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La Chine en mesure de paralyser la défense taïwanaise, selon Taipei

La Chine dispose de missiles capables de frapper tout endroit de l’île et de "paralyser" les centres de commandement taïwanais ainsi que ses installations militaires servant les opérations aériennes, maritimes et terrestres. (Source : National Interest)
La Chine dispose de missiles capables de frapper tout endroit de l’île et de "paralyser" les centres de commandement taïwanais ainsi que ses installations militaires servant les opérations aériennes, maritimes et terrestres. (Source : National Interest)
Les forces armées de la Chine sont désormais en mesure de « paralyser » les installations de défense de Taïwan et capables de surveiller en permanence les mouvements de son armée, a révélé ce mercredi 1er septembre le ministère de la défense de Taïwan. Un aveu sans précédent du gouvernement taïwanais qui reconnaît ainsi que la menace d’une invasion chinoise devient plus que jamais crédible.
Un chasseur de fabrication taïwanaise IDF (Indigenous Defense Fighter) a rendu publique des photos prises lors de simulations d’une invasion par l’Armée populaire de libération (APL) dans la région de Pingtung, dans le sud de l’île. Cette information fait partie du rapport annuel du ministère taïwanais de la Défense remis au parlement de l’île cité par l’agence Reuters. Il y expose une situation nettement plus grave que celle qu’il avait donnée il y a un an, quand il soutenait que la Chine était encore loin de posséder les capacités de lancer une invasion contre Taïwan.
Le rapport diffusé cette année explique au contraire que la Chine est désormais en mesure de lancer une « attaque molle et dure sur le plan électronique », y compris par le biais d’un blocage total des communications dans une bonne partie du territoire de Taïwan. Pékin « peut maintenant combiner des opérations numériques de son armée qui auraient pour conséquences, dans un premier temps, de paralyser nos défenses aériennes, les centres de commandement en mer et nos capacités de contre-attaquer, ce qui constitue une menace gigantesque pour nous », alerte ce rapport.

« L’offensive » potentielle des espions chinois à Taïwan

D’autre part, les forces militaires de la Chine ont amélioré leurs capacités de reconnaissance du terrain de façon significative avec l’utilisation du système chinois de navigation par satellite Bidou déployé dans l’espace l’an dernier et qui représente aujourd’hui une alternative au système américain GPS, ajoute ce rapport. Ces nouvelles capacités militaires chinoises signifient que Pékin peut désormais surveiller tous les mouvements autour de Taïwan et faciliter ainsi l’utilisation de ses avions espions, ses drones et ses navires équipés pour mener des opérations de renseignement.
Ce même document ajoute néanmoins que la Chine n’est pas encore prête pour mener à bien une invasion de grande ampleur puisqu’elle manque de capacités de transport et sur le plan logistique. Mais, l’APL travaille en ce moment à renforcer et améliorer ses capacités dans ce domaine.
La Chine dispose en outre de missiles d’une précision inégalée au sein de l’APL qui peuvent frapper tout endroit de l’île et peuvent, eux aussi, « paralyser » les centres de commandement taïwanais ainsi que ses installations militaires servant les opérations aériennes, maritimes et terrestres.
Les espions chinois qui opèrent sur le sol de Taïwan sont, quant à eux, capables de lancer « une offensive qui auraient pour objectif de décapiter » les infrastructures politiques et économiques de l’île, poursuit le rapport. Plus grave encore, au fur et à mesure du déploiement de missiles de moyenne et longue portée et des opérations de ses porte-avions, la Chine « s’efforce de se mettre en capacité de retarder toute intervention étrangère » en cas d’invasion de Taïwan, selon le ministère.

Domination militaire chinoise inévitable ?

Jamais à ce jour le gouvernement de Taïwan n’avait lancé un tel cri d’alarme. Une ombre est jetée sur les capacités taïwanaises à se défendre contre une agression chinoise. Cet aveu semble principalement dirigé vers les États-Unis qui, dans une loi adoptée début 1979 par le Congrès américain, s’engagent à fournir à Taïwan des armes en quantités suffisantes pour assurer sa défense. Cette loi, le Taiwan Relations Act, avait été adoptée en même temps que la reconnaissance par les Américains de la République populaire de Chine et que la rupture des relations diplomatiques entre Washington et Taipei.
Après l’adoption de cette loi, Washington avait cependant pris soin de laisser planer le doute : ses forces armées interviendront-elles directement ou non aux côtés de Taïwan en cas d’invasion ? Une « politique d’ambiguïté stratégique » qu’elle n’a jamais voulu abandonner.
La menace d’une invasion chinoise a eu pour conséquence de rapprocher le Japon et Taïwan. Dernière illustration en date, les propos tenus par le ministre japonais de la Défense Kishi Nobuo qui, le 12 août dernier, avait jugé que « la stabilité militaire » dans la région était cruciale non seulement pour le Japon mais pour le monde entier. Dans une interview accordée le mois dernier au quotidien australien The Sydney Morning Herald, Kishi Nobuo, frère de l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe, a indiqué que l’écart militaire entre Taïwan d’un côté et la Chine de l’autre s’accroissait « davantage chaque année » : « Dans le cas d’une confrontation entre Taïwan et la Chine, la situation se détériore énormément en faveur de Pékin. »
La Chine s’efforce depuis quelques années de modifier l’équilibre des forces militaires en Asie à son avantage, ajoute le ministre nippon. Par conséquent, l’Australie et d’autres pays alliés doivent tout faire pour faire en sorte que la domination militaire chinoise dans la région ne devienne pas inévitable.
Comme à son habitude, la Chine a soufflé le chaud et le froid. C’est ainsi que ce mardi 31 août, le nouvel ambassadeur de Chine à Washington a enjoint les Américains de ne pas traiter la Chine de la même manière que l’ancienne Union soviétique. Ce serait « un jugement erroné » de la part des États-Unis, a déclaré Qin Gang : « La Chine n’est pas l’Union soviétique. Cette dernière s’est effondrée de son propre fait. La politique chinoise extrême suivie par l’ancienne administration [Trump] a causé de sérieux dommages à nos relations et cette situation n’a pas changé. Elle continue même. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).