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Soft power olympique perdu ? Les JO d’hiver de Pékin sous haute tension

La Chine parviendra-t-elle à redorer son image international grâce aux jeux olympiques d'hiver de Pékin du 4 au 20 février 2022 ? (Source : Gzero)
La Chine parviendra-t-elle à redorer son image international grâce aux jeux olympiques d'hiver de Pékin du 4 au 20 février 2022 ? (Source : Gzero)
Le 4 février prochain s’ouvriront les Jeux olympiques d’hiver à Pékin, un événement mondial dont les autorités chinoises entendent bien se servir comme un outil de propagande pour redorer le blason passablement terni de la Chine sur la scène internationale. Mais ces jeux sont placés sous très haute tension diplomatique avec les États-Unis et leurs alliés.
Les motifs de tensions diplomatiques, politiques et géostratégiques n’ont pas cessé de s’accumuler entre la Chine et une bonne partie du monde occidental, que ce soit sur la question de la répression contre les Ouïghours ou les autres violations des droits humains comme à Hong Kong où toute forme de contestation a été réduite au silence. Ce jeudi 27 janvier, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a frappé du poing sur la table et exhorté États-Unis à « cesser de perturber » l’organisation de ces jeux lors d’un entretien téléphonique avec son homologue américain, le secrétaire d’Etat Antony Blinken.

« Boycotts diplomatiques » et soutiens indéfectibles

Les autorités chinoises escomptent retirer de ces JO, prévus pour durer jusqu’au 20 février, un bénéfice pour l’image de la Chine dans le monde de même qu’un outil pour, comme c’est de coutume lorsque le pays est l’hôte des JO, flatter le nationalisme chinois. Cependant, l’événement souffre déjà d’un certain nombre de « boycotts diplomatiques ». Les États-Unis furent les premiers à l’annoncé au début de l’année : les athlètes américains iront bien à Pékin mais aucun responsable officiel de Washington n’assistera à ces jeux. Plusieurs pays ont depuis fait de même, dont le Japon, l’Australie, le Canada et d’autres encore.
Il reste que de très nombreux dirigeants du monde viendront. Avec en tête le président russe Vladimir Poutine, mais aussi le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le président polonais Andrzej Duda, le Premier ministre pakistanais Imran Khan, le Premier ministre de Mongolie extérieure Luvsannamsrai Oyun-Erdene, les présidents du Kazakhstan, du Tadjikistan, du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Kirghizstan.
Sont également attendus le roi du Cambodge Norodom Sihamoni, la princesse de Thaïlande Maha Chakri Sirindho, la présidente de Singapour Halimah Yacob, le Premier ministre de Papouasie-Nouvelle-Guinée James Marape, de même que l’émir du Qatar cheikh Tamim ben Hamad al-Thani et le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed ben Zayed. Parmi les responsables européens présents figurent le président serbe Aleksandar Vucic, le prince Albert II de Monaco et le grand-duc Henri du Luxembourg. Également attendus en provenance d’Amérique Latine, le président argentin Alberto Fernandez et le président équatorien Guillermo Lasso.
Parmi les organisations internationales présentes aux JO, figurent évidemment le Comité international olympique (CIO) représenté par son patron, l’Allemand Thomas Bach, mais aussi le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus, le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres de même que le président de l’Assemblée générale onusienne Abdulla Shahid.
À noter en revanche l’absence de tout officiel de Taïwan, que ce soit à la cérémonie d’ouverture ou celle de clôture, contrairement à 2008. Cette absence est due aux mesures d’intimidations militaires incessantes menées par l’armé chinoise à proximité immédiate de l’archipel taïwanais. Jeudi, selon un communiqué du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Yi a demandé à Washington de « cesser de jouer avec le feu » sur la question de Taïwan ou de « créer toutes sortes de petites factions pour s’opposer à la Chine ».

Covid-19 en 2022 contre « annus horribilis » en 2008

Pékin est sur le point de devenir la première ville à avoir accueilli à la fois les Jeux olympiques d’été et d’hiver. Naturellement, les olympiades estivales seront toujours plus importantes que les hivernales, simplement parce que beaucoup plus de pays y participent. Et puis, bien sûr, il y a le Covid-19. Le gouvernement de Pékin s’est évertué ces dernières semaines à démontrer l’aptitude de la Chine à organiser ce grand événement malgré la pandémie, avec plus de 3 000 athlètes qui se rendront à ces jeux. Mais impossible d’organiser des Jeux « normaux » avec l’épidémie de coronavirus qui explose dans toutes les villes de Chine, dans un pays toujours officiellement engagé dans une stratégie contestable « zéro Covid ».
L’une des conséquences de cette situation est qu’il n’y a pas de vente de billets pour le public. Au lieu de cela, les entreprises d’État ou d’autres organisations du Parti communiste les distribuent à leurs employés, qui devront se conformer à des mesures strictes d’atténuation du virus, notamment une éventuelle quarantaine et de multiples tests avant et après leur participation.
À lire : « Quel qu’en soit le prix ? » En Chine, l’hostilité croissante à la politique du « zéro Covid »
Toutefois, la Chine actuelle s’apprête à ouvrir ses JO d’hiver dans des conditions bien différentes des olympiades d’été il y a près de quatorze ans. Souvenons-nous de l’annus horribilis de la Chine en 2008 : une années commencée par une tempête de neige désastreuse dans le sud du pays, puis un soulèvement des moines au Tibet réprimé dans le sang, suivi d’un tremblement de terre catastrophique dans le Sichuan au sud-ouest du pays, qui a tué environ 70 000 personnes.
Au moment où les Jeux avaient commencé, les dirigeants du Parti communiste espérait prouver de manière éclatante la retour de la Chine sur la scène internationale : une modernité retrouvée, une économie en plein essor, l’accumulation de nouveaux chefs-d’œuvre architecturaux saisissants (au prix de la démolition d’édifices anciens), des villes animées et une société devenue plus ouverte, avec une scène artistique avant-gardiste, des groupes de musique underground et une exposition toujours plus grande aux idées étrangères.
En 2022, le pays a une nouvelle direction du Parti avec des priorités différentes. L’attitude à l’égard de la perception de la Chine dans le monde, sous la direction du président Xi Jinping, est davantage axée sur le principe suivant : « Nous avons subi 100 ans d’humiliation au cours du XXème siècle ; notre heure est arrivée ; et c’est à vous autres de nous accueillir alors que nous nous élevons à la place qui nous revient sur la scène mondiale. »
Après la répression sanglante de la place Tiananmen en juin 1989, Pékin avait perdu sa candidature à l’organisation des Jeux olympiques de 2000 au profit de Sydney. Afin d’obtenir les Jeux de 2008, certains changements avaient été annoncés pour montrer que la Chine avait évolué et entendait être un hôte digne de ce nom. Par ces changements, l’assouplissement des restrictions de voyage imposées aux correspondants étrangers. Jusqu’alors, les journalistes devaient obtenir l’autorisation d’un gouvernement local de Chine pour se rendre n’importe où dans le pays.
Pour ces JO d’hiver, le ton a été donné dès avant le début des compétitions. Une circulaire met en garde les athlètes contre toute déclaration à caractère politique critique à l’égard de la Chine. Si un athlète se hasarde à de telles déclarations, il sera immédiatement écarté des jeux. D’autre part, une ONG américaine a révélé l’existence d’une application qui s’installe automatiquement sur les téléphones des athlètes et des journalistes à leur arrivée sur le sol chinois. Elle permet d’enregistrer et de transmettre toutes les voix captées par le micro du téléphone, ce qui permettra aux autorités chinoises de suivre toutes leurs activités. Une sorte de système d’espionnage donnant à Pékin l’accès aux données personnelles de ces athlètes.
Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, l’attitude de Pékin s’est considérablement durcie à l’égard des moindres expressions de dissidence. De ce fait, confrontés aux critiques des pays occidentaux, la Chine a progressivement adopté une posture agressive face à ses interlocuteurs occidentaux. Le changement de ton est devenu criant avec la pandémie. Mais dans une certaine mesure, l’espoir subsiste à Pékin que les opinions étrangères verront dans l’organisation de Jeux sur le sol chinois un succès sportif mais aussi politique.
À des fins de propagande, le Comité olympique chinois fera appel aux talents du célèbre réalisateur Zhang Yimou, icône chinoise à la fois dans son pays et à l’étranger. Certains l’ont accusé de se vendre depuis l’époque de ses films durs sur la Révolution culturelle et le Grand Bond en avant, au cours desquels des millions de personnes ont été victimes de sévices ou sont mortes de faim. Mais il a été très applaudi pour son festin visuel en 2008 lors de la cérémonie d’ouverture des JO. Il pourrait faire valoir que les Jeux ne sont qu’une nouvelle toile sur laquelle présenter une vision de la Chine : où elle a été et où elle va.
Les épreuves olympiques à Pékin seront évidemment un événement télévisé de portée mondiale. Il fait actuellement un froid glacial dans la capitale chinoise. Le public, qu’il soit étranger ou chinois, ne peut pas acheter de billets en raison de la pandémie. Les seuls étrangers présents pour l’événement sont ceux qui y participent ou y travaillent, et tout ce qu’ils verront de Pékin, c’est ce qu’il y a à voir à l’intérieur d’une bulle géante de protection anti-Covid-19. Tous ces facteurs ont également façonné ce que ces Jeux olympiques deviendront. Mais, pour un gouvernement qui craint que tout ne tourne mal, si ces olympiades peuvent un moment historique à observer assis dans son canapé contraint et forcé, cela fera certainement leur affaire.

Le dragon ne fait plus rêver

Interrogé par la BBC sur l’état de son pays une fois les Jeux terminés, un Chinois répond sans hésiter : « Merveilleux ! La Chine n’a qu’une seule vitesse et c’est la marche avant. » Force est de constater que sur de nombreux fronts, la Chine a clairement avancé. Si vous étiez venu à Pékin pour les derniers Jeux olympiques et n’y reveniez que maintenant, vous verriez la différence. L’infrastructure de transport de la ville, par exemple, a explosé. En 2008, le système de métro de Pékin ne comptait que quatre lignes, auxquelles s’ajoutaient deux lignes, juste avant les Jeux. Aujourd’hui, avec 27 lignes et 459 stations (et d’autres à venir), c’est désormais le plus grand réseau du monde.
Cependant, si un visiteur de retour au pays creuse un peu plus profondément, il pourrait également découvrir que la tolérance envers les idées non approuvées par le Parti communiste a considérablement diminué. Certains diraient même qu’elle est en train de disparaître. Ces dernières semaines, les dissidents ont subi des pressions extrêmes pour ne pas faire de vagues à un moment où tous les regards sont tournés vers la Chine. Cela s’est également produit en 2008. La différence aujourd’hui est qu’il n’y a plus beaucoup d’intellectuels ou d’avocats des droits humains puisqu’ils sont réduits au silence, sinon tout simplement en prison depuis longtemps.
Même les universitaires ordinaires hésitent à donner des interviews, au cas où leurs commentaires pourraient être perçus comme écornant l’image de leur pays. Sur le réseau social Wechat, un groupe d’intellectuels, considérés comme des fauteurs de troubles, a récemment été tout bonnement exclu de tous les échanges en ligne. Comme c’est l’usage depuis longtemps déjà, la censure veille sur les réseaux sociaux.
Avant les Jeux olympiques de 2008, il existait à Pékin une vie nocturne unique et sans entrave. Vous pouviez être sûr que tout visiteur étranger serait époustouflé par l’énergie de la scène. Aujourd’hui encore, cette mégapole a encore beaucoup à offrir, mais les démolitions incessantes ont fait disparaître de nombreux petits lieux créatifs fonctionnant avec des moyens limités.
La BBC a interviewé un architecte chinois plaisantant sur sa vie d’il y a dix ans : il avait l’impression de sortir tous les soirs. « Peut-être que c’est parce que j’étais plus jeune. La ville était différente à l’époque. J’avais tellement d’amis étrangers. » Les architectes étaient alors la coqueluche de la ville. De nombreux bâtiments spectaculaires ont été dévoilés, qu’il s’agisse de la tour CCTV (la chaîne de télévision d’Etat) à la manière d’Escher, du magnifique dôme abritant le National Centre for the Performing Arts ou de l’aéroport de Pékin à l’échelle du dragon.
Les structures olympiques étaient également à couper le souffle. L’artiste enragé Ai Weiwei avait travaillé en tant que conseiller sur la conception du Nid d’oiseau, le stade national de la ville. Interrogé par la radio britannique sur ce stade et sur toutes les autres structures de la capitale qui attiraient l’attention, ainsi que sur l’avenir de l’architecture d’avant-garde à Pékin, il avait répondu : « Non, non, c’est fini. Cette fenêtre, ce moment dans le temps s’est maintenant terminé. »
« Les Jeux de 2008 avaient été une source puissante de soft power pour la Chine qui aspirait à obtenir une place toujours plus forte sur la scène internationale », rappelle Rana Mitter, professeure d’histoire de la Chine à l’Université d’Oxford, citée par l’agence reuters. Mais « au cours des dernières années, l’image de la Chine a plongé de façon significative dans le monde occidental. Le Parti communiste chinois espérait que ces Jeux d’hiver allait permettre à la Chine de renverser ce phénomène. »
Or, à quelques jours de l’ouverture des Jeux, c’est tout le contraire qui se produit. Aux dénonciations par les organisations de défense des droits humains de la répression politique dans ce pays à l’égard de toute dissidence, se sont greffés des scandales retentissants qui ont grandement contribué à ternir l’image de la Chine dans le monde. Ainsi celui de la joueuse de tennis chinoise Peng Shuai qui, en septembre dernier, avait accusé sur les réseaux sociaux un des plus hauts dignitaires du régime de l’avoir violée de façon répétée. Depuis qu’elle a été, selon toute vraisemblance, contrainte à retirer ces propos devant les caméras des médias officiels, la championne de tennis a disparu.
Interrogée par Reuters, une athlète étrangère qui a demandé à rester anonyme a affirmé qu’elle comptait parler en public des violations des droits humains en Chine. « Je pense que la Chine a démontré, notamment avec Peng Shuai, qu’elle était prête à prendre des mesures extrêmes pour réduire au silence toute forme de rhétorique jugée offensante. » Si les organisateurs des Jeux ont clairement indiqué que toute prise de parole par les athlètes qui serait critique à l’égard de la Chine serait punie, le Comité international olympique a néanmoins promis que les athlètes seraient « libres d’exprimer leurs opinions ».
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).