Politique
Entretien

Wu'er Kaixi, ex-leader étudiant de Tiananmen : "Ne coopérons plus avec une Chine irresponsable"

Wu'er Kaixi, ancien leader étudiant étudiant durant les manifestations de la place Tiananmen en 1989, aujourd'hui installé à Taïwan. (Source : Soundofhope)
Wu'er Kaixi, ancien leader étudiant étudiant durant les manifestations de la place Tiananmen en 1989, aujourd'hui installé à Taïwan. (Source : Soundofhope)
Il se dit « ouïghour, chinois de naissance et taïwanais par choix ». Wu’er Kaixi, l’un des principaux leaders étudiants des manifestations de la place Tiananmen en 1989, continue son combat contre le Parti communiste chinois. Mais faute de pouvoir revenir à Pékin, il a choisi de s’installer à Taïwan plutôt qu’en Occident. Élu au Yuan législatif, le parlement taïwanais, il en a été nommé secrétaire général adjoint de la commission des droits humains en novembre 2020. Pour lui, le régime de Xi Jinping est une « organisation criminelle ». L’Union européenne doit donc emboîter le pas des États-Unis et choisir « le chemin de la confrontation » avec Pékin. Wu’er Kaixi s’en explique à Asialyst.

Entretien

Né le 17 février 1968, Wu’er Kaixi était l’un des leaders étudiants des manifestations de la place Tiananmen en 1989. Membre de l’ethnie ouïghoure, il est né à Pékin mais est mentionné comme natif de Yili, dans la région autonome du Xinjiang. Il arrive sur la place Tiananmen, à Pékin, fin avril 1989, après avoir fondé son association indépendante d’étudiants à l’Université normale de Pékin. Il émerge rapidement comme étant l’un des meilleurs orateurs des leaders étudiants face à la foule toujours plus nombreuse.

Au cours d’une rencontre avec le Premier ministre Li Peng en mai 1989, Wu’er Kaixi l’interpelle devant les caméras de la télévision nationale en l’interrompant par ces mots : « Je comprends que c’est assez difficile de vous interrompre, Monsieur le Premier Ministre, mais il y a des personnes assises ici sur la place, et qui ont faim, pendant que nous échangeons ici des civilités. Nous sommes juste là pour discuter de problèmes concrets, Monsieur. » Après que Li Peng a repris la parole pour lui reprocher son impolitesse, Wuer Kaixi l’interrompt à nouveau : « Monsieur, vous prétendez être arrivé ici en retard [à cause des bouchons]… nous demandons à vous rencontrer depuis le 22 avril. Vous n’êtes pas juste en retard, vous êtes arrivés trop tard. Mais c’est bien. C’est bien que vous ayez pu venir ici tout de même… »

Après les manifestations, Wu’er Kaixi est exfiltré de Chine via l’opération Yellow Bird et part pour la France. Le journaliste de l’Agence France-Presse Francis Deron signale qu’une quinzaine d’opposants, parmi les plus en vue, étaient présents à Paris lors du 14 juillet 1989 dont Wu’er Kaixi. Il part ensuite étudier à l’université de Harvard aux États-Unis, avant d’émigrer à Taïwan, où il fonde une famille. Il est depuis élu au parlement de l’île.

Wu'er Kaixi, avec les étudiants en la grève de la faim sur la place Tiananmen, le 13 mai 1989. (Source : RFA)
Wu'er Kaixi, avec les étudiants en la grève de la faim sur la place Tiananmen, le 13 mai 1989. (Source : RFA)
Comment considérez-vous la situation actuelle en Chine ?
Wu’er Kaixi : Ces trente dernières années, le monde s’est engagé face à un régime communiste chinois totalitaire. Après le massacre de la Place Tiananmen le 4 juin 1989, le Parti communiste chinois a évolué d’une dictature idéologique vers une dictature qui se résume au pillage. L’objectif du PCC n’a jamais été réellement d’essence idéologique. Celle-ci n’était qu’une illusion. Tiananmen a mis en lumière le fait que l’idéologie ne servait pas à grand-chose. Depuis Tiananmen, le PCC fait usage de tous les instruments et leviers à sa disposition pour piller le pays et piller le monde. Le Parti s’est transformé pour devenir aujourd’hui l’organisation criminelle la pire que le monde n’ait jamais connue. L’organisation la plus diabolique dirigée par des brigands et des voleurs. Cela ne les rend pas très différents de criminels ordinaires, mais ils disposent d’une puissance considérable pour parvenir à leurs fins. La Chine aujourd’hui est contrôlée par cette puissance énorme avec pour unique objectif de gagner une puissance financière considérable. Tout le reste en Chine, que ce soit la propagande, l’idéologie, le nationalisme, tous ces narratifs sur la Chine qui monte, tout ceci ne vise qu’à faire en sorte que le monde croit en une Chine qu’elle n’est pas en réalité. Car en fait elle est dominée par le crime organisé.
Êtes-vous d’avis que le PCC entend contrôler le monde ?
Non, pas du tout. Ce ne sont que des voleurs ordinaires. Pour dominer le monde, il vous faut une dose d’idéologie, que ce soit le fascisme, le communisme, le fanatisme religieux, ou que sais-je ? Non, non. Ce ne sont que des voleurs ordinaires. Ce qu’ils veulent, c’est l’argent. Rien d’autre. Rappelez-vous : lorsque Xi Jinping a annoncé cette fameuse initiative des « Nouvelles routes de la soie » en 2013, il n’y avait là que le désir de satisfaire un appétit croissant.
Comment voyez-vous la politique du gouvernement chinois à l’égard des Ouïghours ?
Au cours des trente dernières années, le gouvernement chinois s’est mis en tête de prouver que la civilisation chinoise est invincible. Ce qu’il ne pouvait pas tolérer est que la fierté des Ouïghours est de ne jamais se soumettre. Ils ne se soumettront jamais. Oui, certes, vous nous gouvernez, vous possédez la puissance politique, la puissance économique, la puissance militaire, mais nous, les Ouïghours, nous sommes là et nous vous tenons tête. Vous ne contrôlerez jamais nos têtes. C’est là quelque chose que le Parti ne peut pas contrôler, raison pour laquelle il est furieux. Le Parti trouve une justification dans sa politique répressive contre un prétendu extrémisme religieux dont se rendrait coupable le peuple ouïghour. La réalité est que le Parti veut avant tout briser l’identité ouïghoure. J’y vois une volonté d’épuration ethnique. Le régime communiste ne laisse au peuple ouïghour aucun choix.
Je suis très inquiet de la prochaine étape. Je pense que le régime chinois ne peut imaginer d’accepter la réalité ouïghoure ou de faire marche arrière, ne serait-ce qu’un peu. Son objectif ultime est l’élimination du peuple ouïghour. Tout ce que nous trouvons à dire à propos du régime communiste chinois ces trente dernières années, l’opinion internationale a décidé de l’ignorer. Ce qu’elle trouve à dire, c’est que ces Chinois qui ont choisi l’exil après le massacre de Tiananmen ne peuvent plus rien dire d’autre que des propos extrémistes à l’égard du Parti. Or il n’y a chez nous nul désir d’être extrémistes ni non plus d’exagérer la situation actuelle. Nous savons que le Parti ne sait plus comment se sortir de la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui. Je pense qu’il en viendra à penser que l’élimination du peuple ouïghour est la seule porte de sortie. Peut-être en viendront-ils à tuer un million de Ouïghours, à nous tuer tous ? Je n’en sais rien. Mais ce que je sais, c’est qu’il ne s’agit pas là d’une prédiction, mais d’une analyse sereine de ce qui va probablement arriver.
Diriez-vous que cette politique du PCC présente des similitudes avec la politique des Nazis qui a conduit à l’Holocauste ?
Absolument. L’Holocauste est un produit de l’oppression et d’une idéologie maléfique. Une oppression qui ressemble à celle contre les Ouïghours. Je me répète : il ne s’agit là pas de nationalisme, de fascisme mais d’une horreur devenue puissance destructrice extrême.
Peut-on dire que la même chose se passe au Tibet ?
Oui. La seule sorte de relation que le Parti est en mesure de comprendre, c’est la soumission totale. En dehors de ça, il peut certes prétendre que c’est acceptable, mais à la condition qu’il ait la puissance nécessaire pour mener à la soumission totale. Hong Kong en est récemment un exemple parfait. Souvenez-vous, il y a trente ans, Deng Xiaoping avait imaginé le concept « Un pays, deux systèmes » : laisser le peuple de Hong Kong être maître chez lui. Or aucune de ces promesses n’a été tenue. Car dans la réalité, dans l’esprit du Parti, il n’y avait eu aucune promesse. Car ils ne comprennent pas le concept même de la promesse. Ce qu’ils comprennent en revanche, c’est la soumission totale. Lorsqu’ils n’ont pas la puissance d’user de la contrainte contre leurs opposants ou ceux qui observent des avis différents, ils peuvent attendre jusqu’à ce qu’ils deviennent assez puissants pour atteindre leur objectif. C’est là le cas du peuple ouïghour, du peuple tibétain et du peuple de Hong Kong. En fait, celle du monde aussi.
Quand je dis soumission totale, cela ne signifie pas gouverner, l’épuration ethnique, rien de tout cela. Aussi longtemps que vous n’êtes pas devenu un défi pour leur puissance, vous pouvez vivre en paix. Mais le problème est celui-ci : comment le monde peut-il vivre en paix avec une Chine qui constitue une menace existentielle ? Le monde occidental a pensé que c’était possible. Il a pensé qu’en s’engageant aux côtés de la Chine, celle-ci en viendrait à faire sienne l’idée d’une classe moyenne qui transformerait le pays en État de droit, avec une société civile libre et démocratique. Soit un pays qui assumerait son rôle responsable dans le monde et respecterait les règles de la communauté internationale. Cette idée n’est en réalité pas du tout naïve. Elle était de peser que bien qu’étant un régime totalitaire qui s’en prend à la presse libre et à l’État de droit, il ne constituerait pas une menace pour le monde. Ce régime-là resterait dans le giron de l’ordre chinois. Cette prédiction n’était pas par essence très naïve. Mais il faut bien constater qu’en définitive, elle était fausse.
Une chose que le Parti ne peut pas contrôler, c’est sa soif de pouvoir. Cette soif le conduit à ne respecter aucun ordre établi, à ne jamais se contenter des pillages déjà réalisés. Or cet appétit crée une sorte de peur. Le régime chinois en vient à penser que l’argent ainsi volé n’est pas suffisant pour se protéger. Ainsi cette logique ne peut jamais s’arrêter. Il s’agit d’une fuite en avant sans fin. Car ce régime pense que s’il s’arrête, il perdra le contrôle et qu’alors, ses opposants et le monde vont revenir avec pour dessin de l’éliminer. Cette peur panique a fait du régime chinois un monstre qui représente aujourd’hui une menace directe pour la civilisation mondiale. Dès lors, il n’y a plus aucun sens de l’équilibre qui le conduirait à arrêter. C’est là l’élément clé de l’erreur tragique du monde occidental commise sur la Chine.
Pensez-vous que le président Xi Jinping puisse en arriver un jour à ordonner à l’Armée populaire de libération d’envahir Taïwan ?
Je n’y crois pas car cela ne va pas dans le sens de ce qu’il souhaite vraiment. Le Parti n’est pas nationaliste. Celui-ci n’est en réalité qu’un outil pour lui permettre de rester au pouvoir. La seule chose qui l’intéresse, c’est sa puissance. Celle qui lui permet de piller et de voler. Envahir Taïwan ne lui apporterait pas le bénéfice dont il a besoin. Certes envahir Taïwan peut l’aider à maintenir sa puissance et son rang. C’est là ma principale inquiétude. Mais le chemin parcouru par le monde sur cette question au cours de ces trois dernières années est impressionnant. Tout particulièrement aux États-Unis. J’en reviens tout juste. Je parle aux autorités américaines de façon constante. Comme vous le savez, je suis membre du Parlement de Taïwan. Ce dernier entretient une collaboration étroite avec le Congrès américain. Nous en sommes arrivés à un moment capital pour la Chine et Taïwan, inédit depuis la guerre civile. En réalité, les membres du Congrès sont parvenus à un consensus sur la question de Taïwan. Il faudrait que les médias français s’intéressent davantage à ce dossier. Les médias européens aussi. Il est temps de réaliser que l’ordre mondial change avec l’éveil en cours de la société américaine sur cette question.
Tout particulièrement avec l’arrivée à la Maison Blanche de Joe Biden ?
L’administration Trump avait déjà défriché le terrain. Elle s’était aventurée sur le champ de bataille. Puis Joe Biden a été élu et il a immédiatement repris le flambeau. Il s’est même empressé de dire qu’il avait pour objectif de rallier les alliés des États-Unis à sa cause. Aujourd’hui, force est de constater que les États-Unis ont appris la leçon et se sont réveillés. Ils sont en train d’évaluer le coût qui sera le leur pour s’extraire de leur dépendance à l’égard de la Chine, le coût de confronter la Chine. J’exhorte l’Union européenne à faire de même. Lorsque les États-Unis ont pris la décision de le faire, ils se sont immédiatement tournés vers leurs alliés pour leur demander de suivre le même chemin. Au bout du compte, l’Union européenne n’aura pas d’autre choix que de prendre une décision : celle de ne plus coopérer avec une Chine irresponsable. Il n’y a pas de solution intermédiaire. Comment l’Union européenne pourrait-elle s’engager dans une direction opposée à celle des États-Unis ? En définitive, c’est le monde entier qui va s’engager sur le chemin de la confrontation avec la Chine. Cela va forcer la Chine à prendre une décision : celle de se soumettre ou non. La force est le seul langage que la Chine comprend. Nous pourrions bien en arriver à une guerre. Mais aujourd’hui celle-ci ne serait pas obligatoirement militaire. Elle pourrait être d’une autre nature telle que monétaire, dans le cyberespace, à travers les hautes technologies du futur. Je ne vois aucune de ces guerres déboucher sur une guerre à Taïwan. Je ne vois pas cela survenir dans les jours, les mois ou les années à venir.
Il reste que l’Union européenne n’en est encore qu’à une première étape sur un éventuel changement de politique à l’égard de la Chine. Peu à peu, elle commence à tomber d’accord avec les États-Unis sur le fait que l’un et l’autre doivent être unis…
Souvenez-vous du massacre de la place Tiananmen le 4 juin 1989. Nous avons commémoré le 30è anniversaire de ce massacre il y a un peu moins de trois ans. A cette occasion, j’ai été invité à prononcer un discours à Washington devant plusieurs douzaines de parlementaires américains, Républicains et Démocrates. Moitié moitié. Ils ont exprimé leur unité complète sur le fait qu’il est désormais indispensable de faire front face à la Chine. Il a fallu qu’un homme d’affaires, Donald Trump, devenu président, pour que les États-Unis prennent conscience qu’ils avaient suivi une politique erronée à l’égard de l’Europe. Il faut bien comprendre que les Etats-Unis et l’Europe partagent les mêmes valeurs universelles que sont la liberté, les droits humains et la démocratie. Il n’y a rien à rechercher sur ce terrain en Chine. Il s’agit là d’une impasse. Espérer quelque chose de la Chine dans ce domaine revient à se tirer une balle dans le pied. C’est ce que je m’évertue à dire aux hommes politiques et aux parlementaires américains. Je leur dis que le moment est venu de se rassembler.
Maintenant, c’est au tour de Hong Kong de devenir un champ de bataille avec l’imposition par le gouvernement chinois de cette sinistre loi sur la sécurité nationale. Le peuple de Hong Kong avait, dans une large mesure, proclamé sa volonté de liberté. Jusqu’à juin 2020, lorsque cette loi a été imposée par Pékin, Hong Kong appartenait au monde libre. Si vous regardez une carte du monde, vous ne devriez pas vous contenter de dire que Hong Kong était une colonie britannique rétrocédée à la Chine en 1997. Il vous faut dire qu’il y a d’un côté un monde libre et de l’autre le reste du monde. Hong Kong faisait partie du monde libre. Aujourd’hui, c’est fini car celui-ci a cédé une ville libre à l’ennemi. Le monde libre a perdu une ville à un régime communiste totalitaire. Voilà les activistes de Hong Kong qui s’étaient mis en tête d’exiger la liberté, ceci jusqu’à ce que la loi sur la sécurité nationale entre en vigueur en juin 2020 et ne les réduise au silence. La Chine leur a dit : « Vous voulez la liberté ? Notre réponse est la Loi sur la sécurité Nationale. » Pékin a alors dépêché à Hong Kong toute une série de responsables pour faire appliquer cette loi, violant ainsi son engagement de respecter l’autonomie de Hong Kong. Pékin à dit au monde libre : « Vous soulez soutenir Hong Kong ? Allez-vous faire voir ! » L’ensemble du monde libre devrait prendre conscience de la signification de ce message.
À cela s’ajoutent les mensonges de Pékin sur l’origine du virus. Le gouvernement chinois va d’ailleurs plus loin puisqu’il accuse le monde occidental d’être à l’origine du virus et de la pandémie qui a suivi. Il est grand temps pour le monde libre de réaliser que la Chine n’est pas du tout un membre qui respecte les règles de la communauté internationale. Les États-Unis disent aujourd’hui qu’il n’est évidemment pas question d’entrer dans le jeu de Pékin. Mais regardez ce que dit le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères : il insulte le monde occidental et n’hésite pas à s’ingérer dans ses affaires intérieures. Ils sont une dizaine de porte-parole mais ils disent tous la même chose. Ils mentent. Aujourd’hui, nous sommes au XXIe siècle. Nous sommes dans une zone étroite et floue qui n’empêche plus la Chine de s’en prendre au reste du monde. Aujourd’hui, il n’y a pas un monde constitué de 200 États mais deux mondes. Aucun de ces deux mondes ne peut respecter les frontières de l’autre. Il est par conséquent devenu temps de réaliser la chose suivante : nous avons créé un ordre mondial qui est le nôtre et nous espérions que cela déboucherait sur un monde libéral et démocratique qui nous soit bénéfique, qui nous permette de maîtriser notre destin et de trouver des solutions aux problèmes qui se posent. Mais cela ne marche pas ainsi. Les États-Unis ont compris cela et j’espère que l’Europe le fera aussi. Nous n’en sommes plus au XXe siècle. Les règles ne sont plus les mêmes. Le monde d’aujourd’hui est plus petit. Le monde se rétrécit avec Internet, les transports à grande vitesse. On peut désormais gagner l’autre côté du monde en une journée. L’ancien monde est mort. Le monde nouveau est celui d’Internet, de la communication instantanée. Pour la Chine communiste, c’est là un grand défi. Car les frontières ont disparu. D’où ce constat : la Chine est la plus grande menace pour la civilisation mondiale.
Comment vous sentez-vous à Taïwan ? Taïwan est-elle devenue une nouvelle patrie pour vous ?
Oui, absolument ! Je suis né à Pékin. J’ai pris la tête en 1989, avec quelques autres, du plus grand mouvement démocratique de l’histoire de la République populaire de Chine. De cela, il en ressort que je suis bel et bien chinois, bien que je sois ouïghour. J’appartiens à un pays, la République du Turkestan oriental qui n’existe plus. Il a été renversé puis occupé par la République populaire de Chine en 1950. Donc je peux dire que je viens aussi de ce pays, même s’il n’existe plus. Je suis donc ouïghour mais chinois de naissance puis taïwanais par choix. Et ce choix est un très bon choix !
Le fait d’être un Ouïghour vivant à Taïwan prouve-t-il que les civilisations ouïghoure et chinoise peuvent coexister en paix ?
Ce sont deux civilisations différentes. Je ne suis pas un philosophe et pas non plus un historien. Mais de mon humble avis, je vois que les civilisations ne se combattent pas les unes les autres. Ces civilisations apprennent l’une de l’autre. Avec l’évolution actuelle, je suis convaincu que ces deux civilisations, ouïghoure et chinoise, pourront apprendre l’une de l’autre et devenir ensemble une nouvelle civilisation.
Pourriez-vous me dire la nature et la portée du défi que vous aviez lancé au Premier ministre chinois Li Peng en mai 1989 ? Vous lui aviez dit : « Merci Premier ministre Li Peng d’accepter de nous parler. Mais il est trop tard, car regardez, ces gens rassemblés sur la Place Tiananmen, ils ont faim ! »
Oui, c’est vrai, Li Peng était en retard. Il s’était excusé et avait dit : « Excusez-moi d’être en retard de vingt minutes. » Mais il avait attribué ce retard au chaos et à l’anarchie qui régnaient alors à Pékin. Il nous a blâmé pour ce retard en nous faisant porter le chapeau. Je l’ai alors interrompu et dit : « Oui, Premier ministre Li. Vous êtes en retard, pas de vingt minutes mais de beaucoup plus longtemps que ça. Nous devions nous voir depuis avril déjà. Mais vous ne nous avez reçu qu’aujourd’hui. Alors ne nous blâmez pas d’avoir créé des bouchons dans Pékin. Vous devriez vous excuser d’être en retard depuis si longtemps ! » Li Peng s’est alors livré à un monologue interminable. Au bout d’un moment, je l’ai interrompu à nouveau et lui ai dit : « Nous sommes ici non pas pour discuter avec vous, mais nos amis étudiants poursuivent une grève de la faim. Nous n’avons pas le temps de prolonger cette discussion. Prolonger cette discussion n’est pas de notre responsabilité, c’est la vôtre. »
La mort du secrétaire général du Parti Hu Yaobang a-t-elle eu une influence déterminante sur les jeunes démocrates chinois ?
Hu Yaobang est mort le 15 avril 1989. Le mouvement étudiant est né dès le lendemain. Sa mort a été le fusible qui a donné naissance à cette gigantesque contestation sur la Place Tiananmen. Nous voulions que la promesse donnée par Hu Yaobang soit respectée. Mais la mort de Hu Yaobang nous rappelle que la promesse de réformes politiques a été trahie.
Propos recueillis par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).