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Chine : Xi Jinping continue de placer ses hommes, du Guangdong à Hainan

Ma Xingrui, allié de Xi Jinping, est pressenti pour être le remplaçant de Hu Chunhua à la tête de la province du Guangdong.
​​Ma Xingrui, allié de Xi Jinping, est pressenti pour être le remplaçant de Hu Chunhua à la tête de la province du Guangdong. (Crédit : Deng fei / Imaginechina / AFP).
Arriver au sommet du pouvoir à Pékin est une chose. S’y maintenir une autre, beaucoup moins aisée qu’il n’y parait – en Chine comme ailleurs. Et c’est ce que s’emploie à faire Xi Jinping en prévision du prochain Congrès. Nous continuons donc notre immersion dans les arcanes de la politique chinoise provinciale avec ce dernier volet concernant la côte Est du pays, afin de « boucler la boucle » en examinant les cas de la province du Guangdong et de l’île de Hainan.
* Né en 1964, c’est l’ancien secrétaire de la municipalité de Zhuhai et un disciple post-18e Congrès de Hu Jintao. **Ces deux affaires auraient renforcé Xi dans son choix de faire le ménage dans cette structure devenue « décadente ».
Le cas de Guangdong est un cas à part. Cela tient tout autant à l’existence de sa fameuse « bande du Guangdong » [广东帮] composée principalement d’Élites locales, qu’au passage de Wang Qishan dans les années 1990, ou aux tensions entre Huang Huahua [黄华华] (gouverneur de 2003 à 2011 et, selon certaines rumeurs, beau-fils de Ye Xuanping) et Wang Yang [汪洋] (secrétaire de la province de 2007 à 2012) – l’un décrit comme allié de Jiang Zemin l’autre de Hu Jintao.
Récemment encore, en mars 2016, la province fit parler d’elle suite à l’affaire de Li Jia [李嘉]*, faisant elle-même suite à l’affaire Ling Jihua** qui en éclaboussa plus d’un dans la région .
Enfin, ce panorama ne serait être complet sans un passage par Hainan, l’île du sud qui pèse peu lourd dans la formation des Élites.

Li Jia et la « bande du Guangdong »

Avant l’arrivée de Hu Chunhua (2012) et Wang Yang (2007) à la tête de la province, le pouvoir au Guangdong était partagé depuis 1991 entre Jiang Zemin et une élite locale forte surnommée « la bande du Guangdong ».
D’un côté donc, l’ancien président de la République Populaire de Chine (de 1993 à 2003) a réussi à placer ses hommes à la tête de cette province clé : ce furent ainsi successivement Xie Fei [谢非] de 1991 à 1998, Li Changchun [李长春] de 1998 à 2002 et Zhang Dejiang [张德江] de 2002 à 2007 qui administrèrent la province.
De l’autre, on retrouve une élite locale organisée dont l’une des familles les plus importantes de la région est surement celle des Ye, avec des noms comme Ye Jianying [叶剑英], chef de l’État chinois durant la période de transition (1978-1981), et son fils, Ye Xuanping [叶选平], successivement maire de Guangzhou entre 1983 et 1985, gouverneur du Guangdong entre 1985 et 1991 et directeur-adjoint de la Conférence consultative politique du peuple chinois de 1993 à 2003.
Infographie : remaniements au Guangdong
Infographie : remaniements au Guangdong
* Gu Liping [谷丽萍] demeure toujours aux mains de la commission d’inspection et de discipline. **Ling Jihua était aussi un des alliés et aide de camp de Hu Jintao.
La famille Ye n’est pas la seule à constituer cette « bande du Guangdong ». Ainsi, parmi les instances provinciales, on pourra également noter la présence de Ren Xuefeng [任雪峰], Lin Shaochun [林少春] (né en 1962) ou encore Deng Haiguang [邓海光] (1968).
Le premier, né en 1965 est l’actuel secrétaire de Guangzhou et fils de Ren Zhongyi [任仲夷] premier secrétaire de la province du Guangdong de 1980 à 1985. Il fût nommé en remplacement de Wan Qingliang [万庆良] en 2014. Ce dernier, né en 1964 a en effet été impliqué dans l’affaire de corruption liant Li Jia [李嘉] et la femme de Ling Jihua [令计划]*, l’ancien directeur du bureau des affaires générales (2007-2012) et ancien secrétaire du secrétariat général (2007-2012) qui tombera entre les mains de la commission d’inspection et de discipline en juin de la même année.
* Né en 1956, Liu était un proche de Huang Huahua [黄华华] gouverneur du Guangdong de 2003 à 2011, et de Zhang Dejiang [张德江]
Cela dit, comme le démontre le graphique, Wan ne sera pas le seul membre du gouvernement provincial à « y passer ». Ainsi, l’ancien secrétaire-adjoint et secrétaire des affaires légales et politiques entre 2012 et 2014, Zhu Mingguo [朱明国] sera mis en examen en novembre 2014. De même que Liu Zhigeng [刘志庚]* ancien gouverneur-adjoint entre 2011 et 2016 qui tombera aux mains de la commission d’inspection et de discipline en février 2016.
Le second, Lin Shaochun, est le fils de Lin Ruo [林若], secrétaire du Guangdong entre 1982 et 1990. Il venait remplacer Zhu Mingguo aux affaires légales.
Enfin, le dernier, Deng Haiguang, est le beau-fils de Lu Zhonghe [卢钟鹤] qui fût le gouverneur-adjoint du Guangdong de 1988 à 2001. Depuis la fin du mois de mars, Lin est gouverneur-adjoint exécutif [常务副省长] et remplace donc Xu Shaohua [徐少华] qui, maintenant à la vice-direction de l’Assemblée populaire provinciale, sera à la retraite sous peu (il est né en 1958).
Au niveau des arrivées, on retrouve également deux supporters de Zhou Yongkang : Li Chunsheng [李春生] et Chen Yunxian [陈云贤]. Si le premier, né en 1961, est en poste et dirige le bureau de la sécurité publique ; le second, né en 1955, lui n’est plus que membre du groupe du Parti depuis janvier 2016. En ce sens, il est sur le chemin de la sortie.
Pour ce qui est des autres, les raisons sont plus diverses : Lin Xiong (1959) était le secrétaire de Wen Jiabao lorsque ce dernier était charge du bureau des affaires générales (1986-1993), Huang Xiangyao [黄先耀] est venu remplacer Zhu Mingguo en 2011 – sur approbation de Wang Qishan ; et enfin, Ma Xingrui [马兴瑞] (né en 1959) est celui vers qui tous se tournent car en plus d’être un allié de Xi Jinping, il est pressenti pour être le remplaçant de Hu Chunhua à la tête de Guangdong. D’ailleurs, pour la petite histoire, il faut préciser qu’il vient de la même province que la Première dame Peng Liyuan [彭丽媛] avec qui il semble, aux dires de plusieurs, avoir de bonnes relations.
* Xu est à présent secrétaire-adjoint et il est en lice pour devenir gouverneur du Hebei, venant remplacer Zhang Qingwei [张庆伟] (né en 1961), à présent secrétaire pour le Heilongjiang. Lan Fu’an lui est actuellement secrétaire de la commission disciplinaire du Hainan. Il vient remplacer Ma Yongxia [马勇霞] qui doit se retirer en raison de son âge avancé (il est né en 1958).
Du côté des départs, certains sont à noter plus particulièrement. Ceux de Wang Rong [王荣] et de Tuo Zhen [庹震] semble ainsi être dû aux luttes factionnelles. En effet, le premier, né en 1958, était le président de la commission consultative provinciale et surtout allié de Jiang Zemin ; alors que le second, né en 1959 était à la vice-direction du département central de la propagande et allié de Liu Yunshan – ancien patron du même département.
Enfin, plus récemment, l’ancien secrétaire de la ville de Shenzhen, Xu Qin [许勤] et l’ancien gouverneur-adjoint Lan Fu’an [蓝佛安] ont été réassigné*. Xu a été remplacé par Wang Weizhong [王伟中] (né en 1962) qui arrive tout juste (au mois d’avril 2017) de Taiyuan au Shandong.

Hainan, le dernier repère des hommes de Zhou Yongkang

Souvent mise de côté lors des analyses factionnelles, l’île tropicale de Hainan revêt cette impression de n’être qu’une île éloignée de Beijing. Cela dit, les choses se bousculent et la traque par Xi Jinping et Wang Qishan des hommes de Zhou Yongkang s’est étendue aux quatre coins de la Chine.
Infographie : remaniements à Hainan
Infographie : remaniements à Hainan
Ainsi, jusqu’à la fin du mois de mars, le secrétaire du Parti était un homme né en 1952 Luo Baoming [罗保铭]. Ce dernier approchant de l’âge de la retraite pour les postes de rang provincial (65 ans) fut remplacé le 1er avril 2017 par Liu Cigui [刘赐贵], un homme à peine plus jeune puisqu’il est né en 1955. Luo, qui est un proche de Jiang Zemin, ne sera probablement pas réassigné. Liu au contraire est un allié de Xi Jinping qu’il a connu au Fujian dans les années 1990. Cela dit, il a maintenant 62 ans. En ce sens, il ne pourra plus être de grande utilité politique pour Xi après 2017.
Li Jun [李军], autrefois secrétaire de Li Ruihuan [李瑞环] – membre du Politburo de 1987 à 1997 et supporter de Hu Jintao, est l’un des secrétaires adjoint. De même que Ma Yongxia [马勇霞] (né en 1958) – « homme » de Wang Qishan qui était venue remplacer Wang Weilu [王为璐] de 10 ans son ainé. Ce dernier avait travaillé sous Wang en 2002-2003 mais pris sa retraite en 2012 (64 ans). Cela dit, Ma Yongxia s’est retirée du comité permanent depuis la fin du mois de mars dernier.
* Né en 1960, Ai est depuis 2014 mis en examen.
Le gouverneur-adjoint exécutif est Mao Chaofeng [毛超峰] (né en 1965), un allié de Li Changchun [李长春] qui est lui-même un allié de Jiang Zemin. Mao avait été sous la direction de Li au Henan dans les années 1990. Enfin, les derniers arrivés au comité permanent sont Shen Xiaoming [沈晓明] et Xiao Yingzi [肖莺子] – tous deux nés en 1963.
Shen, placé à Hainan par Xi, arrive tout juste de Shanghai où il était venu remplacer Ai Baojun [艾宝俊]* – un allié de Jiang Zemin – à la direction de la zone de libre-échange. Celui-ci fut nommé gouverneur du Hainan au début du mois d’avril.
De son côté, Xiao, qui a évolué dans la province du Guangxi, fut également transférée au comité permanent afin de rétablir le « quota » demandant au minimum un cadre féminin parmi les membres du comité permanent de l’ensemble des provinces et des villes. En ce sens, Xiao vient également remplacer Ma Yongxia, poste pour poste.
Du côté des départs on remarque notamment la présence de Wei Liucheng [卫留成], Jiang Dingzhi [蔣定之], Ji Wenlin [冀文林], Tan Li [谭力] et Jiang Sixian [姜斯宪]. Les quatre premiers sont des alliés de Zhou Yongkang et le dernier, Jiang Sixian, est un associé de Jiang Zemin. Pour les autres, dans le désordre : Chen Zhirong [陈志荣] est décédé ; Lin Fanglü [林方略] fut « mis au placard » ; Chen Cheng [陈成] a pris sa retraite en 2016 et Fu Yuelan [符跃兰] le 22 février 2017. Egalement, Sun Xinyang [孙新阳] (né en 1964) – et allié de Xi Jinping – à repris en main la ville de Haikou (2015-2016) et fut envoyé par la suite au secrétariat de la commission d’inspection et de discipline de la province du Jiangxi. Enfin, on appuiera le fait que la chute accélérée des hommes de Zhou Yongkang est en partie dû à l’arrivée de Lin Fulin [李富林] (né en 1960) – appuyé par Xi – au département de la sécurité publique en 2012.
Nous le voyons bien au fil de nos analyses : la grande majorité des Cadres remisés ou encore mis en examen sur la côte Est depuis les cinq à six dernières années étaient presque tous des alliés de Jiang Zemin, de Zeng Qinghong ou encore de Zhou Yongkang (à titre personnel ou de leurs proches collaborateurs). Ceux-ci ont été remplacés par des Élites locales ou des alliés de Xi Jinping et de Wang Qishan.
*Par exemple, il y a quelque jours, le secrétaire pour les jeunesses communistes du Guizhou, Tao Junfeng [陶军锋] (né en 1973), fut mis en examen sous des prétextes qui demeurent imprécis.
De même, depuis 2012, Xi et Wang s’affairent à « nettoyer » la Chine de la faction de Jiang Zemin en plus de court-circuiter la faction des jeunesses communistes*, réputée proche de Hu Jintao.
Alors, quoique certaines provinces demeurent des champs de bataille, la « guerre » pour la côte Est semble être jouée d’avance et les « hommes de Xi » ont pris position sur une grande partie des administrations provinciales.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.