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Chine : la "pensée Xi Jinping" désormais enseignée à l’école primaire

La "pensée Xi Jinping" est enseignée à l'école primaire en Chine depuis la rentrée du 1er septembre 2021. (Source : GT)
La "pensée Xi Jinping" est enseignée à l'école primaire en Chine depuis la rentrée du 1er septembre 2021. (Source : GT)
Pour la rentrée des classes en Chine surgit une nouveauté fracassante : désormais, la « pensée Xi Jinping » sera enseignée dans les écoles primaires. Une initiative que les médias d’État chinois qualifient de « réforme profonde » et de retour aux « intentions initiales » du Parti communiste.
*Stéphane Lagarde est aussi l’un des cofondateurs d’Asialyst.
« C’est comme une longue liste de courses, à l’échelle de la deuxième économie du monde. Le gouvernement chinois régule à tout va depuis quelques mois », écrit le correspondant à Pékin de Radio France Internationale (RFI), Stéphane Lagarde*. « L’e-commerce, c’est fait ! », pointe-t-il. Les nouveaux règlements dans le secteur d’internet s’accompagnent de mesures plus sociétales. Il s’agit là du deuxième niveau de la révolution numérique chinoise. « On a parlé ces derniers jours de la rentrée scolaire chamboulée par la réforme dite de la « double réduction » : interdiction des cours privés, un secteur ultra lucratif jusqu’à aujourd’hui, et fin des devoirs », poursuit le journaliste.
Le gouvernement chinois avait déjà ordonné la semaine dernière que les jeux vidéo en ligne soient limités à trois heures par semaine pour les mineurs, au nom de la lutte contre l’addiction aux écrans pour les plus jeunes.

« Réforme profonde »

*Bloomberg a prédit en juillet dernier que le PIB de la Chine dépasserait celui des États-Unis en 2031 seulement en raison du ralentissement de la croissance constaté actuellement, du fait principalement du ralentissement des exportations suscité par la pandémie, mais aussi de la chute marquée de la consommation intérieure.
Depuis des mois déjà, Xi Jinping affiche un retour aux sources du Parti. Une reprise en main idéologique qui touche en profondeur tous les aspects de la vie quotidienne des Chinois, jeunes et vieux. Oublié le slogan « Enrichissez-vous ! » de Deng Xiaoping. Le père de l’ouverture de la Chine au capitalisme rouge, après avoir été brandi en 1978, a, en quarante ans à peine, permis au pays de s’extraire de la pauvreté, au point de devenir aux alentours de 2028 la première économie du monde en termes de PIB global*.
La « nouvelle ère » de Xi Jinping est, elle, marquée par un retour en arrière aux origines du Parti. En témoignent les références nombreuses à Mao Zedong, en particulier au début de l’été lors des commémorations grandioses des 100 ans du PCC. L’objectif était de présenter Xi comme le nouveau « Grand Timonier » de la Chine, digne hériter de Mao dont il a repris à son compte un culte effréné de la personnalité.
En toile de fond de ces nouvelles directives apparaît une lame de fond idéologique dont la presse, aux ordres du Parti, se fait largement l’écho. Ainsi apparaissent de nouveaux slogans tels que « shenke biange » (深刻变革) qui, en mandarin, peut être traduit par « réforme profonde » ou « changement profond ». Le terme n’est pas sans rappeler les grandes heures du maoïsme qui se sont pourtant révélées funestes pour le pays.
Cette même expression a d’ailleurs été employés par Li Guangman, ancien rédacteur en chef du média officiel Central China Electric Power News. Selon Li, le marché chinois « n’est plus un paradis permettant aux capitalistes de s’enrichir du jour au lendemain ». Il faut se méfier d’un soi-disant « culte de la culture occidentale ».

Réaffirmer l’autorité du Parti et de Xi

D’autres signes sont là pour appuyer encore un peu plus ce phénomène. Autrefois cantonnée à des groupes néo-maoïstes très marginaux, la rhétorique est aujourd’hui au cœur du discours officiel. Xi Jinping a lui-même annoncé un nouveau cap : la « prospérité commune », visant à réduire les inégalités, considérables certes et qui se sont encore fortement creusées ces quatre dernières années à la faveur de l’hyper-croissance économique chinoise.
On peut y voir un double objectif. Cette tendance nouvelle avait commencé l’an dernier lorsque le milliardaire chinois le plus connu, Jack Ma, première fortune du pays et fondateur du géant de l’e-commerce Alibaba, a d’abord « disparu » plusieurs semaines. Il avait ensuite refait surface mais en étant clairement mis sur la touche et contraint à prendre une retraite anticipée dont il ne voulait pas.
Le premier objectif, certes louable et cohérent, est donc de répondre à la grogne populaire, en particulier celle de la classe moyenne, sur plusieurs sujets tels que les prix astronomiques de l’immobilier, de même que le coût très élevé du soutien scolaire. Les géants du numérique se retrouvent au piloris, comme la cible principale des critiques.
Ces mesures, populaires, ont un autre objectif : réaffirmer l’autorité du Parti sur absolument tout, dont en particulier l’économie privée, pourtant le moteur principal de la croissance économique du pays. Le rappel à l’ordre est brutal : il n’y a qu’un patron en Chine, c’est Xi Jinping.
À la faveur de cette reprise en main idéologique se dessinent donc peu à peu les contours d’une nouvelle Chine qui a tendance à se refermer comme une huître sur le monde extérieur, hermétiquement close aux idées occidentales et, évidemment, cela va sans dire, aux valeurs occidentales que sont les droits humains, le multipartisme, une justice indépendante et le droit d’expression.
Les signes sont là pour appuyer cette démonstration saisissante de même qu’effrayante. Le 31 août, Xi Jinping, qui est aussi secrétaire général du Parti, a prononcé un discours à l’occasion de la rentrée des jeunes cadres à l’école centrale du Parti. Il a mis l’accent sur la « loyauté absolue à l’égard du Parti », le « rejet des illusions » et la nécessité d’oser « affronter les défis ». Le numéro un chinois a insiste sur un fait en particulier : il ne faut pas « bouger d’un pouce » sur les principes fondateurs du régime communiste qui dirige la Chine depuis 1949.

Contestation interne

Cette campagne idéologique survient à un moment doublement délicat. D’une part, la confrontation avec les États-Unis devient de plus en plus frontale. D’autre part, le président chinois veut se poser en maître absolu du pays à l’approche du XXe Congrès du Parti à l’automne 2022 où il pourrait, grâce à une modification de la Constitution en 2018, obtenir un troisième mandat, voire un mandat sans limite, alors qu’il n’a toujours pas désigné de dauphin pour lui succéder.
Xi Jinping est-il déjà le leader suprême et incontesté de la Chine ? Un début de contestation semble gronder dans les arcanes du Parti, certes encore peu perceptible au monde extérieur. Mais ce mécontentement prend pour cible celui qui a, ces dernières années, commis quelques erreurs importantes. La première d’entre elles a été de lancer une répression brutale et impitoyable contre la minorité de confession musulmane des Ouïghours dont il est aujourd’hui patent que Xi est le seul architecte depuis 2015.
Le président chinois n’avait en réalité jamais anticipé que cette répression puisse finir par se savoir en Occident, dans un monde où l’information circule plus que jamais. La répression des Ouïghours est désormais condamnée partout au point d’être maintenant qualifiée de « génocide » par deux administrations américaines successives, de Donald Trump à Joe Biden. Ce terme de « génocide » a en outre fait l’objet de textes de loi adoptés par les parlements canadien, britannique, néerlandais et, peut-être bientôt, français.
Une deuxième erreur a été la mise au pas, toute aussi brutale, de Hong Kong, l’ancienne colonie britannique. Une entreprise qui a vu l’emprisonnement de plusieurs centaines de leaders pro-démocratie après l’imposition en juin 2020 d’une loi sur la sécurité nationale qui punit d’une peine maximale de détention à perpétuité toute personne reconnue coupable de « sécession », « séparatisme » ou « intelligence avec une puissance étrangère ». Cette mise au pas a, elle aussi, suscité un concert de protestations à travers le monde. Tout comme celle des Ouïghours, elle a durablement terni l’image de la Chine.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).