Jean-Paul Ribes : "la fin de mon maoïsme"
Entretien
Sans perdre une seconde, l’ambassade de Chine en France a déversé des caisses d’exemplaires du Petit Livre Rouge sur les campus. Les premiers maoïstes français forment un club d’intellectuels issus de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, qu’on appellera l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes – l’UJC(ml). Mais après les « événements de juin 1968 », l’organisation, accusée d’actions violentes, est interdite par décret du président de la République. Les « maos », qui aimeraient faire durer les idées de 68, se retrouvent dans les groupes « mao-spontex » (« maoïstes » et « spontanéistes ») de la Gauche prolétarienne ou de Vive la révolution !
Notre série continue sur les maoïstes français d’hier. Que sont-ils devenus ? Qu’ont-ils fait de leurs engagements ? Comment se relever du désenchantement ? Suite et fin de notre entretien avec Jean-Paul Ribes.
Là, je n’avais plus le choix, je ne pouvais que m’engager aux côtés des Tibétains. C’est un retournement logique, un retournement qui en fin de compte n’en est pas un. J’ai toujours voulu être du côté de ceux qui se battent pour leur liberté. Alors c’est vrai, cela a pris du temps. Il m’a fallu en gros une décennie, entre 1972 et 1982. Une décennie au cours de laquelle les choses se sont mises en place de façons différentes pour moi. Ce changement, je le dois d’abord au féminisme. Il se trouve que ce sont les femmes qui nous ont mis au pied du mur. On était passé de l’UJC(ml) à Vive la Révolution (VLR) avec Roland Castro et d’autres… Et un jour, les filles de VLR ont tapé du poing sur la table : « C’est toujours les mecs qui parlent dans les réunions, c’est toujours les mecs qui décident, qui déclament. Nous aussi on veut se réunir, on a des choses à dire. »
La première réunion a eu lieu aux Beaux-arts et nous sommes restés devant la porte. Elles nous ont dit : « C’est pas tout de se déclarer au service du peuple, si on n’est pas capable de se comporter correctement avec les filles. » C’est aussi à cette époque que j’ai rencontré une femme avec qui je suis toujours 40 ans, deux enfants et des petits-enfants plus tard. Le fait de vivre une relation, c’est aussi se dire que son militantisme ne reste pas cantonné dans des hautes sphères. C’était aussi ma recherche quand j’ai travaillé en usine, ou quand j’ai enseigné en Algérie. Je voulais être proche de la réalité et mettre les mains dans le cambouis.
En plus, c’était les années hippies, on avait un côté très sentimental, et ma femme a trouvé que je déconnais avec ce côté poussiéreux et bureaucratique du maoïsme. Sans même parler de ses travers, extrêmement cruels, méchants et méprisant la vie humaine. Enfin il y a eu le début de l’écologie politique. J’ai écrit, je crois, ce qui a constitué le premier manifeste écologiste en France. Nous l’avons publié au Seuil, dans la collection Combat avec mon ami Claude Durand qui m’avait demandé de faire ce livre d’entretien. Son titre : Pourquoi les écologistes font de la politique ? Nous étions en 1975 et c’était la question : « Faut-il faire de la politique ou faut-il investir le mouvement social ? » Mon idée était qu’il fallait plutôt investir le mouvement social. On y revient aujourd’hui. J’étais avec Serge Moscovici, René Dumont et d’autres. Et tout cela m’a amené à remettre en question la Révolution culturelle et le maoïsme.
Et nous voilà, Jacques et moi en voiture. Je rencontre Kalou Rinpoche. On parle très peu, mais j’écoute ses enseignements. Et puis, un jour il se passe une chose bizarre. On était assis tous les deux au soleil dans l’enceinte du temple de Kagulin, et il y a un moine qui passe et qui dit : « Ceux qui veulent prendre refuge avec Kalou Rinpoche ». Et le type qui faisait une retraite à côté de moi de me relancer : « Il faut que tu y ailles ! » J’ai rétorqué : « Ah, non pas pour moi ! Je ne vais pas à nouveau m’engager. » Il m’a répondu dans un grand éclat de rire : « Ça ne coute rien et ça ne fait pas mal, et puis tu verras après. » Voilà comment j’ai pris ce chemin du bouddhisme, et quarante plus tard, j’y suis toujours.
J’organise un petit atelier d’étude du bouddhisme dans mon coin, un petit atelier d’une dizaine de personnes. A la première séance je commence par dire : « Tous les ismes sont des prismes, donc nous n’aurons pas d’ismes entre nous, on va être sur le chemin du Dharma. » Le Dharma est cette grande loi qui fait que les choses sont ce qu’elles sont. L’atelier que j’anime s’appelle « la présence au monde ». Pour moi, la question n’est pas de savoir pourquoi on est là, mais comment on est présent au monde ? Comment je suis avec ma femme ? Comment je suis avec mes mômes ? Comment je suis avec mon chien ? Comment je suis avec l’arbre ? Comment je suis avec moi-même ? Au-delà du pourquoi, il y a surtout le pourquoi faire ? J’ai cru répondre à cette question il y a vingt ans avec l’idéologie. C’était très séduisant et quand les concepts sont présentés par des gens aussi brillants qu’Althusser, évidemment cela a de quoi enthousiasmer les jeunes gens. Le problème n’est plus de se saisir d’une idéologie, mais de se saisir d’une éthique, d’un comportement, d’une manière d’être au monde et ça c’est ce que m’a appris le Dalai Lama.
Je ne dis pas qu’il sortira des choses fascinantes du mouvement « Nuit debout », mais il faut les laisser s’exprimer. On vit quand même à une époque dotée de moyens de communication formidables. Il faut juste savoir les employer. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’à mon âge canonique je passerais mes journées à communiquer avec mes correspondants dans le monde entier. Il y a un phénomène réducteur lié au média télévisuel qui, quelles ques soient les chaînes, emploie les mêmes mots. Le journalisme a un effet démultiplicateur. Nous quand on a fait Actuel, on allait toujours là où les autres rédactions n’allaient pas. C’est totalement l’inverse aujourd’hui. Le mimétisme du moment est lié à la technologie, au capitalisme, mais aussi au manque d’idée et au fait qu’on a la flemme de creuser une information ou qu’on n’a pas le temps. Pour moi, un journaliste, c’est quelqu’un qui pose son cul sur une grosse pierre et qui filme, qui écoute, qui enregistre les gens. Parfois il pose une question, mais la plupart du temps il se tait. Le journaliste, ce n’est pas le mec qui parle, c’est celui qui écoute.
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