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Expert – Politique chinoise

Chine : le "nettoyage" de Shanghai, la fin de la bande de Jiang Zemin (1/2)

Han Zheng, le dernier membre de la "bande de Shanghai", ancien allié de Jiang Zemin et actuel secrétaire du Parti pour la municipalité le 6 mars 2016.
Han Zheng, le dernier membre de la "bande de Shanghai", ancien allié de Jiang Zemin et actuel secrétaire du Parti pour la municipalité le 6 mars 2016. (Crédit : Wei Yao / Imaginechina via AFP).
Que reste-t-il de la « Bande de Shanghai », ce solide réseau qui a permis à l’ancien président Jiang Zemin de maintenir son influence bien après sa retraite ? Pressé d’asseoir son autorité sur le Parti-État, Xi Jinping s’est attelé dès son arrivée au pouvoir fin 2012 à « nettoyer » de cette clique les postes-clés à Shanghai. A l’approche du 19e Congrès du Parti prévu à l’automne prochain, cette vaste opération touche à sa fin.
Le 17 Janvier 2017, Yang Xiong [杨雄] est « démissionné » de son poste de maire de la municipalité de Shanghai. Cette démission suit de quelques mois la « mutation » de son secrétaire Li Yiping [李逸平] du secrétariat général au profit de Yin Hong [尹弘], associé de Ding Xuexiang, membre de l’ex-« bande de Shanghai » [上海帮] et secrétaire de Xi Jinping lors de son passage à la tête de la mégapole portuaire en 2007. Ce changement soudain choque la scène politique chinoise toujours en alerte depuis la « purge » commencée dès 2012 contre les alliés de l’ancien président Jiang Zemin et sa clique tristement célèbre.
*Dans l’ordre : Ai (né en 1960), vice-maire de Shanghai (2007-2014) ; Shen (né en 1963), vice-maire (2008-2013 et membre du comité permanent de Shanghai (2013-2016) ; Shen (né en 1954), membre du secrétariat (2003-2008) et vice-maire de Shanghai (2008-2013) ; Zhang (né en 1955), responsable de la sécurité publique (2008-2013) et vice-maire de Shanghai (2011-2013) ; Wu (né en 1952), responsable de la sécurité publique (2000-2002) et secrétaire de la commission des affaires politiques et juridiques (zhengfawei) de Shanghai (2002-2012) ; He (né en 1957), commandant de la garnison de Shanghai (2013-2015) ; Yan (né en1955), membre du secrétariat (1997-2002) puis secrétaire-adjointe du Parti pour Shanghai (2002-2013). **Tous ces individus étaient soit maire-adjoint et/ou membre du comité permanent de ville de Shanghai et associés à Jiang Zemin ou encore Han Zheng.
Parmi ceux qui tombent, la liste est longue. Mais certains ont eu plus de chance que les autres : Yang Xiaodu [杨晓渡] (secrétaire-adjoint de la commission centrale de discipline et d’inspection – jiwei), Ding Xuexiang [丁薛祥] (vice-directeur du bureau central des affaires générales), Chen Hao [陈豪] (secrétaire du Parti dans le Yunnan) et Du Jiahao [杜家毫] (secrétaire du Parti dans le Hunan). Les deux premiers ont été « récupérés » par Xi Jinping et les deux autres sont – considérant leur âge – sur le chemin de la sortie. Précisons aussi que Yang et Chen sont des « doubles non » [shuangfei – 双非] : ni membres suppléants ni membres du Comité central, au contraire de Ding et Du qui sont membres suppléants. On se souviendra par ailleurs des « remaniements » ayant écarté Ai Baojun [艾宝俊] (2015), Shen Xiaoming [沈晓明] (2016), Shen Jun [沈骏] (2013), Zhang Xuebing [张学兵] (2012), Wu Zhiming [吴志明] (2012), He Weidong [何卫东] (2015) et Yan Yicui [殷一璀]* (2013), pour ne nommer qu’eux**.

Dernier signal avant le contrôle de Shanghai : le cas de Yang Xiong ?

*Soit, dans l’ordre: Huang (né en 1938), maire de Shanghai entre 1991 et 1995, auquel succède Xu (né en 1937), entre 1995 et 2001, puis Chen (né en 1946), entre 2002 et 2003, tous trois des alliés de Jiang Zemin.
Yang est né en 1953 dans la province du Zhejiang, tout comme les trois anciens maires de Shanghai Han Zheng, Huang Ju [黄菊], Chen Liangyu [陈良宇] et Xu Kuangdi [徐匡迪] avant lui*. Présent dans les hautes sphères de la scène politique de Shanghai depuis 2001, Yang est devenu en 2003 maire-adjoint à l’âge de 50 ans. Alors qu’il aurait dû être promu plus rapidement après 2008 (55 ans), il n’en fut rien et déjà dès 2007, le passage de Xi Jinping se fait sentir sur la carrière de Yang Xiong qui semble faire du sur-place. Alors que Xi entre au politburo en 2007, Yang reste coincé au rang vice-provincial, et ce jusqu’en 2013 – il a alors 63 ans. Aux dires de certains, Yang serait également un proche de Jiang Mianheng [江綿恆] (né en 1951), fils de Jiang Zemin.
Maintenant de facto inéligible au politburo (puisqu’en 2017, il aura 67 ans), et à quelques mois du 19e Congrès, Yang ne représente plus une menace : l’endiguement commencé par les hommes de Xi depuis 2012 porte ses fruits, une fois de plus. Ce faisant, la voie est ouverte pour le président chinois, maintenant débarrassé de Yang, qui ne voit plus sur son chemin que Han Zheng (63 ans), encore éligible à un mandat dans le politburo (2017-2022).

« Nettoyer l’ancienne demeure de Jiang Zemin » [清洗江泽民老家]

*Beau-fils de Yao Yilin [姚依林], une des grandes figures du Parti, Wang aurait à un moment été proche de Jiang Zemin par ses liens avec Li Changchun [李长春] ([1944 -.] membre du Politburo de 1997 à 2012). C’est d’ailleurs Li qui a placé Wang dans le secteur bancaire du Guangdong vers la fin des années 1990 afin d’y enquêter. Wang, qui est maintenant secrétaire de la commission centrale de la discipline et d’inspection, a longuement travaillé avec He Guoqiang [贺国强] et Wu Guanzheng [吴官正], tous deux anciens membres du politburo et proches de Jiang Zemin. Enfin, Wang, bras droit de Xi depuis 2012 dans sa lutte contre les supporteurs de Jiang, est actuellement un important contrepoids dans le politburo (par le biais de la commission de l’inspection). **Membre du politburo de 2007 à 2012, He est un allié de Zeng Qinghong. ***Membre du politburo de 1997 à 2007, Wang est également un allié de Zeng.
Depuis son arrivée au politburo ainsi qu’à la tête des plus hautes instances du Parti, Xi Jinping a mis en œuvre une stratégie d’encerclement et de « nettoyage » de factions, surtout en ce qui concerne la vieille garde alliée de Jiang Zemin : soit Zhou Yongkang et Zeng Qinghong, ou encore la « faction du pétrole » (shiyoubang – 石油帮), la « bande du Jiangxi » (Jiangxibang – 江西帮), la « faction des secrétaires » (mishubang – 秘书帮] ou la « faction de la commission centrale des affaires politiques et juridiques » (zhengfabang – 政法帮). Cela dit, les quatre ou cinq dernières années ont surtout permis à Xi et à Wang Qishan* d’encercler, voire même de « déloger », les anciens du politburo associé à l’ex-président Jiang Zemin. C’est vrai tout particulièrement dans le Jiangxi (fief de Zeng Qinghong et Wu Guangzheng), dans la commission de l’inspection (autrefois présidée par He Guoqiang [贺国强]** et Wu Guangzheng [吴官正]***), dans le Liaoning (fief de Li Changchun [李长春]), en Mongolie-Intérieure ou encore dans le département de la propagande de Liu Yunshan [刘云山].
Ce qui nous donne aujourd’hui dans le détail un paysage politique composé comme tel : le Jiangxi est dirigé par Lu Xinshe [鹿心社], membre de la « bande du Zhejiang » de Xi ; la commission de l’inspection est maintenant dirigée par Wang Qishan ; le Liaoning est dirigé par Li Xi [李希] – allié de Xi Jinping ; et la Mongolie-Intérieure est dirigée par Li Jiheng [李纪恒], supporter de Xi. Ainsi, au 16 janvier dernier, il ne restait en fait que deux grandes figures, deux vestiges, de l’époque de Jiang Zemin à Shanghai, soit Yang Xiong et Han Zheng [韩正]. Et, tous deux se retrouvent depuis 2013-2015 paralysés par l’influx des hommes de Xi qui les poussent vers la sortie.
Cartographie factionnelle du gouvernement et du comité permanent du Parti communiste à Shanghaï
Cartographie factionnelle du gouvernement et du comité permanent du Parti communiste à Shanghaï
En réalité, et nous le voyons bien sur ce graphique, la ville de Shanghai « appartient » dès maintenant à Xi Jinping et Wang Qishan (50%). Et, lorsque Han Zheng ne sera plus secrétaire du Parti pour la municipalité, Xi pourra procéder aux derniers ajustements nécessaires pour effacer du paysage la « bande de Shanghai » centrée autour de Jiang.

Isoler Han Zheng et restructurer la ville portuaire

Pour isoler Han Zheng, le président de la RPC a procédé à des ajustements et des nominations fortes, notamment celle de Ying Yong (né en 1957). Ce dernier, un des protégés de Xi Jinping est revenu du Zhejiang – où il était procureur général de la Cour suprême – pour Shanghai. Là, il est nommé au parquet général du peuple [gaoji renmin fayuan -高级人民法院] (2007) afin de « faire bouger les choses », puis devient gouverneur de la ville portuaire le 20 janvier dernier. C’est Ying, qui sera placé au département de l’organisation de la municipalité (2013-2014) où il profitera de sa fonction pour faire avancer d’autres alliés de Xi. Celui qui était déjà en 2014 pressenti comme prochain maire fut nommé secrétaire-adjoint aux côtés de l’ex-maire Yang Xiong, venant ainsi remplacer Li Xi [李希] (2013-2014) – allié de Xi – qui talonnait déjà Yang depuis 2011.
Ce changement arrive à point nommé pour Xi qui cherche à positionner ses alliés sur des postes de rang provincial ou ministériel avant le remaniement de novembre. Pour l’heure, Xi contrôle également plus de 50 % des provinces, par le biais des secrétaires du Parti. Cela dit, la majorité de ces individus devra quitter la scène politique entre 2017 et 2022, laissant le temps aux autres figures montantes, comme Shi Guanghui [时光辉], de prendre position au Centre et assurer ainsi la continuité de « l’armée de Xi » après 2022.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.