’en période de fortes tensions, les dirigeants du PCC ont une tendance naturelle à se serrer les coudes, phénomène qui pourrait assurer Xi Jinping d’être reconduit lors du XXème Congrès du Parti à l’automne.
Un exemple de ces désaccords au sein de l’élite du Parti : le 14 juin était annoncé le limogeage surprise du vice-ministre chinois des Affaires étrangères, Le Yucheng à qui était confié la responsabilité de directeur-adjoint de l’Administration chinoise de la radio et de la télévision. Or Le Yucheng, également membre suppléant du Bureau politique du PCC et autorisé à ce titre à prendre part à toutes ses réunions, était connu pour ses positions pro-russes. Le 4 février, au sortir du sommet Xi-Poutine, c’est lui qui avait déclaré que les relations sino-russes étaient désormais « sans limites ». « Le train express Chine-Russie continue d’avancer sans qu’il y ait de gare d’arrivée », avait-il ajouté. Des propos qui ont probablement suscité des réserves dans les arcanes du pouvoir chinois. Ces propos avaient en effet eu pour conséquence d’accentuer le fossé déjà béant qui sépare la Chine des États-Unis et présenté la Chine comme une alliée étroite de la Russie. Son limogeage peut être interprété comme le signe que Pékin ne souhaite pas basculer totalement dans l’orbite russe.
Autre signe : le limogeage, lui aussi surprise, de Chen Quanguo, secrétaire du PCC pour le Xinjiang. À ce titre, il était depuis 2016 l’homme fort de Pékin chargé de la conduite sur le terrain de la campagne impitoyable de répression menée contre la minorité musulmane des Ouïghours. Désormais, il est chargé d’un poste de haut rang dans le domaine agricole dans un lieu jamais précisé. Cette mise à l’écart semble elle aussi traduire la volonté de Pékin de ne pas couper tous les ponts avec les États-Unis à l’approche du XXème Congrès, car Chen Quanguo était précisément perçu à Washington comme étant le principal exécutant de Xi Jinping au Xinjiang où la Chine est accusée de détenir plus de un million de Ouïghours dans des camps de travail.

Ligne rouge

Il reste que le soutien de la Chine à la Russie n’est pas que rhétorique. Les achats de pétrole russe continuent d’augmenter. Ces livraisons, qui ont grimpé de 55 % en mai comparé à la même période de 2021, ont l’avantage de se faire à prix bradés, ce qui est important pour un pays aussi endetté que la Chine. Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la Chine importe désormais 2 millions de barils de pétrole russe par jour, une hausse de 25 % par rapport au début de l’année. L’Inde a, quant à elle, multiplié par neuf ses importations de brut russe et achète aujourd’hui près d’un million de barils par jour à Moscou.
Mais Vladimir Poutine attend sans doute encore davantage de son allié chinois, alors que l’armée russe est engagée dans une guerre d’usure où elle est enlisée depuis plus de quatre mois en Ukraine et que son industrie d’armement est frappée par les sanctions occidentales. Là est donc la question centrale : la Chine acceptera-t-elle de fournir une aide militaire à la Russie ? Ce serait là une ligne rouge pour les États-Unis et leurs alliés. Franchir le Rubicon entraînerait à n’en pas douter des sanctions économiques et financières massives contre la Chine qui serait alors perçue comme une menace directe.
Ce vendredi, le sommet s’est achevé par la diffusion d’un « communiqué de Pékin » dans lequel les pays membres déclarent leur attachement au « respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les États » et leur « engagement à œuvrer pour la résolution pacifique des différences et des disputes entre les pays par le dialogue ».
S’agissant de l’Ukraine, le communiqué observe une extrême prudence puisqu’il se borne à souligner l’importance « des discussions entre la Russie et l’Ukraine » de même que l’inquiétude des pays membres sur la situation humanitaire dans ce pays et alentours. L’honneur est sauf pour la Russie ainsi que pour Pékin, mais les divisions demeurent.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).