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Chine : miser sur Macao pour éviter Hong Kong, une roulette russe pour le Parti ?

Au Venetian, l'un des plus grands casinos de Macao. (Source : Culture Trip)
Au Venetian, l'un des plus grands casinos de Macao. (Source : Culture Trip)
Face à la crise politique à Hong Kong, Pékin cherche à sécuriser ses actifs financiers. Mais l’idée de créer une bourse aussi performante à Macao est un pari à haut risque pour une économie chinoise fortement endettée.
Le 12 décembre dernier, Reuters rapportait l’objectif politique de Pékin : transformer l’économie de Macao en la rendant moins exclusivement dépendante à l’industrie des casinos et au tourisme. Les banques et entreprises d’État sont d’ailleurs fortement encouragées à aider à construire de nouvelles infrastructures pour diversifier les revenus de l’ancienne colonie portugaise.
*Les créateurs de la bourse de Shanghai viendraient prêter main forte à Macao.
Parmi les nouvelles politiques pour la région portuaire semi-autonome, la création d’une bourse de valeurs en yuan*, l’accélération d’un centre de règlement en monnaie chinoise et l’attribution de terres pour que Macao se développe en Chine continentale voisine. Nonobstant le signal évident ainsi envoyé à Hong Kong et à la communauté internationale, prenons du recul et évaluons si ces politiques sont prudentes, avant de soutenir cette idée – qui prend de plus en plus d’ampleur – de voir Macao remplacer l’ancienne colonie britannique.

Macao n’est pas Hong Kong

Utiliser le chaos politique de Hong Kong pour contourner la ville et par la suite développer Macao, voilà qui semble être, pour l’instant, mal avisé de la part du PCC. Macao ne sera jamais Hong Kong, ni un second Hong Kong. Les différences entre les deux zones administratives spéciales sont profondément enracinées dans leur héritage politique, remontant parfois à leur passé colonial.
Pourquoi le gouvernement central ne s’est-il pas concentré sur Shenzhen ou Shanghai où les infrastructures sont déjà en place ? Si le Parti veut jouer à ce jeu avec Macao et Hong Kong, il pourrait être le perdant en fin de compte. En outre, la mise en place d’une autre bourse semble quelque peu inutile dans le contexte actuel. Ce n’est un secret pour personne que le dépôt des introductions en bourse est déjà sursaturé à Shanghai comme à Shenzhen. Il est vrai cependant que les réglementations posent ici davantage de problème que le nombre de bourses disponibles pour que les compagnies puissent y être cotées.
Toujours selon Reuters, cette nouvelle bourse à Macao devrait permettre aux entreprises du continent d’émettre de nouvelles obligations. Or la dette des entreprises d’État en Chine est depuis le début des années 2000 un problème important qui ne cesse de croître. Donner aux compagnies étatiques un autre débouché pour lever des capitaux n’est sans doute pas la meilleure chose à faire. Aussi, une autre bourse reviendrait à déplacer les risques, et de créer potentiellement plus de problèmes systémiques.
Pour ce qui est du centre de règlement en yuan, l’idée n’est pas mauvaise en soi. Si la Chine veut vraiment internationaliser sa monnaie, elle a besoin de plus de centres de règlement. En même temps, cela soulève une autre question : pourquoi ne pas simplement allouer davantage de ressources à Shanghai, Shenzhen ou encore à Hong Kong ? Les trois places ont déjà la capacité de régler en yuan et sont déjà des centres financiers reconnus. Pourquoi le Parti est-il prêt à consacrer autant de ressources et de temps à la transformation de Macao ? Une transformation qui à terme pourrait se révéler contre-productive.

La menace de l’endettement

Dans un même ordre d’idées, le Parti, comme il le fait souvent, croit toujours que les problèmes liés à la gouvernance ou à l’habileté politique peuvent être réglés moyennant une allocation suffisante de capital. Malheureusement, la création artificielle d’une bourse à Macao en l’absence de demande réelle et d’une structure juridique et fiscale comparable à celle de Hong Kong, risque davantage d’échouer – en plus de faire exploser les dettes des entreprises chinoises. Exemple avec les contrats à terme sur le pétrole brut libellés en yuan et lancés en Chine en 2018. L’emballement initial s’est rapidement estompé à partir du moment où les observateurs externes se sont rendu compte que les hauts volumes de transactions étaient le résultat d’échanges entre les acteurs financiers locaux, les entreprises d’État. En ce sens, la simple création d’une bourse, d’un produit ou encore d’une politique n’en fait pas un objet international désirable, fondement même de l’industrie financière. Par ailleurs, dans la mesure où l’économie de Hong Kong ne s’est pas encore totalement effondrée, elle sera préférée à Macao par la communauté internationale, et très probablement aussi par les entreprises chinoises.
Quant à l’octroi de terres sur le continent à Macao pour se développer, la mesure se heurte au même problème que l’immobilier et la construction en Chine continentale. Osons le dire, les actifs immobiliers sont considérés comme aussi sûrs que les obligations souveraines en Chine. Sachant que les villes de premier et de second rang sont déjà sursaturées en développement immobilier, le capital se déplace désormais vers les villes de niveau inférieur. Résultat : le marché se trouve toujours davantage en danger de surchauffe et les risques systémiques augmentent pour l’économie chinoise. Bien sûr, il n’y a pas de solution facile à ce problème, surtout lorsque les entreprises de construction et de développement immobilier sont majoritairement étatiques. L’argent doit continuer à circuler. Mais cela ne rend pas cette politique d’allocation des terres plus justifiable. Dès que les parcelles de terrain à attribuer seront annoncées, le prix grimpera en flèche. Par ricochet, les actifs immobiliers verront leur valeur gonfler bien au-delà de ce qui est raisonnable pour le marché local. Pire, l’économie quasi stagnante de Macao n’en bénéficiera probablement pas, surtout en l’absence de véritables moteurs économiques.
En fin de compte, l’économie de Macao connaîtra une diversification à la manière d’une ville chinoise de second ou de troisième rang. Autrement dit, assise sur une montagne de dettes d’entreprises d’État et de gouvernements locaux. Avec en prime, un marché du logement inabordable pour ses habitants.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.