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Quand Pékin se rapproche des talibans, Washington et Taipei resserrent les liens

(Source : Japan Times)
(Source : Japan Times)
Les États-Unis abandonneront-ils Taïwan comme l’Afghanistan ? C’est ce que Pékin martèle. Cependant, le rapprochement sensible de la Chine avec le nouveau régime des talibans qui ont pris le pouvoir à Kaboul a eu pour conséquence un nouveau resserrement spectaculaire des liens entre les États-Unis et Taïwan.
Le 18 août, le président américain Joe Biden n’a pas mâché ses mots. Si d’aventure l’Armée populaire de libération (APL) devait lancer l’assaut contre Taïwan, les États-Unis « répondraient » à une telle agression, a dit le locataire de la Maison Blanche.
Lors d’une interview avec le journaliste George Stephenopoulos de la chaîne de télévision ABC, Joe Biden a noté que la Chine et la Russie avaient lancé une vaste opération de propagande autour du retrait précipité des forces américaines d’Afghanistan. La Chine, a-t-il ajouté, a exploité la situation à l’extrême, allant jusqu’à comparer l’Afghanistan et Taïwan. « Vous pouvez déjà voir la Chine disant à Taïwan : « Vous voyez ? Vous ne pouvez pas compter sur les Américains ». Pourquoi la Chine dit-elle cela ? En réalité, il existe une différence fondamentale » entre l’attitude des États-Unis et ses alliés dont Taïwan, la Corée du Sud et l’OTAN, a voulu souligner Joe Biden, ajoutant : « Nous nous trouvons dans une situation où nous sommes face à des entités avec lesquelles nous avons conclu des accords qui ne sont pas basés sur une guerre civile sur cette île ou encore en Corée du Sud, mais un accord où ces derniers bénéficient d’un gouvernement. »
Le président américain n’a pas fait référence à l’article 5 adopté par le congrès américain en 1979 dans lequel les Américains s’engagent à fournir aux Taïwanais les armes nécessaires pour assurer leur défense contre toute agression extérieure. Ce texte de loi avait été adopté simultanément avec la reconnaissance par Washington de la République populaire de Chine. « Les États-Unis s’engagent à mettre à disposition de Taïwan toutes armes en quantité suffisante pour lui permettre de maintenir des capacités militaires suffisantes pour assurer sa défense », précise ce texte.

« Ambiguïté stratégique » maintenue

Joe Biden a en revanche cité l’Article 5 de l’OTAN dans lequel l’Alliance énonce que toute attaque contre un pays membre de l’Organisation serait considéré comme une attaque contre tous les pays qui en sont membres. « Nous avons écrit cet engagement. Nous avons adopté un engagement sacré qui dit que si quiconque voudrait envahir et prendre des mesures contre nos alliés de l’OTAN, nous répondrions. Il en va de même avec le Japon, la même chose avec la Corée du Sud et encore la même chose avec Taïwan », a-t-il insisté. De fait, les États-Unis ont déjà un traité de défense avec le Japon et la Corée du Sud. C’est cependant la première fois que le président américain cite Taïwan dans ce cadre.
Ces propos de Joe Biden aurait pu signaler un changement de fond de la politique des États-Unis à l’égard de Taïwan puisque Washington a toujours soigneusement observé une « ambiguïté stratégique » sur le fait de savoir si l’Amérique interviendrait ou non militairement pour repousser une tentative d’envahir l’île. Mais dès le 20 août, un responsable de haut rang de l’administration Biden a déclaré qu’il ne fallait pas lire dans les propos du président américain un changement de politique à l’égard de Taïwan. « La politique des États-Unis sur ce sujet n’a pas changé », a-t-il déclaré, suggérant l’idée que Joe Biden s’était « mal exprimé ».
Les autorités de Taïwan n’ont d’ailleurs pas tardé à réagir. Elles ont remercié Biden pour ses propos, ajoutant toutefois la nécessité de demeurer vigilants pour le cas où le président américain se serait mal exprimé.

« Joe Biden a perdu la face dans cette débâcle »

Cette déclaration du président américain a néanmoins suscité la colère de Pékin. « Établir un lien entre l’article 5 de la charte de l’OTAN et Taïwan ? Voilà quelque chose qu’aucun responsable américain n’avait osé faire jusqu’à ce jour », soulignait le lendemain journal de langue anglaise Global Times, filiale du Quotidien du Peuple, émanation du Parti communiste chinois.
Joe Biden a en réalité, dans sa déclaration à l’égard de Taïwan, tenté de dissimuler les effets dévastateurs de la débâcle américaine en Afghanistan, a encore ajouté le Global Times. Avec cette debâcle, le président américain a « perdu la face », estime le journal. « Joe Biden a perdu la face dans cette débâcle. Il se retrouve aujourd’hui assailli de critiques émanant de l’opinion publique américaine ains que des alliées des États-Unis. Il s’agit pour lui du moment le plus difficile depuis sa prise de fonction. En effet, il ne s’agit pas là de sa réputation personnelle et de son soutien dans l’opinion américaine mais bien plutôt de l’impact direct que cette affaire aura sur le Parti démocrate lors des prochaines élections de mi-mandat l’année prochaine. »
« Mais quelles que soient les raisons pour lesquelles Biden a proféré ces remarques, poursuit le Global Times, il faut bien noter qu’il s’agit là d’un discours creux sans réelle détermination stratégique et sans qu’interviennent de réels préparatifs militaires. La réalité aujourd’hui est que ni Biden ni le gouvernement américain n’ont encore la crédibilité pour convaincre le monde extérieur qu’ils gardent la volonté et la capacité de s’engager dans une épreuve de force avec la Chine dans le détroit de Taïwan. »

« La Chine rêve d’imiter les talibans »

Le 21 août, le ministre taïwanais des Affaires étrangères Joseph Wu avait estimé que la Chine souhaitait « imiter » les talibans. L’île revendiquée par Pékin n’a aucune intention de se soumettre aux « crimes du communisme ainsi qu’aux crimes contre l’humanité », a ajouté le chef de la diplomatie. Répondant à un appel exprimé par le département d’État américain enjoignant Pékin à mettre fin à ses opérations d’intimidation dirigées contre Taïwan, Joseph Wu a déclaré sur son compte Twitter que Taïwan remerciait les États-Unis pour leur soutien, soulignant que ce soutien servait les intérêts bien compris du peuple taïwanais. Taïpei, a-t-il ajouté, « souscrit aux valeurs de la démocratie et de la liberté à l’inverse du communisme, de l’autoritarisme er des crimes contre l’humanité » prêtés au régime chinois. « La Chine rêve d’imiter les talibans mais permettez-moi d’être direct et franc : nous possédons la volonté et les moyens de nous défendre. »
La Chine a été l’un des premiers pays à se montrer ouvert à des relations diplomatiques avec les talibans lorsqu’ils ont repris le contrôle de l’Afghanistan. Une reconnaissance de leur gouvernement par Pékin, comme par Moscou, serait une aubaine pour les mollahs, dont l’isolement international avait contribué à leur chute en 2001. Le 28 juillet, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi avait reçu en grande pompe une délégation des talibans présidée par leur cofondateur et numéro deux, le mollah Abdul Ghani Baradar, accompagné de leur chef du Conseil des Affaires religieuses, dans la cité portuaire de Tianjin, à 100 kilomètres à l’est de Pékin.
Wang Yi avait alors déclaré que l’Afghanistan étant le plus grand voisin de la Chine, celle-ci a toujours respecté l’indépendance, l’intégrité territoriale de ce pays et entend ne pas s’ingérer dans ses affaires intérieures tout en observant une politique d’amitié à l’égard de l’ensemble de la population afghane. L’Afghanistan appartient au peuple afghan et son avenir doit reposer dans les mains de son peuple, avait soutenu le chef de la diplomatie chinoise. Le retrait précipité de l’armée américaine illustre la faillite de la politique de Washington à l’égard de ce pays, avait encore estimé Wang Yi. De ce fait, le peuple afghan a désormais une occasion importante de parvenir à une stabilité nationale et d’assurer son développement économique. Le ministre avait précisé que les talibans représentaient une force militaire et politique importante en Afghanistan et devaient par conséquent jouer un rôle central dans la construction de la paix, la réconciliation et la reconstruction du pays.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).