Politique
Entretien

Wei Jingsheng : "Xi Jinping ne tiendra pas car il n'a pas le soutien du peuple chinois"

Le dissident chinois Wei Jingsheng. (Copyright : Joris Zylberman)
Le dissident chinois Wei Jingsheng. (Copyright : Joris Zylberman)
Xi Jinping va-t-il se maintenir au pouvoir et installer durablement sa dictature ? La démocratie est-elle encore possible en Chine ? Pas question de désespérer pour Wei Jingsheng, l’un des plus célèbres dissidents chinois. A 66 ans, l’heure de la retraite n’a pas sonné pour l’auteur de La Cinquième modernisation, l’essai qu’il afficha sur le « Mur de la Démocratie » à l’occasion du premier Printemps de Pékin en 1978. Emprisonné pendant plus de 16 ans puis exilé aux Etats-Unis, Wei Jingsheng poursuit son combat. Il était à Lyon les 5 et 6 avril derniers au siège d’Interpol pour protester contre la nomination de Meng Hongwei, ancien vice-ministre chinois de la Sécurité publique, comme directeur de l’organisation internationale de police criminelle. Inacceptable pour Wei Jingsheng qui dénonce un soutien dommageable d’Interpol à la chasse aux dissidents chinois à l’étranger, et indirectement au renforcement du pouvoir dictatorial de Xi Jinping.

Entretien

*Elles furent introduites par Zhou Enlai en 1975 au cours de la quatrième session de l’Assemblée nationale populaire, une de ses dernières apparitions en public.
Né en 1950 à Pékin, Wei Jingsheng s’est fait connaître en 1978 en devenant l’un des leaders du Printemps de Pékin. En affichant son célèbre essai sur le « Mur de la Démocratie », Wei demande à Deng Xiaoping de ne pas s’en tenir aux « Quatre modernisations »* (agriculture, industrie, science et technologie, et défense nationale), le leitmotiv du nouvel homme fort de la Chine pour réformer un pays meurtri par la Révolution culturelle. Pour cet ancien garde rouge, il faut une « Cinquième modernisation » : la démocratie. Cette affiche murale (dazibao) et son activisme lui vaudront d’être arrêté le 29 mars 1979 puis condamné à la prison. Il est libéré le 14 septembre 1993, soit une semaine avant le vote du comité internationale olympique pour l’attribution des Jeux de l’an 2000 à Pékin ou Sydney. S’ensuit une période d’aller-retour entre la cellule et la liberté. Après une rencontre fin février 1994 avec le sous-secrétaire d’Etat américain John Shattuck pour discuter des droits de l’homme en Chine, il est de nouveau arrêté brièvement avant d’être chassé à Tianjin. Il sera mis une troisième fois sous les verrous le 1er avril 1994 alors qu’il tentait de revenir dans la capitale. Accusé de « sédition contre l’Etat », il est condamné à 14 ans de prison, mais est relâché dès le 16 novembre 1997 pour « raisons médicales ». Il est immédiatement exilé aux Etats-Unis, sous la pression internationale et à la requête du président américain Bill Clinton.

Avant son exil, Wei Jingsheng avait été récompensé du Prix Sakharov pour la Liberté de Pensée en 1996. Devenu depuis d’un des principaux dissidents chinois en exil, il crée en 1998 la Wei Jingsheng Foundation à New York pour « soutenir les projets d’amélioration du système politique chinois, des droits de l’homme et de la démocratisation en Chine ». Aujourd’hui, Wei Jingsheng anime une émission sur Radio Free Asia, Voice of America et écrits des articles pour différents médias sur Internet, notamment. Toujours avec la volonté inlassable d’influencer les politiques occidentales et surtout américaines vis-à-vis de la Chine.

Vous avez fait un discours à Lyon au siège d’Interpol. Quel en était le message ?
J’ai l’impression que maintenant Interpol va permettre au gouvernement chinois de faire progresser son système fasciste dans le reste du monde. C’est loin d’être la première fois qu’il tente de le faire hors de ses frontières, mais à partir du moment où Interpol choisit d’élire à sa tête un ancien vice-ministre chinois de la Sécurité publique, c’est un tournant significatif. La collaboration entre Interpol et le gouvernement chinois est montée d’un cran. C’est un danger considérable non seulement pour les dissidents chinois à l’étranger mais aussi pour les fonctionnaires chinois dans leur ensemble. Bien sûr, des corrompus de la fonction publique ont fuit à l’étranger mais désormais, les fonctionnaires à l’intérieur-même de la Chine sont en danger. D’autant que sur le site d’Interpol, ils ont commis une faute : au lieu de mettre la liste des personnes les plus recherchées, ils ont publié la liste des mandats d’arrêt – c’est donc encore plus net. Je dirais qu’Interpol a beaucoup aidé à consolider le gouvernement totalitaire de Xi Jinping à l’intérieur de la Chine.
Comment a réagi Interpol à votre appel ?
A la fin de mon discours, un fonctionnaire d’Interpol est sorti et a déclaré : « Nous n’avons pas de pouvoir de mandat d’arrêt ; nous ne pouvons qu’envoyer des listes de personnes recherchées. » Mais alors je voudrais leur poser la question : cela fait tellement d’années que le gouvernement chinois a employé ce expression de « mandat d’arrêt » dans votre communication et non de « liste de personnes recherchées », pourquoi n’avez-vous pas corrigé ? Le porte-parole n’est pas sorti pour m’adresser la parole, mais j’ai constaté un changement après coup : il y avait 300 personnes sur cette liste de « red notice » et ils sont descendus à 100 [après mon discours]. Cela dit, il faut tout de même signaler que ces pseudo-mandats d’arrêt lancés contre les dissidents chinois représentaient une menace sur leur vie.
Même moi j’ai été mis sur cette liste ! En 2003, je me suis rendu compte que j’étais sur la liste d’Interpol comme « terroriste ». Je m’en suis aperçu un jour que je voulais entrer en Suisse : c’est un policier suisse qui m’a dit que j’étais sur cette liste. Alors il m’a fait ouvrir mes valises pour vérifier que je ne transportais pas de bombe. Puis avec son collègue, ils ont vu que j’avais participé à des conférences à l’ONU et ils se sont dit que cela ne resemblait pas à un terroriste. Alors qu’un des policiers a voulu m’arrêter, l’autre a dit : « Non, cela va nous attirer des ennuis » ; et finalement, j’ai pu entrer en Suisse. Je ne suis pas le seul à avoir subi ce genre d’incident. Maintenant, ces « red notice » sont non seulement émises contre des dissidents chinois mais aussi contre des fonctionnaires qui ne portent pas le gouvernement dans leur cœur. Beaucoup d’entre eux voulaient s’opposer à Xi Jinping. Ils se disaient : « Si les choses tournaient mal, je pourrais fuir à l’étranger. » Mais désormais, le gouvernement menace de les chercher à l’étranger et de les ramener en Chine grâce à la collaboration de toutes les polices du monde via Interpol. Il y a cette propagande dans tous les journaux chinois : « Maintenant, vous êtes un fonctionnaire dans l’administration chinoise, vous voulez vous opposer mais vous n’avez plus de recours. » Xi est devenu un dictateur puissant. On peut dire que cette collaboration d’Interpol aide le gouvernement chinois à conforter sa dictature.
Xi Jinping prépare activement le 19ème Congrès du Parti à l’automne prochain. Il consolide son pouvoir à tous les échelons. Des rumeurs disent qu’il compte se maintenir au-delà de son deuxième quinquennat qui doit se terminer en 2022. Est-il en train de se « poutiniser » ?
C’est clair ! Je pense qu’il est ouvertement jaloux de Vladimir Poutine. C’est un modèle pour lui. D’abord, il veut absolument concentrer tous les pouvoirs entre ses mains à l’issue du 19e Congrès pour rester leader. Sera-t-il un nouveau Deng Xiaoping ? Eh bien, ce sera pire car Deng, lui, s’appuyait sur un certain prestige et le Premier ministre devait obéir à ses ordres. Mais Xi Jinping veut changer le système pour s’arroger tous les pouvoirs. On dirait qu’il veut ressembler à Kim Jong-un ! Depuis Jiang Zemin, c’était un pouvoir collégial avec une équipe autour du dirigeant et une prise de décision collective. A l’époque, il s’agissait d’un dictateur mais il n’était pas totalitaire. De même, Hu Jintao n’a pas atteint ce modèle de dictature. Mais Xi Jinping a pris Mao comme modèle et veut devenir un vrai dictateur. Par certains côtés, il n’apprécie pas tellement le système de Poutine. Celui-ci a été élu démocratiquement. Quand il est devenu président puis Premier ministre, il a dû passer par les élections. Même s’il dominait le sénat et l’assemblée, Poutine devait écouter leurs opinions. Il restait des voix de l’opposition. Mais en Chine, ce n’est pas le cas. Et maintenant avec la collaboration d’Interpol, l’Assemblée nationale populaire n’osera même pas laisser la voix à des opposants.
Même si à l’Assemblée, on ne compte plus de voix divergentes, auparavant, il en restait tout de même au sein du comité central du Parti et dans le poltiburo. En 1979, je sais que Deng Xiaping voulait me voir exécuté, mais d’autres dans le politburo n’ont pas voulu. A l’époque, la vie politique chinoise était assez vivante : il y avait beaucoup d’opposition. Deng n’est jamais devenu un véritable dictateur et c’est peut-être pour cela qu’il me détestait : puisqu’il ne pouvait pas me faire exécuter par les armes, il a pensé me faire tuer en prison. Mais je crois que dans les instances supérieures du Parti, des gens ne voulaient pas me voir mourir. Donc j’ai survécu.
Mao Zedong a souvent utilisé les mouvements de masse contre l’ordre du Parti, notamment pendant la Révolution culturelle. Il dirigeait en utilisant le désordre. Deng Xiaoping a gouverné en rétablissant l’ordre. Xi Jinping ne semble pas aimer le désordre, lui non plus. Alors pourquoi dire qu’il veut imiter Mao ?
Ce raisonnement est faux : tous les dictateurs aiment l’ordre. Cela dépend du sens qu’ils lui donnent. Sous la Révolution culturelle, il y avait un ordre. Après 1980, les fonctionnaires ont commencé à dire que la Révolution culturelle, c’était le chaos dans la mesure où pour les secrétaires du Parti en province ou dans les municipalités, il n’y avait pas d’ordre. Mais la grande majorité des citoyens chinois, eux, étaient très contrôlés. On peut dire certes que seule la parole de Mao édictait la loi et l’ordre, tandis que Deng avait instauré une méthode de gouvernement. Mais avec le recul aujourd’hui, regardons la société que ce dernier a édifié avec cette énorme polarité entre riches et pauvres : nombreux sont les Chinois de cette classe pauvre qui veulent entrer en rébellion. Partout, il y a des mafias, des putains, des bordels, des activités illégales qui s’exercent. Y compris dans la police. Dans la rue, les policiers peuvent battre a mort quelqu’un. Lorsque ce genre d’affaire est portée en justice et que des agents sont arrêtés, tout de suite un millier policiers protestent à la sortie du tribunal. Pour la population chinoise, il n’y a pas d’ordre ni de contrôle. C’est un désordre complet de tous les cotés. Les mafias tapent et tuent n’importe qui. Elles collaborent avec les flics pour aller tuer les gens. Ensemble, ils tapent non seulement sur les pauvres mais aussi sur les riches. Dans le Hebei dernièrement, une dame riche a été malmenée terriblement et la police n’est pas intervenue. Le fils a perdu la tête et il a tué un des flics à coup de couteau : il a été condamné à vie. Et après, au sein des instances, on est encore en train de se demander si les agents de police ont eu une responsabilité quelconque dans le drame. On a arrêté le fils mais les responsables, sont-ils arrêtés ? Non ! On peut dire que Mao était un dictateur mais d’une certaine façon, il avait sa loi de dictateur. C’est pour cela qu’aujourd’hui, certains soutiennent Xi Jinping, en pensant qu’il va ramener l’ordre maoïste.
Xi Jinping peut-il réussir à installer une dictature durable ?
La situation est très complexe. Même les espions qui pourraient se mettre au service de Xi sont méfiants. Il ne savent plus quel système les protègera. Devenir le nouveau dictateur de la Chine n’est pas si simple ! Xi Jinping voudrait contrôler tous les fonctionnaires de la Chine, mais il va se heurter à une forte opposition. Il veut devenir un vrai dictateur mais il va finir par échouer. Pourquoi ? Parce que les capitalistes ont certes peur de lui mais ils ne l’aiment pas ; pareil pour les fonctionnaires et les pauvres. La plupart des dictateurs obtiennent toujours le soutien d’une bonne partie de la population. Hitler, Staline ou Mao ont tous été soutenus par leur population. Mais Xi Jinping n’arrivera pas à obtenir ce soutien. Mon conseil pour lui : n’essaie pas d’être un dictateur, de toute façon tu ne vas pas y arriver ! Mao, lui, était habile, il savait acheter les gens. Quand il a dit pendant une période : « Les fonctionnaires sont des corrompus, il faut que le pouvoir revienne dans les mains du peuple », il a vraiment eu le soutien de la population. Mais aujourd’hui, qui soutiendra Xi ? Donc maintenant, faute d’appui populaire, il fait exécuter ses ordres par l’armée et la police dont les hauts cadres sont devenus ses sbires. Mais ce n’est pas tout. Depuis quatre ans qu’il est au pouvoir, il a arrêté plus de deux cents hauts cadres militaires, pratiquement tous les généraux. Même dans l’armée, il y a beaucoup d’instabilité. Récemment, 20 000 soldats démobilisés sont allés protester devant les bureaux de la Commission centrale d’inspection et de discipline. Sans l’aide de l’armée, ils n’auraient jamais pu organiser une manifestation si importante à Pékin. On ne les auraient jamais laissés entrer. Ils sont d’abord allé à Pékin, ont dormi dans les casernes et sont montés dans des camions militaires. Ils ont de facto obtenu le soutien de l’armée. Celle-ci est donc aussi en révolte contre Xi Jinping !
Pour mieux préparer le 19ème Congrès, Xi Jinping a décidé de faire primer la stabilité sur ses réformes ou sa lutte anti-corruption…
Justement, si le Parti parle de maintien de la stabilité, c’est qu’il y a des problèmes. Xi et Wang Qishan [le chef de la Commission centrale d’inspection et de discipline en charge de la lutte anti-corruption, NDLR] ne luttent pas vraiment contre la corruption. Ils font semblant pour faire peur aux fonctionnaires. Désormais, le soutien à la lutte contre la corruption s’est complètement dissout. Malgré tout, il est clair qu’elle a semé la pagaille parmi tous les fonctionnaires, qui ont terriblement peur de se faire arrêter. Donc bien sûr, lorsque s’organiseront des réunions dans les plus hautes instances du Parti, cela va provoquer des réactions d’opposition. J’ai entendu un certain nombre de gens qui voudraient bien s’opposer à Xi Jinping, mais qui veulent attendre le 19e congrès pour le faire. En définitive, si le président chinois atteint ses objectifs au Congrès, beaucoup vont dire qu’il n’y a plus moyen de s’opposer. La situation serait alors terrible, car l’instabilité va augmenter et qui sait, peut-être qu’une révolution va éclater.
Mais qui peut s’opposer à Xi Jinping ? Il semble avoir réussi à étouffer les factions rivales au sein du Parti et à imposer le silence au mouvement des avocats des droits de l’homme
Espérons que la résistance à Xi fonctionne au moment du 19e Congrès. Dans l’histoire de la Chine, Lorsque se sont produites des révoltes et des révolutions, on ne pouvait pas dire vraiment qui avait provoqué le début du mouvement. Toute personne qui se trouve acculée va avoir des idées de révolution ou de rébellion. Si jamais l’un d’entre eux commence la rébellion, il est possible que beaucoup se rallient à lui. Regardez à la fin de la dynastie des Ming [1368-1644, NDLR], la rébellion a été conduite par des gens que personne ne connaissait. Idem à la fin de la dynastie Tang [618-907, NDLR] ou lors de la révolte des boxers [1899-1901, NDLR] à la fin des Qing. La révolution de Sun Yat-sen en 1911 était elle aussi inattendue. Inconnu à l’époque, Sun avait tenté 11 fois en vain d’instaurer une république. Finalement, c’est une grève des ouvriers à Wuhan qui a déclenché le démantèlement de l’empire. C’est là qu’on a demandé à Sun Yat-sen de revenir. Peu de Chinois pensaient alors qu’un système démocratique était possible et la révolution à échoué car la démocratie n’a pas tenu. Depuis la Seconde Guerre mondiale, de nombreux pays ont tenté la démocratie sans succès, car dans la plupart des cas, la population elle-même ne savait pas la définir. Sans base solide au sein du peuple, la révolution ne peut pas réussir. Mais dans la société chinoise actuelle, la population dans son ensemble connaît les avantages de la démocratie. Même des hauts cadres du Parti écrivent que c’est une bonne chose.
Aujourd’hui, on ne sait pas qui sera à l’origine de cette rébellion contre le Parti. C’est quelqu’un qui va le devenir par hasard. Mais la différence avec le passé, c’est que tous les Chinois espèrent que leur pays devienne démocratique. Donc on peut dire que l’effondrement du Parti communiste chinois sera une révolution démocratique. Je suis très optimiste !
Propos recueillis par Joris Zylberman

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A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).