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Chine : comment la municipalité de Pékin vient de tomber aux mains de Xi Jinping

Le président chinois Xi Jinping à Pékin le 16 mai 2017. (Crédits : AFP PHOTO / POOL / WU HONG)
Le président chinois Xi Jinping à Pékin le 16 mai 2017. (Crédits : AFP PHOTO / POOL / WU HONG)
L’ascension continue. Comme une avancée inexorable, « l’armée du Zhejiang » consolide son importance comme plaque tournante des supporters de Xi Jinping. Le mois d’avril, tout comme le mois de mai, a été le théâtre de près d’une soixantaine de remaniements touchant les cadres de rang vice-provincial et provincial. Parmi les nouvelles nominations : l’arrivée à la tête du Zhejiang de Che Jun (车俊), Yuan Jiajun (袁家军), Feng Fei (冯飞) et Liu Jianchao (刘建超) ; à l’Ouest, à la tête du Ningxia, ce sont Shi Taifeng (石泰峰), Ma Shunqing (马顺清) et Jiang Zhigang (姜志刚) qui ont été choisis. Enfin, les derniers changements importants sont intervenus surtout dans la capitale récemment : la promotion de Cai Qi (蔡奇) à la tête du Parti, l’arrivée récente du nouveau maire, Chen Jining (陈吉宁), ainsi que trois autres supporters de Xi Jinping, à savoir Jing Junhai (景俊海), Yin Hejun (阴和俊) et Wei Xiaodong 魏小东.

La fin de la vieille garde et le contrôle complet de la capitale

*Cette promotion pourrait mener Cai au Politburo ; il est courant que le secrétaire de Pékin y siège. Cela dit, Cai devra d’abord est élu au Comité Central au mois de novembre. **Considérant son âge, Guo Jinlong, déjà membre du Politburo, devra quitter ses fonctions en novembre.
Né en 1955, Cai Qi est d’abord venu remplacer Wang Anshun (王安顺), l’ancien maire de Pékin, en raison de ses affiliations factionnelles (lire notre article). Vétéran du Fujian et du Zhejiang, Cai a de nouveau été promu à Pékin en moins de six mois*, mais cette fois-ci, il est nommé à la tête du Parti de la capitale, poussant ainsi Guo Jinlong (郭金龙), né en 1947 et l’un des derniers alliés de Hu Jintao, vers la porte de sortie**. Il est important de noter que Cai Qi a été à l’origine choisi par Xi Jinping non seulement pour sa loyauté, mais aussi pour ses liens avec la Commission de la sécurité nationale (国家安全委员会) à laquelle il a siégé de 2014 à 2016. Ce choix s’explique par les liens et l’influence de Zhou Yongkang sur le ministère de la Sécurité publique (2002-2007), ainsi que la Sécurité nationale de 2007 à 2013 – par le biais de Geng Huichang (耿惠昌), né en 1951 – et même sur le bureau de la sécurité nationale de Pékin (北京市国家安全局) par le biais de Li Dong (李东), né en 1967 et en place dans la structure depuis 2010.
Li Dong serait le bras droit de l’actuel ministre-adjoint de la Sécurité publique Fu Zhenghua (傅政华), né en 1955. Fu est l’ancien chef de la sécurité de Pékin, l’ex-directeur de l’unité 610 (pour le mouvement Falun Gong) et un ex-membre de la commission nationale des affaires politiques et légales. Pour certains, Fu, dont Xi doute de l’allégeance, serait en train de se faire entraîner par l’affaire Guo Wengui (郭文贵), né en 1967. Ce dernier aurait dénoncé ouvertement les abus de pouvoir de Fu Zhenhua au début de l’année, fournissant une occasion à Xi Jinping de l’écarter. On se souviendra que le collègue de Fu, le désormais déchu Ma Jian (马建), né en 1956 et allié de Zhou Yongkang, avait également fait les frais des dénonciations de Guo Wengui à la fin de 2016.
De même, ces incertitudes ont poussé Xi Jinping à placer Wang Xiaohong (王小洪), né en 1957, originaire du Fujian et proche collaborateur depuis les années 1980, à la tête de la sécurité publique de Pékin ainsi qu’au ministère de la Sécurité publique. Aux dires de certains, Xi pourrait désormais verrouiller la capitale, faire « disparaître » un opposant, et même être « à l’abri » de coup potentiel dû au fait qu’il contrôle maintenant, par le biais de Wang, l’ensemble des forces de polices et de sécurité de Pékin.
Autre nouvelle tête, Chen Jining (1964), en attente depuis 2015 au ministère de la Protection environnementale, est nommé au poste de maire de Pékin. Ce dernier est l’un des membres de la nouvelle « clique de Qinghua ». Jing Junhai (1960), nouveau secrétaire-adjoint de la capitale, provient du Shaanxi et a souvent fait l’éloge de Xi Zhongxun, le père de Xi Jinping, lorsqu’il était en poste au Shaanxi. Yin Hejun (1963), en attente dans le ministère des sciences et technologie (2015-2017), est lui aussi devenu secrétaire-adjoint tout comme Wei Xiaodong (1961), directeur du département de l’organisation. Tous deux sont des alliés de Xi.
Infographie : les remaniements à Beijing
Infographie : les remaniements à Beijing
Parmi les autres nominations notables : Gou Zhongwen (苟仲文), né en 1957, est le nouveau directeur du bureau central du sport ; Li Shixiang (李士祥), né en 1958, est vice-directeur de la Conférence consultative du peuple de Pékin (un poste qui a ici valeur de pré-retraite) ; Chen Gang (陈刚), né en 1966, est placé à la vice-direction du comité de la construction du projet de diversion des eaux Nord-Sud ; Li Shulei (李书磊), né en 1964, seconde maintenant Wang Qishan à la commission centrale d’inspection et de discipline du Parti ; Pan Liangshi (潘良时), né en 1956, seconde Li Zuocheng (李作成), né en 1953, à la tête de l’armée de terre ; Dai Junlai (戴均良), né en 1960, se retrouve à la vice-direction du département central du Front uni, et Niu Youcheng (牛有成), né en 1955, sur la route de la retraite, est à la vice-direction de l’assemblée populaire de Pékin depuis 2016.
*Tous furent mis en examen suite aux explosions dans le port de Tianjin en 2015. Yin Hailin, maintenant ex-maire-adjoint, serait allié à Zhang Gaoli et Wu, ex-chef de la sécurité publique, serait un associé de Zhou Yongkang.
Les trois derniers, soit Lü Xiwen (吕锡文), né en 1955, Ye Qingchun (叶青纯), né en 1952, et Yang Xiaochao (杨晓超), né en 1958, ont tous dû quitté leur poste en 2015 après la mise en examen de Lü. Ye, allié de Wang Qishan, a été envoyé à Pékin pour accélérer la chute de Lü. Par ailleurs, Ye est connu pour son rôle à la tête du troisième groupe d’inspection (中央第三巡视组组长), qu’il a rejoint en 2016, et pour avoir fait tomber Yin Hailin (尹海林), né en 1960, et Wu Longshun (武长顺), né en 1953*. Pour sa part, Yang Xiaochao, venu à l’époque (2015) épauler Ye en siégeant sur le comité des affaires politiques et légales (afin d’accélérer le processus de mise en examen) est retourné auprès de Wang Qishan en juillet 2015.

Des changements importants au Zhejiang : l’équipe de Che Jun et Yuan Jiajun

Né en 1955, Che Jun est originaire de l’Anhui. Membre du Comité Central (2012), il a déjà longuement cheminé en province, du Hebei (2005-2010) au Xinjiang (2010-2016) jusqu’au Zhejiang en 2016. Il remplacera Li Qiang (李强), né en 1959 et allié de Xi Jinping, qui lui partira pour le Jiangsu dès juin 2016. Ce faisant, Che ne sera gouverneur qu’un bref moment (3 mois) avant de venir remplacer Xia Baolong (夏宝龙), né en 1952, le bras droit de Xi au Zhejiang depuis 2003. Malgré tout, Che a déjà 62 ans et à moins que Xi ne le tire vers le Politburo en novembre, il terminera sa carrière au Zhejiang d’ici 2021-2022. Transféré du Ningxia en 2014, Yuan Jiajun (1962) fait, lui, partie des « petits commandants de l’aérospatiale » (航天少帥) – connu aussi sous le nom de « clique de l’aérospatiale » (航天系) -, tout comme Zhang Qingwei (secrétaire du Heilongjiang) et Xu Dazhe (许达哲), gouverneur du Hunan.
Che et Yuan seront appuyés par Feng Fei, né en 1962, et Liu Jianchao, né en 1964, tous deux maintenant membre du comité permanent du Zhejiang. Feng, ancien ministre-adjoint de l’Industrie, de l’Information et la Technologie (2015), viendra se joindre au gouvernement du Zhejiang en 2016. Quant à Liu – connu aussi sous le nom du « chasseur de renards » (猎狐者) –, il arrive directement du bureau national de la prévention contre la corruption (国家预防腐败局). Il est à présent secrétaire de la commission provinciale d’inspection et de discpline, remplaçant ainsi Ren Zemin (任泽民), né en 1954, l’un des partenaires de Wang Qishan.

Aller à l’Ouest pour revenir vers Pékin ? Shi Taifeng à la tête du Ningxia

C’est un ancien « jeune instruit » (zhiqing). Originaire du Shanxi, Shi Taifeng, né en 1956, était venu en 2015 remplacer Li Xueyong (李学勇), né en 1950, à la tête du gouvernement du Jiangsu pour des raisons d’âge, en dépit du fait que Li était l’un des proches de Zhou Yongkang. Cette fois nommé secrétaire du parti dans le Ningxia, Shi vient remplacer Li Jianhua (李建华), né en 1954, un ancien du département de l’organisation, second de Li Yuanchao (actuel vice-président et allié de Jiang Zemin) de 2007 à 2011.
Si Shi est un homme de Xi, dont il fut le bras droit à la vice-direction de l’école Centrale du Parti, il fut aussi le camarade classe de Li Keqiang à l’Université de Pékin (1978-1982). Ainsi, après cette promotion de dernière minute, il n’est pas aisé de poser une étiquette finale sur Shi. D’un côté, ses trois ans (2007-2010) passés auprès de Xi à l’école Centrale ainsi que son passé commun de « zhiqing » qu’il partage avec le président comptent pour beaucoup. De l’autre, Shi Taifeng a côtoyé l’actuel Premier ministre à Pékin pendant près de quatre ans. Or ces liens d’anciens étudiants peuvent éventuellement peser lourd en termes de loyauté factionnelle. Cela dit, ce mouvement de l’Est vers l’Ouest (pour ensuite revenir à Pékin) – soit la mobilité « sponsorisée », est plus souvent le fait des « tuanpai » (affiliés à Hu Jintao et à la faction de la Ligue des Jeunesses communistes) que des alliés de Xi Jinping, du moins pour l’instant.
Enfin, Shi pourra compter sur trois nouveaux éléments – cadres – transférés ou remaniés au Ningxia : Jiang Zhigang, né en 1960, et Ma Shunqing, né en 1963. Jiang, ancien directeur département de l’organisation et membre du comité permanent de Pékin, est à présent secrétaire-adjoint. Il vient remplacer Cui Bo (崔波), né en 1957, à présent à la vice-présidence de la Conférence consultative du Ningxia. Jiang serait, tout comme Shi Taifeng (en partie), un allié de Li Keqiang. Selon certains, cela expliquerait pourquoi Shi et Jiang sont partie de la côte est en même temps pour se rendre au Ningxia.

… Et cinq mises au placard

Cinq secrétaires ont été « déchus » depuis mars-avril : Luo Baoming (Hainan), Wang Sanyun (Gansu), Jiang Yikang (Shandong) et Wang Xiankui (Heilongjiang), et Xia Baolong (Zhejiang). Tous ont été réassignés depuis à des postes de second rang. Un signe que ils n’ont à présent plus qu’une importance marginale pour la suite des événements. Luo est à la vice-direction de la commission des Chinois d’outre-mer pour l’Assemblée national populaire (全国人民代表大会华侨委员会) ; Wang Sanyun et Wang Xiankui occupent des postes de vice-direction à la commission pour l’éducation, la science, la culture et la santé publique de l’Assemblée (全国人大教育科学文化卫生委员会) ; Jiang Yikang est l’un des directeurs-adjoints de la commission des finances et de l’économie de l’Assemblée (全国人民代表大会财政经济委员会) ; et Xia Baolong se retrouve à la vice-direction de la commission sur la protection environnementale et la conservation des ressources naturelles de l’Assemblée (全国人民代表大会环境与资源保护委员会).

Pékin, la sécurité publique et l’avancée des hommes du Zhejiang

*Politologue chinois né en 1918 (1999) et professeur à l’université de Chicago.
Xi, avec l’aide précieuse de Wang Qishan, termine le nettoyage entamé dès 2013 dans certains des organes clés du Parti, notamment la sécurité et les affaires politiques et légales. Cela dit, le coup porté à Guo Jinlong ainsi qu’à Zhou Yongkang (Wang Anshun) consolide sa position au sein du Parti ainsi que dans la zone de la capitale, dominée depuis le début des années 1990 par les hommes de Jiang Zemin ou encore, plus récemment, les hommes de Hu Jintao. La re-sécurisation de Pékin semble s’inscrire malheureusement dans l’optique du « gagnant remporte tout » de la joute factionnelle telle qu’abordée par Zou Dang (邹党)*, plutôt que dans une optique « équilibrée » permettant une certaine alternance des forces, comme suggéré par Andrew Nathan. Ce faisant, cette poursuite continuelle des alliés de Jiang Zemin et de Hu Jintao pourrait avoir pour Xi Jinping des conséquences inattendues dans le futur, et même déstabiliser le Parti à court-moyen terme.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.