Politique

Coronavirus : Xi Jinping reprend la main dans le Hubei au risque de trop s'exposer

Le président chinois Xi Jinping devant un centre de contrôle et de prévention à Pékin ce mardi 11 février. (Source : Economist)
Le président chinois Xi Jinping devant un centre de contrôle et de prévention à Pékin ce mardi 11 février. (Source : Economist)
Les chiffres du coronavirus ont pris une autre dimension cette semaine. A la surprise générale, les autorités du Hubei ont annoncé ce jeudi 11 février une définition élargie des personnes atteintes de pneumonie virale Covid-19 : les patients « diagnostiqués cliniquement », notamment avec une simple radio pulmonaires; seront désormais comptabilisés, alors qu’un test de dépistage était jusque-là indispensable pour déclarer un cas « confirmé ». L’enchaînement d’erreurs dans la gestion de la crise et le manque de transparence patent ont conduit Xi Jinping à reprendre les choses en main en limogeant les principaux dirigeants du Hubei et de Wuhan. Que signifie ce remaniement ? Quels en sont les risques pour le président chinois ?
*D’autres des représentants locaux de la commission furent aussi remisés depuis (p. ex Tang Zhihong 唐志红, ex-directrice pour la ville de Huanggang 黄冈市, etc.). **Ce dernier parlait encore à la presse les 10 et 11 février.
Alors que la crise du coronavirus bat son plein, Pékin se devait de corriger le tir et de remanier le gouvernement local dans le Hubei. Le 13 février, Ying Yong (应勇), membre de la « clique du Zhejiang » de Xi Jinping, a été appelé en renfort pour diriger le parti de la province. Il vient remplacer Jiang Chaoliang (蒋超良), l’un des lieutenants de Wang Qishan, qui participait ces jours-ci à une conférence sur le coronavirus. Cependant, les commentaires qui parlent de purge contre Jiang poussent le bouchon un peu loin. Outre les limogeages de Zhang Pu (张晋), secrétaire de la commission de la santé provinciale, et de Liu Yingzi (刘英姿), directrice de cette même commission*, Ma Guoqiang (马国强), le patron du Parti de Wuhan, qui avait ouvertement renvoyé la balle à Pékin, a lui aussi été démis de ses fonctions le 13**. À 56 ans, ce cadre de rang vice-provincial a peu de chance de réapparaître sur la scène politique.

Le départ de Jiang

*Ils se sont connus vers la fin des années 1990 dans le Guangdong, alors que Wang était gouverneur-adjoint et directeur du groupe de coordination de l’élimination des risques financiers des petites et moyennes entreprises financières ; Jiang en était le directeur adjoint.
Avant de parler du parachutage de Ying Yong, il faut cerner la situation de Jiang Chaoliang. Le remplacer n’a sûrement pas été une décision facile pour Pékin, compte tenu de sa relation étroite avec Wang Qishan*, le numéro 2 de Xi. Jiang fait partie de cette clique bancaire, des « financiers » en province, proches des réformateurs de l’ancien Premier ministre Zhu Rongji. Fidèle à Wang, Jiang a d’abord été envoyé dans l’une des régions les plus hostiles au pouvoir du président chinois au début de son premier mandat : le Jilin, un des bastions de « l’Ancien régime » de Jiang Zemin. Une fois terminée la première partie de la lutte anti-corruption, Jiang a ensuite été nommé dans le Hubei afin de remplacer Li Hongzhong (李鸿忠), un cadre aux allégeances parfois « douteuses » aux yeux du pouvoir central.
Par conséquent, remplacer Jiang aujourd’hui est une affirmation plus symbolique qu’autre chose de la part de Xi Jinping. Il s’agit d’apaiser les critiques, tout en accréditant l’idée que même les alliés proches ne sont pas intouchables. Cela dit, dans la chaîne des responsabilités qui inclut aussi Wang Xiaodong, gouverneur du Hubei, Ma Guoqiang et Zhou Xianwang (周先旺), maire de Wuhan, il semble que Jiang ait mal jaugé la situation. Et comme il est le « premier parmi ses pairs » dans le Parti de la province, le remplacer ne manque pas de logique.
Trouver les responsables ou identifier des responsables sont deux choses différentes. Considérant la nature de l’infection – d’abord animale puis transmise à l’homme -, personne n’est vraiment responsable. Or, la problématique se concentre davantage sur la communication et la transmission de l’information. Il est aussi difficile pour les autorités locales de faire passer le message auprès des autorités provinciales, que pour ces dernières d’informer les autorités centrales. Les cris d’alarme sont problématiques par nature : si c’est une fausse alarme, des têtes vont tomber ; si la situation est réelle mais omise volontairement ou simplement parce que les cadres sont incapables de bien évaluer la situation, des têtes vont tomber. Ainsi, les vrais responsables de la crise sont sans doute les structures de communication et le manque de garde-fous, au même titre que les structures de sécurité sanitaire.
Jiang sera-t-il vraiment « puni » ? Difficile à dire, et c’est sans doute le point de contentieux. Cela ressemble au cas de Meng Xuenong (孟学农), maire de Pékin pendant le SRAS et beau-fils de Yao Yilin, donc beau-frère par alliance de Wang Qishan. Jiang n’a que 62 ans : il pourrait être réaffecté à la commission consultative nationale ou encore dans une commission de l’Assemblée nationale populaire pour la fin de sa carrière.

Ying Yong et l’arrivée de la clique du Zhejiang

Ying Yong est avant tout un membre de la « bande du Zhejiang » de Xi Jinping. D’abord choisi pour épauler Li Qiang, un autre membre de cette clique, à Shanghai, Ying avait été placé en 2007 à la tête du parquet général de la ville. Il avait pour mission de faire tomber les alliés de Jiang Zemin et de la « bande de Shanghai » étendue. Promu au département de l’organisation de la municipalité (2013-2014), Ying en profitera pour faire avancer d’autres alliés de Xi. Celui qui déjà en 2014 était pressenti comme prochain maire, fut nommé secrétaire adjoint aux côtés de l’ex-maire Yang Xiong (杨雄), un proche de Han Zheng, afin de lui mettre la pression. Ying prend finalement sa place en janvier 2017.
*En ce sens, Ying a déjà passé plus de deux ans en poste à Shanghai avant d’obtenir cette promotion.
En termes d’importance, le transfert de Ying, qui obéit à la règle des deux ans minimum*, montre que Xi est prêt à mobiliser de « hauts cadres » en provenance de la côte est afin de prêter main-forte aux provinces du centre. Il est possible que Ying, un autre cadre envoyé dans le Hubei avec de l’expérience dans le système des affaires politiques et légales (政法系统), fasse par la suite du « nettoyage » dans le corps politique local. Ying Yong fut en effet directeur adjoint du département de police du Zhejiang et procureur général de la province, mais il n’est pas le seul parmi les nouveaux venus à avoir cette corde à son arc. Chen Yixin (陈一新) est le secrétaire général de la commission centrale des affaires politiques et légales.
L’arrivée de Ying, tout comme celle de Chen Yixin environ deux semaines auparavant, a un autre sens. Elle donne l’impression que le président chinois passe par son équipe du Zhejiang pour la micro-gestion des situations d’urgence, chose peu commune sous Jiang Zemin ni Hu Jintao. Ce type de gestion par alliés directs n’a pas que des avantages. Certes, la présence de Ying et de Chen saura rassurer Xi : on lui donnera l’heure juste et tous deux ont de l’expérience dans la gestion des affaires politiques. Cependant, si la situation se détériore encore, c’est le secrétaire général du PCC qui sera pointé du doigt. Certaines administrations locales jouent le jeu de l’affrontement « local-central » : elles aiment mettre des erreurs locales sur le compte de décisions ou de lenteurs bureaucratiques du gouvernement central. Aussi un échec peut-il s’avérer lourd de conséquences dans les luttes factionnelles au plus haut niveau.

Que penser de Wang Zhonglin ?

En plus de l’arrivée dans le Hubei de de Ying Yong et Chen Yixin, Ma Guoqiang a été remplacé par Wang Zhonglin (王忠林). Mais qui est Wang Zhonglin ? Un vétéran du Shandong, où il a officié dans plusieurs bureaux de la sécurité dans la ville de Zaozhuang, foyer du H7N9, le virus de la grippe A détecté en 2013. Zaozhuang est aussi la ville natale de Peng Liyuan (彭丽媛), la femme de Xi. Wang a d’abord été nommé secrétaire du Parti de Jinan en 2018, en remplacement de Wang Wentao (王文涛), gouverneur du Heilongjiang et proche de Jiang Zemin. Wang est qualifié de « réformateur » et de travailleur acharné qui se préoccupe du bien des gens.
Certains le placent plus près de Meng Jianzhu (孟建柱), secrétaire de la commission des affaires politiques et légales de 2012 à 2017 et allié de « l’Ancien régime ». D’autres le rangent plus proche de Wang Qishan, natif de Qingdao. Pour l’heure, son affiliation demeure incertaine. Au fonds, la seule chose qui accroche est sa « promotion » de Jinan vers Wuhan. Cette « promotion horizontale » n’apporte a priori aucun bénéfice pour Wang. À 57 ans, il n’est en poste au rang vice-provincial que depuis 2016. Considérant que le passage au rang provincial prend généralement de 7 à 10 ans, Wang Zhonglin ne pouvait prétendre qu’à un poste de gouverneur d’ici 2023. Cela dit, si beaucoup le considère comme un « parachuté », il est sans doute mieux connecté que l’on ne pense.

Le contrôle du Hubei et la « reprise » de l’épidémie

Le contrôle du Hubei en tant que foyer infectieux est une priorité pour Pékin. Jour après jour, la Chine essuie des pertes économiques importantes, pertes qui pourraient à terme avoir des effets déstabilisateurs pour le régime. Les mesures draconiennes mises en place par le gouvernement visent donc à contenir et stabiliser la situation alors que la Chine se doit de « retourner au travail », selon le leitmotiv de Xi Jinping.
Malgré le changement des dirigeants provinciaux et municipaux, et avec le « nouveau » décompte des personnes infectées, la crise n’est pas encore sous contrôle. La progression du virus, loin des modèles exponentiels dont on parlait encore en janvier, n’est pas surprenante. Surtout si l’on tient compte du potentiel de contagion par individu (entre 2 et 4) et des probabilités de contagion d’un individu à un autre aux alentours. Elles approchaient de 50 % les premiers jours, mais elles doivent être tombées en dessous de 10 % à présent suite aux mesures de sécurité. Rappelons aussi que la situation, quoique préoccupante, ne doit pas mener à la panique. Il suffit de se souvenir du virus H1N1 en 2009, qui avait contaminé des millions de personnes sans parler des milliers de morts.
Cependant, un nouveau test qui donne une vue plus juste de la situation est le bienvenu pour la communauté internationale. Une Chine encore plus opaque et fermée n’aurait pas partagé cette information. Il faut donc soutenir ces efforts de transparence, avec un regard critique bien entendu, dans un contexte de pandémie globale, et espérer une collaboration plus étroite afin de contrôler la situation.
Malgré un grand nombre d’erreurs au départ, Pékin redouble maintenant d’efforts pour contenir la situation dans une Chine post-Nouvel An. Il reste difficile de contenir les actes des citoyens « récalcitrants » qui tentent de passer outre les mesures de sécurité, de l’utilisation d’antipyrétique pour berner les contrôles de température au « trafic » de passagers du Hubei vers d’autres provinces. Ces actes pourraient causer plusieurs vagues d’infections dans différentes provinces. La tâche reste immense pour les autorités locales et provinciales, qui sont débordées.
Enfin, alors que Jiang Chaoliang et Ma Guoqiang ont été limogés, on ne connaît pas encore le sort que réserve Pékin à Wang Xiaodong, partisan de Hu Jintao, ni à Zhou Xianwang, pointé du doigt sur les réseaux sociaux depuis un bon moment déjà. Une chose est sûre, les mises en examens pour négligence ne font que commencer.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.