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"Quel qu'en soit le prix ?" En Chine, l'hostilité croissante à la politique du "zéro Covid"

À Xi'an, la totalité des 13 millions d’habitants sont soumis à un confinement extrêmement strict depuis maintenant deux semaines. (Source : CNN)
À Xi'an, la totalité des 13 millions d’habitants sont soumis à un confinement extrêmement strict depuis maintenant deux semaines. (Source : CNN)
Confrontées à une recrudescence des contaminations de Covid-19 depuis décembre, les autorités chinoises ont adopté des mesures draconiennes. Certaines entraînent des comportements rappelant la sinistre Révolution culturelle, tandis que des manifestations de colère ont eu lieu dans plusieurs grandes villes du pays.
À Xi’an, la totalité des 13 millions d’habitants sont soumis à un confinement extrêmement strict depuis maintenant deux semaines. Les restrictions sont si fortes qu’elles ont suscité des scènes de Chinois affamés déclarant dans les rues être incapables de se nourrir, du fait de l’interdiction de sortir de chez eux et d’une pénurie en denrées alimentaires. Une journaliste chinoise, Jiang Xue, citée par le South China Morning Post, a déclaré avoir vu des voisins, confrontés à la pénurie, contraints d’échanger de la nourriture.
Le nombre de personnes contaminées reste limité, avec près de 1 800 cas recensés dans cette ville. Mais les autorités persistent en déclarant que les mesures en place le resteront jusqu’au moment où le stade du « zéro Covid » sera clairement atteint.
Confinés dans leur logement, de nombreux résidents en sont venus à exprimer leur mécontentement sur les réseaux sociaux auxquels ils font part de leur lutte quotidienne pour avoir accès à des produits de première nécessité. De leur côté, les responsables administratifs de la ville affirment que la pénurie est due à un manque de personnels en train de se résorber.

« Bavardage vide de sens »

Journaliste indépendante, Jiang Xue a publié une enquête intitulée « 10 jours à Xi’an » sur le réseau social WeChat. Selon elle, les services postaux sont à l’arrêt depuis le 21 décembre tandis que la population de la ville se retrouve même dans l’incapacité de commander des aliments en ligne. Parmi les habitants de Xi’an, la peur est aussi celle d’être envoyés dans des centres de quarantaine dans le cas d’un test positif. Dans le cas où un seul résident est testé positif, tous ses voisins risquent de connaître le même sort.
C’est ainsi que la population de la ville en est réduite à vivre au jour le jour, sans savoir de quoi sera fait le lendemain. « Il n’y a qu’une seule victoire pour Xi’an, voilà la rhétorique officielle, mais tout ceci n’est que du bavardage vide de sens, écrit Jiang Xue. De la même façon, le slogan « Nous ferons tout quel qu’en soit le prix » peut sembler extraordinaire, mais quand il s’agit des personnes individuelles, nous devons analyser ce que veut dire en réalité « quel qu’en soit le prix ». »
Après avoir travaillé pour plusieurs médias importants de Chine en tant que journaliste d’investigation, la censure qui s’est notablement renforcée ces dernières années a poussé Jiang Xue à devenir une journaliste free-lance en 2015. Depuis cette date, elle a signé de nombreux articles sur les réseaux sociaux à propos notamment des avocats des droits humains durement réprimés en 2015.
Son témoignage sur Xi’an rappelle les écrits de la romancière chinoise Fang Fang rassemblés dans le livre Wuhan, ville close. L’écrivaine y décrit dans le détail les difficultés gigantesques rencontrées par les habitants de Wuhan après la découverte du virus fin 2019 dans cette ville du centre de la Chine. Ce livre n’a jamais été publié en Chine mais il l’a été dans de nombreux pays étrangers, traduit en anglais, français, allemand et japonais. Depuis, Fang Fang a été qualifiée de « traître » à la solde des critiques occidentaux du régime chinois.

Femmes enceintes « en détresse »

Ce mardi 4 janvier, le vaste système informatique de données de santé que la ville de Xi’an utilise pour tracer et gérer les quarantaines et le confinement en général, a connu une panne gigantesque, faute de pouvoir canaliser l’affluence due à l’augmentation des cas et surtout du nombre de personnes isolées. Ce qui a rendu impossible ou extrêmement difficile à maints résidents d’accéder aux hôpitaux publics ou de faire un simple test de dépistage.
D’autres témoignages ont fait surface à Xi’an. Ainsi ceux de deux femmes enceintes qui ont perdu leur bébé du fait des retards dans leur prise en charge provoqués par les restrictions imposées par les autorités de la ville. Sur un post déposé sur le réseau social Weibo, dont fait état le quotidien de Hong Kong, la nièce d’une femme enceinte affirme que cette dernière a perdu son bébé par une fausse couche après avoir été ainsi refusée dans un hôpital. Le post comporte une vidéo, rapidement supprimée, qui montre la femme enceinte au huitième mois assise devant l’entrée de l’hôpital avec du sang qui coule le long de ses jambes. Elle a été laissée sans soins devant l’hôpital pendant deux heures samedi dernier car le résultat de son test avait expiré quatre heures auparavant. Ce mercredi 5 janvier, la Fédération des femmes de la province du Shaanxi a ouvert une enquête.
« Des personnels médicaux l’avaient finalement envoyée dans une salle d’opération après avoir vu le sang qui se répandait en abondance sur ses jambes. L’enfant est mort dans la matrice de sa mère après huit mois de grossesse simplement du fait de traitements trop tardifs », avait déclaré sa nièce. Mercredi, les autorités de Xian ont dit que les hôpitaux devaient dorénavant donner des soins aux femmes enceintes et aux autres personnes atteintes de maladies critiques qu’elles soient munies ou non de résultats négatifs. « Ma tante me demandait sans cesse d’une voix faible de rafraîchir ses informations, témoignant sur son téléphone de sa détresse », ajoutait encore sa nièce mardi dernier. Ce post a été vu plusieurs millions de fois jusqu’à ce qu’il soit supprimé mercredi matin, explique le South China Morning Post. Ce jeudi 6 janvier, les responsables de l’hôpital se sont excusés publiquement, sous la pression des autorités qui ont licencié une partie de la direction de l’établissement.
Une autre femme enceinte a, elle aussi, déclaré mercredi sur Weibo avoir été refusée dans plusieurs hôpitaux le 29 décembre alors qu’elle saignait abondamment. Cette femme, identifiée sous le nom de Wang, un nom de famille très répandu en Chine, a expliqué qu’elle avait fini par être admise dans un hôpital en fin de journée après un résultat négatif eu Covid-19. Mais son bébé était alors déjà mort.
« Je pouvais seulement sentir que je saignais abondamment sans arrêt et je tremblais et versais des larmes dans état de confusion totale, a-t-elle témoigné. Lorsqu’un médecins s’est finalement penché sur mon cas, il m’a demandé pourquoi je me présentais si tardivement mais je ne pouvais plus trouver de réponse. Je déteste ce Covid-19 et je comprends les difficultés pour le combattre. Mais je n’ai jamais compris pourquoi il m’était impossible de joindre au téléphone le centre de prise en charge. »

« Mauvais citoyens » humiliés

Il arrive que l’hystérie des autorités chinoises suscite des initiatives qui rappellent la Révolution Culturelle (1966-1976) de sinistre mémoire. C’est ainsi que des vidéos ont été diffusées mardi 28 décembre montrant quatre personnes soupçonnées d’avoir enfreint les règles en matière de lutte contre la pandémie exhibées devant la foule. Vêtues de blanc et encadrées par les forces de police, ces personnes ont été montrées en exemple de « mauvais citoyens » dans une rue de la petite ville de Baise dans le district de Jinxi de la province du Guangxi. Brandissant de grandes photos d’eux avec leur nom et d’autres informations personnelles, ces personnes ont défilé dans cette rues tandis qu’un haut-parleur appelait la population à ne pas suivre leur exemple et à respecter les règles de lutte contre la pandémie.
Dans une autre vidéo, plusieurs personnes sont montrées en train de défiler dans un parc public où elles se retrouvent confrontées à des centaines de spectateurs. Dans une troisième vidéo, ces quatre personnes sont montrées immobiles avant d’être chargées sur la plateforme d’un camion. Ces scènes rappellent les sessions de « lutte politique » et ces « confessions » publiques imposées à des Chinois accusés de déviance pendant la Révolution culturelle devant des foules déchaînées.
« Y a-t-il quelque chose de plus humiliant que ce genre de parades ? La Révolution Culturelle n’est donc pas terminée, elle continue », estime un internaute. « Mao est de retour, son nom est Xi Jinping », écrit un autre internaute cité le 29 décembre par le quotidien Taiwan News.
Selon le quotidien official chinois de langue anglaise Global Times, deux Chinois ont été arrêtés en décembre pour avoir servi de passeurs à deux Vietnamiens qui ont été testés positif lorsqu’ils ont été découverts. Un incident qui aurait entraîné la fermeture d’écoles et le confinement de quelque 50 000 personnes dans la région. Plusieurs quotidiens locaux ont expliqué que « grâce à ces mesures disciplinaires, d’autres crimes de ce genre ont été évités et la conscience collective du public a été renforcée ».
Un éditorial du quotidien officiel Beijing News a néanmoins critiqué ces initiatives. « Il est clair que tout cela est allé bien au-delà de mesures de discipline qui respectent la loi, écrit le journal. Même avec le but de renforcer la prévention de l’épidémie, de telles mesures violent gravement l’esprit de la loi de ce pays et ne peuvent pas être tolérées. »

Souvenir de Li Wenliang, lanceur d’alerte censuré

Début janvier, d’autres villes du centre de la Chine ont été à leur tour contraintes à des mesures draconiennes. Ainsi dans la province du Hunan où le nombre des infections a rapidement augmenté ces derniers jours. Quatre cas de contaminations ont ainsi été constatés mercredi, selon des informations officielles rapportées par l’agence Reuters. Mais aucun cas de contamination au variant Omicron n’a encore été identifié à ce jour dans la province. Cela n’a pas empêché les autorités de plusieurs villes du Henan d’adopter des mesures de confinement strictes. Ainsi à Gushi, un district d’1 million d’habitants dans cette province, un seul cas a été détecté mercredi mais il a suffi pour que les autorités locales interdisent toute sortie et toute entrée.
À Wuhan, ces derniers jours, des milliers d’internautes ont exprimé leur souvenir de Li Wenliang, le médecin lanceur d’alerte qui, le premier, avait signalé l’apparition dans la ville de cas alarmants de maladies inexpliquées. Ce médecin est mort le 7 février 2020, lui-même victime du Covid-19. Lorsqu’il avait lancé l’alerte, il avait été accusé de « répandre de fausses nouvelles ». Plus tard, devant la colère des habitants de Wuhan, les autorités avaient fait marche arrière, le gouvernement le déclarant même « héros national ».
« La situation de la pandémie à l’échelle internationale est grave et complexe, ce dernier variant étant extrêmement transmissible tandis que la prévention et le contrôle deviennent chaque jour plus complexes », soulignaient ce jeudi 6 janvier les autorités chinoises à l’approche des énormes déplacements de population à l’occasion du Nouvel An lunaire, qui tombe le 1er février cette année.
Pourquoi cette frénésie officielle de lutte contre le Covid-19 ? L’une des raisons est bien entendu la tenue du 4 au 20 février prochains des Jeux olympiques d’Hiver à Pékin. Ces jeux, qui sont à chaque fois qu’ils se tiennent sur le sol chinois utilisées comme un outil de propagande, risquent d’être fortement perturbés par la pandémie.
Rappelons enfin que l’origine du virus risque fort de n’être jamais connue. Le régime chinois n’a jamais permis que soit conduite une enquête indépendante et sérieuse sur son sol. À ce jour, plus de 105 millions de personnes ont été contaminées par le virus dans le monde et au moins 2,3 millions d’entre eux sont morts, le décompte réel étant vraisemblablement beaucoup plus lourd.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).