Jean-Paul Ribes : "Feu sur le quartier général ! Un slogan fantastique"
Entretien
Sans perdre une seconde, l’ambassade de Chine en France a déversé des caisses d’exemplaires du Petit Livre Rouge sur les campus. Les premiers maoïstes français forment un club d’intellectuels issus de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, qu’on appellera l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes – l’UJC(ml). Mais après les « événements de juin 1968 », l’organisation, accusée d’actions violentes, est interdite par décret du président de la République. Les « maos », qui aimeraient faire durer les idées de 68, se retrouvent dans les groupes « mao-spontex » (« maoïstes » et « spontanéistes ») de la Gauche prolétarienne ou de Vive la révolution !
Suite de nous entretiens avec les maoïstes français d’hier. Que sont-ils devenus ? Qu’ont-ils fait de leurs engagements ? Comment se relever du désenchantement ? Aujourd’hui, Jean-Paul Ribes nous accueille chez lui dans sa demeure du XVIème siècle près de Paris.
Quand l’Algérie est devenue indépendante en 1962, il m’a semblé tout naturel de me rendre sur place pour enseigner l’économie dans un pays qui en avait tant besoin. J’ai passé trois ans là-bas. Essayer de monter un cours d’économie à l’âge de 23 ans dans un pays qui sort de 150 ans de colonisation, c’était de la folie ! J’ai appelé à l’aide partout. J’ai notamment contacté un personnage que j’ai beaucoup aimé : Le Che. Che Guevara est venu à Alger. Il a fait le voyage à notre demande et nous avons passé un mois avec lui. Je l’ai ensuite accompagné à Cuba. C’est dans ce contexte que nous avons rencontré le Premier ministre chinois. Zhou Enlai est venu à Alger. Je me souviens que nous avons trinqué avec lui à l’ambassade de Chine. C’était lui aussi un personnage extrêmement séduisant. Il nous racontait que la Chine était la lumière pour tous les peuples, que l’Orient est rouge. « Nous sommes le grand-arrière de tous les peuples, » aimait-il a répéter à l’époque. Nous étions évidemment sous le charme, même si évidemment ces paroles se sont révélées vides de sens et totalement bidon plus tard.
Mais cet enthousiasme pour la « voie chinoise » était très répandu à l’époque. Je m’en suis rendu compte bien des années plus tard, lorsque j’ai rencontré pour la première fois le Dalai Lama. On était tous les deux face à face. C’était le moment d’avouer les choses pour éviter tout malentendu par la suite. Je lui ai raconté : « Vous savez, votre sainteté, quand j’étais plus jeune, j’ai été… maoïste ! » Il m’a alors regardé avec son regard perçant et son rire énorme. « Ah, ah, ah, m’a-t-il répondu, me too ! Moi aussi ! » A 20 ans, le Dalai Lama a demandé à adhérer au parti communiste chinois. Mao, ce vieux serpent, avait réussi à le convaincre qu’il voulait la même chose que lui : le bonheur pour tout le monde, la paix et tout et tout. Mais comme pour moi, ça n’a pas duré très longtemps.
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