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Origines du Covid-19 : la Chine et l’OMS en plein divorce

"Comme vous le savez bien, j’étais moi-même un technicien de laboratoire et un immunologiste et j’ai travaillé dans des laboratoires. Et des accidents dans les laboratoires, ça arrive", a déclaré le directeur général de l’OMS, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, le 15 juillet 2021, appelant la Chine a accepté une nouvelle enquête sur son sol pour déterminer l'origine du Covid-19. (Source : The Conversation)
"Comme vous le savez bien, j’étais moi-même un technicien de laboratoire et un immunologiste et j’ai travaillé dans des laboratoires. Et des accidents dans les laboratoires, ça arrive", a déclaré le directeur général de l’OMS, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, le 15 juillet 2021, appelant la Chine a accepté une nouvelle enquête sur son sol pour déterminer l'origine du Covid-19. (Source : The Conversation)
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé à la Chine ce jeudi 22 juillet de rouvrir son enquête sur l’origine du Covid-19, en mentionnant de la possibilité d’une fuite de laboratoire. Réactions immédiates et indignées de Pékin qui se déclare « très surpris » et juge la proposition « arrogante », « irrespectueuse » et « contraire au sens commun ».
Zeng Yixin, vice-ministre de la Commission Nationale de la Santé, s’est déclaré « très surpris » lorsqu’il a pris connaissance de l’étude proposée par l’OMS. En cause, selon lui : cette étude « émet l’hypothèse que la Chine a manqué aux protocoles, causant peut-être ainsi une fuite de laboratoire, cette thèse étant l’une des pistes prioritaires de ses recherches ».
Jamais l’OMS n’avait été aussi loin sur ce terrain miné où la Chine suscite des soupçons croissants à l’étranger en refusant avec obstination toute enquête internationale sur son sol sur l’origine d’un virus. La pandémie de Covid-19, rappelons-le, est responsable de la mort de 4,13 millions de personnes en date du 22 juillet, depuis que le coronavirus est apparu à Wuhan en septembre 2019.
Aucun des chercheurs de l’Institut de Virologie de Wuhan n’a été infecté par le Covid-19 et le laboratoire P4 de Wuhan n’a, à aucun moment, mené de recherche de nature à être dangereuse pour l’homme, a tenu à affirmer le vice-ministre. « La situation ne permet aucun soupçon, insiste Zeng Yixing. Les chercheurs en sont sûrs, il n’existe aucune preuve d’une fuite de laboratoire. Ainsi, le virus a-t-il pu provenir d’une fuite de laboratoire ? Cette nouvelle étude [proposée par l’OMS] pour examiner les origines du virus est tout à la fois irrespectueuse vis-à-vis du sens commun et contraire sous certains aspects à la science. Voici pourquoi il est totalement exclu que nous acceptions cette proposition. A partir de là, voici pourquoi, je trouve dans ce programme un non-respect pour le sens commun et une arrogance à l’égard de la science. »
La semaine dernière, le directeur général de l’OMS, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait expliqué qu’il pensait « prématuré » d’abandonner la théorie selon laquelle l’apparition du virus pouvait trouver sa source dans une fuite de laboratoire. « Comme vous le savez bien, j’étais moi-même un technicien de laboratoire et un immunologiste et j’ai travaillé dans des laboratoires. Et des accidents dans les laboratoires, ça arrive », a-t-il déclaré. Le même Ghebreyesus a donc invité Pékin à coopérer pour de nouvelles investigations qui devraient nécessairement être transparentes afin de parvenir à enfin découvrir ce qui a bien pu se passer.

Fuite de laboratoire, une thèse d’abord discréditée par Trump

La thèse d’un accident de laboratoire a pour la première fois été évoquée par Donald Trump et son administration en avril 2020. Cette thèse avait perdu toute crédibilité lorsque certains, dans l’entourage de l’ex-président américain, s’étaient mis à avancer l’idée d’un acte volontaire dont le but était de mettre au point des armes biologiques. Une thèse conspirationniste qui avaient eu pour effet de geler les recherches sur les origines du virus.
Sur la base de ces accusations graves, des scientifiques de grand renom s’étaient prononcés contre des spéculations jugées sans fondement, dans un article publié par The Lancet, la revue qui fait autorité en la matière.
C’est le président Joe Biden qui, fin mai dernier, a relancé l’affaire en ordonnant aux services de renseignement américains d’enquêter sur ce dossier et de lui rendre leurs conclusions dans les 90 jours. En particulier sur le fait de savoir si oui ou non il y a eu fuite de laboratoire.

« Pas le mot de la fin »

Comme attendu, le rapport de l’OMS sur les origines du Covid-19 publié le 29 mars dernier ne fait pas toute la lumière sur la source de cette pandémie. Lors d’une présentation des résultats de cette enquête, Tedros Ghebreysesus ne s’était pas privé de critiquer le manque d’accès aux données brutes accordé par les autorités chinoises. Les experts internationaux « avaient fait part de leurs difficultés à accéder aux données brutes » pendant leur séjour en Chine l’an dernier, avait-il souligné. Une rare critique publique de la façon dont Pékin a géré cette enquête conjointe.
De nombreux spécialistes considèrent aussi que les experts qui se sont rendus à Wuhan pendant quatre semaines en mars dernier n’ont pas eu assez de latitude pour travailler librement. La désignation des dix experts-enquêteurs avait d’ailleurs été au centre d’intenses tractations entre Pékin et l’OMS. La Chine avait obtenu de coopter les scientifiques en question et de restreindre leur marge de manœuvre. « J’espère que de nouvelles études collaboratives seront basées sur un partage de données plus large et plus rapide », avait alors conclu le directeur général de l’OMS.
Le chef de la délégation des experts internationaux, Peter Ben Embarek, avait bien tenté de minimiser la chose en conférence de presse, affirmant qu’en Chine comme ailleurs, certaines données ne pouvaient pas être partagées pour des raisons de respect de la vie privée. Mais le patron de l’OMS avait enfoncé le clou et réclamé que soit diligentée une nouvelle enquête, menée avec des experts spécialisés, sur l’hypothèse d’une fuite du coronavirus d’un laboratoire en Chine, ceci bien que l’OMS eût, dans un premier temps, estimé qu’une telle fuite était « extrêmement improbable ».
« Ce rapport est un début très important, mais ce n’est pas le mot de la fin », a fini par souligner le directeur général de l’OMS, ouvrant la voie à de nouvelles recherches. De son côté, l’Union européenne a également salué un « premier pas utile » mais « tout en regrettant le démarrage tardif de l’enquête, le retard dans le déploiement des experts [en Chine] et la disponibilité limitée des spécimens et données » remontant aux débuts de la pandémie.

Fort Derrick, le contre-feu chinois

C’est précisément ce changement de ton radical de l’OMS qui consacre le divorce entre cette institution et Pékin, divorce qui semble aujourd’hui bel et bien consommé. En réalité, loin de se contenter de démentir toute idée de fuite de laboratoire, le gouvernement chinois se met à pointer du doigt un manque de transparence des États-Unis.
Responsables et médias officiels chinois font en effet maintenant cause commune et font feu de tout bois pour pointer le laboratoire de Fort Detrick, près de Washington, comme étant à l’origine du Covid-19. Ce site est au cœur de la recherche américaine contre le bioterrorisme. Fort Detrick est un centre biomédical du Commandement médicale de l’armée américaine, situé au nord de la ville de Frederick au Maryland.
Historiquement, c’était une base du programme américain d’armes biologiques jusqu’en 1969. De nos jours, c’est un centre de recherche biomédicale abritant un laboratoire P4, contenant 67 agents et toxines dont Ebola, la variole, l’anthrax, la peste, et le poison ricin. Fermé à l’été 2019 pour cause de failles de sécurité, le site est de nouveau opérationnel depuis le 27 mars 2020.
Selon le Global Times, quotidien de langue anglaise à tonalité nationaliste placé sous la tutelle du Quotidien du Peuple, lui-même l’organe du Parti Communiste chinois, a lancé ce mercredi 21 juillet une pétition pour l’ouverture d’une enquête sur Fort Detrick. Il ne fait aucun doute que cette pétition va réunir un grand nombre de signatures. Mais les accusations chinoises semblent bien peu convaincantes et tiennent plus du chant du cygne que d’une initiative qui puisse faire son chemin auprès de l’opinion mondiale.
Cette controverse risque d’ailleurs fort d’être au menu des discussions qu’aura en Chine à partir de ce dimanche 24 juillet la sous-secrétaire d’État Wendy Sherman, la plus haute responsable américaine à se rendre dans le pays depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche le 20 janvier dernier.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).