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Émissaires à Taipei, rencontre avec Suga : Biden affiche un soutien prudent à Taïwan

Le président américain Joe Biden lors de sa conférence de presse conjointe avec le Premier ministre japonais Yoshihide Suga, à la Maison Blanche le 16 avril 2021. (Source : Japan Times)
Le président américain Joe Biden lors de sa conférence de presse conjointe avec le Premier ministre japonais Yoshihide Suga, à la Maison Blanche le 16 avril 2021. (Source : Japan Times)
Spectaculaire mais pas téméraire. Joe Biden vient de clore une séquence qui, sans surprise, exaspère la Chine. En quelques jours, il a envoyé un proche conseiller assurer la présidente taïwanaise du soutien des États-Unis, et il a reçu le Premier ministre japonais à Washington pour réaffirmer avec lui « l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan ». Pour le moment, le successeur de Donald Trump se garde de tracer la ligne rouge face à Pékin : la défense militaire automatique de Taïwan en cas d’invasion chinoise.
Ce jeudi 15 avril, une délégation américaine composée de Chris Dodd, un ancien sénateur très proche de Joe Biden, ainsi que des anciens secrétaires d’Etat adjoints Richard Armitage et James Steinberg ont été reçus par la présidente de Taïwan Tsai Ing-wen. Ils lui ont transmis un message personnel du président américain. Une visite sans précédent destinée à montrer que les États-Unis représentent « un ami fiable et digne de confiance » de « l’île rebelle ».
Cette audience été suivie d’un dîner, la présidente taïwanaise en profitant pour les charger de transmettre un message personnel au président américain. Chris Dood a expliqué que leur visite à Taïwan, organisée à la demande expresse de Joe Biden, visait à réaffirmer l’engagement de l’Amérique à renforcer le partenariat avec l’île démocratique et à étendre leur coopération bilatérale à d’autres domaines. « Il existe bien des façons pour que les États-Unis soient utiles », a déclaré l’ancien sénateur.
« Vous verrez que l’administration Biden, Madame la présidente, est un ami fidèle et digne de confiance et je suis sûr que cette administration va vous aider à étendre votre espace international et à soutenir vos efforts pour votre défense », a-t-il ajouté, exprimant l’espoir que cette visite serait suivie d’une autre de responsables taïwanais à Washington. Mais il a aussitôt précisé, et c’est peut-être là le plus important, que Washington attendait de Taipei qu’il observe une attitude prudente à l’égard de Pékin.
Tsai Ing-wen leur a répondu en remerciant l’administration Biden pour « avoir réitéré l’importance de maintenir la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan » qui sépare sur une distance de 180 kilomètres les côtes de l’île du continent chinois. La présidente a insisté sur le fait que l’Armée populaire de libération se livrait à des activités militaires de plus en plus agressives à proximité de Taïwan, constituant de la sorte une menace pour la stabilité dans la région Indo-Pacifique. « Nous souhaitons travailler avec d’autres pays qui partagent nos valeurs, y compris les États-Unis, pour sauvegarder la paix et la stabilité dans la région Indo-Pacifique et à dissuader les manœuvres aventureuses et les provocations », a-t-elle expliqué.

Un communiqué nippo-américain pas trop explicite

Cette visite intervient alors que les incursions chinoises dans la Zone d’itdentification de défense (ADIZ) de Taïwan se multiplient. Pékin a dépêché 25 avions de combat dans cette zone lundi 12 avril, un nombre record jamais enregistré, tandis que les forces armées chinoises ont dans le même temps entamé ce jeudi 15 avril une série d’exercices à tirs réels qui doivent durer cinq jours dans une zone au sud-ouest de l’île contrôlée par Taïwan.
De façon concomittante, l’envoyé spécial américain sur le climat John Kerry est arrivé à Shanghai ce vendredi 16 avril pour préparer la participation du président chinois Xi Jinping à un sommet de la Terre virtuel les 22 et 23 avril organisé par Joe Biden, qui devrait réunir une quarantaine de chefs d’État et de gouvernements. Une initiative quelque peu encourageante pour Pékin et Washington au moment où les tensions entre les deux plus grandes puissances de la planète sont au plus haut depuis plus de quarante ans.
Autre développement majeur : le Premier ministre japonais Yoshihide Suga a rencontré ce même vendredi 16 avril le président américain à la Maison Blanche. La visite du chef du gouvernement japonais est la première d’un haut responsable étranger à Washington depuis l’investiture de Joe Biden le 20 janvier dernier. Elle sera suivie de celle du président sud-coréen Moon Jae-in en mai prochain.
Fait exceptionnel, les deux hommes ont adopté une déclaration conjointe sur Taïwan qui fait usage de termes soigneusement pesés. Dans le but évident de ne pas ajouter de l’huile sur le feu, les deux pays se contentent d’y exprimer une convergence de vues sur les menaces pesant sur l’île. Et d’éviter soigneusement de mentionner un quelconque engagement militaire commun pour défendre l’ancienne colonie japonaise en cas d’invasion. C’était là la première déclaration conjointe sino-japonaise sur Taïwan depuis 1969, date à laquelle le Japon n’entretenait pas encore de relations diplomatiques avec la Chine.
Dans un communiqué, l’ambassade de Chine à Washington a réagi avec fureur, expliquant que le gouvernement chinois « est résolument opposé » à cette déclaration conjointe. Celle-ci « s’éloigne du spectre du développement de relations bilatérales normales » et finira par porter tort au Japon et aux États-Unis, affirme ce communiqué.
Au cours de la rédaction de ce document, les États-Unis ont pris en compte la proximité du Japon avec la Chine et l’importance des liens économiques et commerciaux de l’archipel nippon avec le continent chinois, a expliqué un responsable américain de haut rang cité par l’agence Reuters et qui a souhaité garder l’anonymat. En effet, la Chine est de loin le premier partenaire commercial du Japon qui a investi des sommes colossales sur le sol chinois. Mais les États-Unis, l’Europe et le Japon ont adopté l’an dernier des mesures de relocalisation destinées à réduire leur dépendance à l’égard de l’industrie chinoise. Un responsable du ministère japonais des Affaires étrangères a d’ailleurs expliqué au début de la semaine qu’il existait un débat au sein du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir à Tokyo sur la pertinence d’un communiqué commun trop explicite.

Extension du « Quad » à la Corée du Sud ?

Ce dialogue multilatéral va se poursuive en mai, avec un contact entre Joe Biden et le président sud-coréen. D’autres efforts allant dans le même sens seront entrepris avec l’Australie et l’Inde, qui avec le Japon et les États-Unis sont tous les quatre membres du « Quad », ce forum informel qui se réunira à nouveau prochainement au plus haut niveau et qui pourrait s’étendre à la Corée du Sud. Les dernières réunions du « Quad » ont été l’occasion pour ces pays d’exprimer leur inquiétude à propos de l’attitude agressive de la Chine en mer de Chine du Sud.
Ce dialogue à cinq, dont le principe n’est pas encore formellement acquis, s’avère néanmoins très compliqué du fait des relations glaciales existant entre Tokyo et Séoul. La Corée du Sud exige toujours du Japon des réparations financières pour compenser notamment la mise sur pied pendant l’occupation japonaise de la Corée de maisons de passe où étaient recrutées de force des milliers de « femmes de réconfort », des jeunes Coréennes mises au service des soldats japonais. Ce ressentiment reste très fort au sein de la population coréenne et entrave durablement une amélioration des relations entre les deux voisins. D’autant que Tokyo refuse catégoriquement de rouvrir ce dossier ultra-sensible, estimant que des compensations ont déjà été payées.
Par ailleurs, les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et le Canada ont, le 22 mars dernier, imposé des sanctions coordonnées contre des responsables et des entités chinoises jugées partie prenantes à la répression chinoise à l’égard des Ouïghours. À Tokyo, certains parlementaires japonais sont d’avis que le Japon devrait faire de même. Une décision que le gouvernement Suga s’est pour l’instant bien gardé de prendre.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).