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Afghanistan : le pari de la Chine avec les talibans

Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi (au centre) reçoit la délégation des talibans menée par le mollah Abdul Ghani Baradar (à gauche de Wang Yi), le 2! juillet 2021 à Tianjin.
Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi (au centre) reçoit la délégation des talibans menée par le mollah Abdul Ghani Baradar (à gauche de Wang Yi), le 2! juillet 2021 à Tianjin.
La Chine a été l’un des premiers pays à se montrer ouvert à des relations diplomatiques avec les talibans lorsqu’ils ont repris le contrôle de l’Afghanistan. Une reconnaissance de leur gouvernement par Pékin, comme par Moscou, serait une aubaine pour les mollahs, dont l’isolement international avait contribué à la chute en 2001.
Le 28 juillet, le ministre des Affaires étrangères et Conseiller d’Etat chinois Wang Yi a reçu une délégation des talibans présidée par le chef de la Commission politique des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur et numéro deux du mouvement intégriste, dans la cité portuaire de Tianjin, à 100 kilomètres à l’Est de Pékin. Faisait aussi partie de cette délégation le chef du Conseil des Affaires religieuses des talibans.
Wang Yi a alors déclaré que l’Afghanistan étant le plus grand voisin de la Chine, celle-ci a toujours respecté l’indépendance, l’intégrité territoriale de ce pays et entend ne pas s’ingérer dans ses affaires intérieures tout en observant une politique d’amitié à l’égard de l’ensemble de la population afghane.
L’Afghanistan appartient au peuple afghan et son avenir doit reposer dans les mains de son peuple, a soutenu le chef de la diplomatie chinoise. Le retrait précipité de l’armée américaine illustre la faillite de la politique de Washington à l’égard de ce pays, a encore estimé Wang Yi : de ce fait, le peuple afghan a désormais une occasion importante de parvenir à une stabilité nationale et d’assurer son développement économique.
Le ministre a précisé que les talibans représentaient une force militaire et politique importante en Afghanistan et devaient par conséquent jouer un rôle central dans la construction de la paix, la réconciliation et la reconstruction du pays.

« Un ami sur qui l’on peut compter »

« Nous formulons l’espoir que les talibans placeront les intérêts du pays tout en haut de leurs priorités et qu’ils porteront haut l’étendard des discussions de paix, qu’ils construiront un objectif de paix ainsi qu’une image positive du pays de même qu’ils mèneront une politique inclusive, a déclaré wang Yi. Toutes les tendances et toutes les ethnies d’Afghanistan doivent se rassembler pour ne former qu’une seule entité et avoir pour objectif le principe d’un « Afghanistan maître chez lui. Ils devront s’attacher à chercher la paix et la réconciliation nationale et à établir de façon indépendante des structures politiques larges qui puissent convenir aux réalités nationales de l’Afghanistan. »
Le chef de la diplomatie chinoise a insisté sur le fait que le Mouvement islamique du Turkestan oriental (East Turkestan Islamic Movement, ETIM) est une organisation internationale terroriste qualifiée comme telle par le Conseil de sécurité des Nations unies. Ce mouvement « constitue une menace directe pour la sécurité nationale de la Chine et son intégrité territoriale. Combattre ce mouvement relève d’une responsabilité commune pour la communauté internationale, a martelé Wang Yi. Nous espérons que les talibans s’attacheront à rompre de façon claire avec toutes les organisations terroristes, y compris l’ETIM, et lèveront tous les obstacles dans ce but afin de créer des conditions pour la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération dans la région. »
Le mollah Baradar a, quant à lui, exprimé sa satisfaction d’avoir été reçu par le ministre chinois. La Chine, a-t-il souligné, « a toujours été un ami du peuple afghan, sur qui l’on peut compter », ajoutant qu’à titre personnel il saluait « le rôle juste et positif » joué par Pékin dans la recherche de la paix et de la réconciliation en Afghanistan.
Les talibans, a-t-il insisté, « ont pour objectif sincère de travailler pour la paix. Ils sont prêts à travailler avec les autres parties afghanes afin d’établir un cadre politique en Afghanistan qui soit élargi et inclusif et accepté par l’ensemble des Afghans. Les talibans s’attacheront à protéger les droits humains, spécialement ceux des femmes et des enfants. Les talibans ne permettront jamais à toute force de tirer parti du territoire de l’Afghanistan pour s’engager dans des actes portant tort à la Chine. »
Le mollah espère que la Chine développera des relations amicales avec ses pays voisins : « La Chine doit être davantage impliquée dans le processus de paix et de réconciliation en Afghanistan et doit jouer un rôle plus important dans le processus de développement et de reconstruction du pays. »
On sait aujourd’hui que les promesses des talibans concernant notamment les filles et les femmes ont déjà été trahies, tout comme celles portant sur l’ouverture du futur gouvernement taliban à Kaboul aux différentes parties en présence.

Aubaine pour les talibans

Pékin n’a pas manqué de qualifier le retrait précipité des troupes américaines d’Afghanistan de « faillite » de la politique américaine dans ce pays. Ce retrait précipité, après vingt ans de présence militaire sur le territoire afghan qui a coûté plus de mille milliards de dollars à l’Amérique, a permis le retour au pouvoir des talibans en une dizaine de jours à peine, déjouant tous les pronostics du président américain. Il y a quelques jours encore, Joe Biden affirmait que l’armée afghane serait en mesure de résister au moins un an.
Il faut souligner que Pékin redoute plus que tout que la victoire des talibans ne suscite une déstabilisation du Xinjiang, déjà frappé par une série d’attentats entre 2013 et 2014, ceci alors que les talibans ont par le passé entretenu des relations étroites avec certains groupuscules islamistes ouïgours basés en Afghanistan.
Depuis 2015, le gouvernement chinois mène une politique répressive envers la population ouïghoure de confession musulmane à l’intérieur du Xinjiang : plus d’un million de Ouïghours et d’autres minorités seraient détenus dans des camps de rééducation qualifiés par Pékin de « centres de formation professionnelle », selon de nombreuses sources occidentales. Les parlements du Canada, du Royaume-Uni, des Pays-Bas ont adopté des textes qui accusent Pékin de mener un « génocide » au Xinjiang.
« La priorité de la Chine est d’éviter que des mouvements hostiles n’aillent se former en Afghanistan et viennent ensuite opérer sur son territoire. C’est la raison pour laquelle elle veut privilégier la stabilité politique de son voisin, même si cela implique de s’entendre avec les talibans », soulignait récemment Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), et spécialiste de la Chine.
Ce rapprochement est une aubaine pour les talibans. Bien conscients que leur isolement a contribué à précipiter leur chute fin 2001, ces derniers sont aujourd’hui à la recherche de soutiens sur la scène mondiale. « Ils ont besoin d’une reconnaissance internationale pour gagner en légitimité et consolider leur pouvoir. Obtenir l’appui de deux grandes puissances comme la Chine et la Russie serait pour eux un atout considérable », estime ainsi Karim Pakzad, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste de l’Afghanistan, de l’Iran et de l’Irak.
C’est là le principal élément que leur font miroiter Pékin et Moscou. L’envoyé présidentiel russe pour l’Afghanistan, Zamir Kaboulov, a ainsi récemment affirmé que la Russie pourrait reconnaître le pouvoir taliban si celui-ci se comporte de manière « responsable ».
« Il faudra que les intérêts russes soient garantis : c’est-à-dire que la protection des diplomates et ressortissants russes présents en Afghanistan soit assurée, et qu’il n’y ait pas de déstabilisation des pays faisant partie de la zone d’influence russe dans la région », relève Carole Grimaud Potter, fondatrice du Center for Russia and Eastern Europe Research, basé à Genève. Le discours est similaire chez le voisin chinois.

« Un stock immense de lithium, pas exploité à ce jour »

Mais il existe une autre raison à l’intérêt porté par la Chine pour l’Afghanistan : l’abondance dans son sous-sol de cuivre, de terres rares, de lithium et d’autres métaux. En 2013, l’énorme potentiel de toutes les ressources souterraines de l’Afghanistan était estimé à mille milliards de dollars dans un rapport commun de l’ONU et de l’Union européenne datant de 2013. Le sous-sol de l’Afghanistan regorge de minéraux jugés critiques pour la transition énergétique et climatique. Selon certaines estimations, ces gisements représentent une manne non exploitée à ce jour, et donc désormais aux mains du régime taliban au pouvoir dans le pays. « L’Afghanistan a des gisements de bauxite, de cuivre, de fer, de lithium et de terres rares », indique le dernier rapport annuel sur les ressources minières en Afghanistan publié en janvier 2021 par l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS).
Alors que le monde essaie de se passer d’énergies fossiles comme le pétrole et le gaz, ces métaux sont de plus en plus recherchés pour transporter ou stocker l’électricité. Le cuivre, essentiel pour la fabrication de fils électriques, a ainsi battu son record historique cette année sur les marchés mondiaux, en cotant plus de 10 000 dollars la tonne. Le lithium est une ressource essentielle à la transition énergétique. Il est utilisé pour le stockage de l’énergie dans des batteries ou des fermes solaires ou éoliennes.
En 2020, le lithium a rejoint la liste officielle des 30 matières premières jugées « critiques » pour son indépendance énergétique par l’Union européenne, aux côtés du cobalt, du graphite, du silicium ou du tantale notamment. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a de son côté estimé en mai dernier que la demande mondiale de lithium allait être multipliée par 40 d’ici 2040. Or, l’Afghanistan « est assis sur un stock immense de lithium, pas exploité à ce jour », indique à l’AFP Guillaume Pitron, auteur du livre La guerre des métaux rares (Les liens qui libèrent, 2018).
Les terres rares comme le néodyme, le praséodyme ou le dysprosium, que l’on trouve aussi en Afghanistan, sont cruciales dans la fabrication d’aimants utilisés dans des industries d’avenir que sont l’éolien ou la voiture électrique. Le pays, dont la richesse du sous-sol est légendaire, était jusqu’à présent surtout connu pour ses pierres précieuses (lapis-lazuli, émeraudes, rubis, tourmaline), son talc ou même son marbre. Il produit aussi du charbon, et des métaux traditionnels comme le fer.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).