Comment peut-on être avocat en Chine ?

Mon ami Gao exerce la profession d’avocat depuis une dizaine d’années. Lui qui se rêvait redresseur de torts après une enfance plongée dans les romans d’arts martiaux, il a déchanté sitôt après avoir décroché sa licence. En 2006, un juge de Tianjin à court d’arguments juridiques a tenté de l’étrangler en plein tribunal. L’histoire a fait le tour d’Internet. Soutenus par ses collègues, Gao s’était finalement consolé de sa mésaventure et avait repris le chemin des prétoires.
Comment peut-on être avocat en Chine ? Gao a plus que jamais matière à s’interroger. Me Pu Zhiqiang et Me Xia Lin, deux célèbres avocats pékinois, ont été arrêtés coup sur coup en 2014 : le premier en mai, le second en novembre. Dans les deux cas, la volonté de les mettre définitivement à l’écart des tribunaux précédait la découverte d’une quelconque infraction. En décembre 2015, Pu Zhiqiang a été reconnu coupable « d’incitation à la haine ethnique » et de « provocation de troubles » sur le fondement de quelques posts après qu’on a cherché en vain une trace de corruption, de comportement sexuel « déviant » ou encore de trahison en fouillant systématiquement ses comptes, sa vie conjugale, son ordinateur et ses carnets de notes ; il ne pourra plus jamais exercer. Quant à Xia Lin, le parquet, jugeant détenir suffisamment d’éléments contre lui, a transféré l’affaire au tribunal début 2016. Il serait coupable d’escroquerie bien qu’aucun des amis à qui il a emprunté de l’argent n’ait porté plainte.
Durant l’été 2015, les interpellations d’avocats ont pris un tour massif. Jusqu’alors la répression était ciblée sur des individus qui s’étaient distingués. Cette fois-ci, elle a frappé avocats grands aussi bien que petits par la notoriété. Au cours du mois de juillet, on a dénombré plus de 300 arrestations. Et surtout, elles ont eu lieu dans 24 provinces sur 33 ; difficile de ne pas y voir une opération coordonnée à l’échelon national.
Une répression inédite, donc, par son ampleur mais aussi par l’offensive médiatique déployée pour la justifier là où un épais silence règne habituellement autour de ces faits. Dès le 11 juillet, alors que les premières interpellations venaient d’avoir lieu, le Quotidien du peuple a publié un long article intitulé « Révélations sur ce qui se trame derrière les affaires de ‘protection des droits' ». Le fer y est porté à l’encontre d’un seul homme, Zhou Shifeng, directeur du cabinet Fengrui installé à Pékin. Au diable la présomption d’innocence, il est coupable d’avoir fait de son cabinet une « plate-forme » pour « monter en épingle », en s’appuyant sur les services d’un bloggeur, « une quarantaine d’affaires judiciaires depuis juillet 2002 (…) ce qui a gravement porté atteinte à l’ordre public ». Si l’avocat bénéficie du qualificatif de « suspect », on croit lire un acte d’accusation. Tout y est : l’individu est à la tête d’une bande organisée dénommée « cercle », il se procurerait des subsides auprès de l’étranger. Les journalistes s’appesantissent longuement sur son « mobile » : Zhou Shifeng serait obsédé par le désir de gagner en notoriété pour se constituer une clientèle. Seul l’appât du gain animerait cet agitateur prétendant œuvrer pour la « justice, l’intérêt général et la protection des droits ».
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