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Chine et États-Unis manœuvrent près de Taïwan, où le gouvernement devient nerveux

Le porte-avions américains USS John S. McCain en transit dans le détroit de Taïwan, le 7 avril 2021. (Source : YNews)
Le porte-avions américains USS John S. McCain en transit dans le détroit de Taïwan, le 7 avril 2021. (Source : YNews)
La Chine et les États-Unis ont déclenché simultanément des manœuvres navales et aériennes d’envergure à proximité immédiate de Taïwan. Rendu nerveux par cette situation, le gouvernement de Taipei a proclamé que l’île rebelle se battrait « jusqu’au dernier jour » en cas d’invasion chinoise.
L’activité militaire américaine et chinoise autour de Taïwan s’est intensifiée depuis le 7 avril. Alors que les États-Unis déployaient un groupe de porte-avions dans la mer de Chine du Sud et un destroyer en transit par le détroit de Taïwan, un groupe de porte-avions chinois opérait dans les eaux à l’est de « l’île rebelle ». Des chasseurs taïwanais ont quant à eux décollé en catastrophe pour repousser l’entrée de quinze avions chinois dans la zone d’identification de la défense aérienne de Taiwan (ADIZ).
Le porte-avions chinois Liaoning, accompagné d’un destroyer de type 055, de deux destroyers de type 052, d’une frégate de type 054 et d’un navire de ravitaillement, a traversé le détroit de Miyako entre le Japon et Taïwan, entrant dans l’océan Pacifique le 4 avril. Le même jour, le porte-avions américain USS Theodore Roosevelt, accompagné de sa flottille, naviguait en mer de Chine méridionale du Sud via le détroit de Malacca.
Le gouvernement de Pékin a fait savoir que l’exercice de son groupe aéronaval se trouvait à proximité de l’île pour « renforcer la capacité de combat contre les sécessionnistes de Taiwan », protéger la souveraineté nationale et en réponse à la présence de « navires de guerre américains, y compris un porte-avions, faisant acte de provocations près de la Chine ». Dans ce qui constitue une escalade de la tension dans cette zone, un porte-parole de la marine de l’Armée Populaire de Libération (APL), Gao Xiucheng, a quant à lui déclaré le 5 avril que « des exercices similaires seront régulièrement menés à l’avenir ».

« Indo-Pacfique libre et ouvert »

« Je ne pourrais pas être plus fier du travail acharné et du professionnalisme dont cet équipage a fait preuve chaque jour pendant ce déploiement, a pour sa part déclaré le capitaine Eric Anduze, commandant de l’USS Theodore Roosevelt. La ténacité et les prouesses guerrières de nos marins sont inégalées et témoignent de la détermination de notre marine à maintenir des mers libres et prospères. »
Dans le même temps, le destroyer américain lance-missiles de classe Arleigh Burke USS John S. McCain (DDG 56) transitait dans le détroit de Taiwan, le 7 avril. « Le transit du navire à travers le détroit de Taiwan démontre l’engagement des États-Unis en faveur d’une zone Indo-Pacifique libre et ouverte », indique un communiqué de presse américain.
D’autre part, quinze avions de combat de l’Armée populaire de libération (APL) sont entrés simultanément dans la partie ouest de la zone d’identification de la défense aérienne de Taïwan le 7 avril, obligeant Taipei à brouiller ses propres chasseurs en réponse et à engager des systèmes de suivi de missiles anti-aériens. Les sorties chinoises comprenaient huit J-10 et quatre chasseurs J-16, un avion de chasse anti-sous-marin Y-8 et deux avions d’alerte rapide et de contrôle aéroportés KJ-500, selon le ministère taïwanais de la Défense nationale.

« Les autorités de Taïwan paniquent »

À Pékin, la rhétorique visant le Parti démocrate progressiste (DPP) de la présidente de Taïwan, réélue le 11 janvier 2016 pour un deuxième mandat de cinq ans, s’est encore aiguisée. « Si les autorités du DPP persistent sur leur chemin extrême et refusent de revenir en arrière avant qu’il ne soit trop tard, elles seront condamnées à être éliminées. Au bout du compte, elles seront condamnées par l’Histoire et sévèrement châtiées par la loi de la République populaire de Chine », a proclamé le Global Times, quotidien anglophone du Parti communiste chinois, dans un éditorial le 8 avril intitulé « Les autorités de Taïwan paniquent autour de leurs politiques radicales ».
La veille, le ministre taïwanais des Affaires étrangères Joseph Wu avait déclaré que la menace militaire chinoise allait croissante et que les responsables politiques américains « observent clairement le danger qui découle de la possibilité de voir la Chine lancer une attaque contre Taïwan. Nous sommes déterminés à nous défendre sans aucun état d’âme et nous nous battrons si nous devons le faire. Et si nous devons nous défendre jusqu’au dernier jour, nous nous défendrons jusqu’au dernier jour. » Cette déclaration, inhabituelle dans la bouche d’un responsable taïwanais, semble trahir une certaine nervosité dans les milieux dirigeants de l’île, sinon même une peur croissante du lendemain.
À Washington, le porte-parole du Département d’État Ned Price, interrogé sur l’activité militaire chinoise près de Taïwan et sur ces propos du chef de la diplomatie taïwanaise, a affirmé que les États-Unis prenaient note « avec une grande inquiétude » des mesures d’intimidation chinoises dans la région, en particulier envers Taïwan. Ned Price a répété des déclarations officielles américaines récentes selon lesquelles l’engagement de Washington envers Taïwan était « solide comme le roc ». « Comme l’indique le Taiwan Relations Act, a-t-il souligné, les États-Unis maintiennent la capacité [militaire] pour résister à tout usage de la force et toute forme de coercition qui mettraient en danger la sécurité ou le système économique et social de la population de Taïwan. »
Adopté en 1979 par le Congrès américains en même temps que l’établissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et la Chine populaire, le Taiwan Relations Act engage Washington à apporter à Taipei toute l’aide militaire nécessaire pour se défendre. Les Américains sont aujourd’hui quasiment les seuls à livrer des armes à l’ancienne Formose.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).