Politique
Essai

Hong Kong : les médias victimes du "pouvoir de nuisance" de la Chine

Le groupe Alibaba, géant de l'Internet chinois, a acheté en 2015 le South China Morning Post, le principal journal de langue anglaise de Hong Kong. L'objectif principal de la démarche est, pour le dirigeant du groupe, "d'améliorer l'image de la Chine" et d'offrir une alternative à ce qu'il appelle le point de vue biaisé des organes de presse occidentaux. (Source : FT)
Le groupe Alibaba, géant de l'Internet chinois, a acheté en 2015 le South China Morning Post, le principal journal de langue anglaise de Hong Kong. L'objectif principal de la démarche est, pour le dirigeant du groupe, "d'améliorer l'image de la Chine" et d'offrir une alternative à ce qu'il appelle le point de vue biaisé des organes de presse occidentaux. (Source : FT)
L’une des libertés majeures battues en brèche à Hong Kong est la liberté de la presse. Le Parti communiste chinois déploie méthodiquement son « pouvoir de nuisance » à coup de « lignes rouges » imposées au nom de la « sécurité nationale », d’intimidations physiques ou de disparitions, de retrait des revenus publicitaires ou de « démissions volontaires » d’éditorialistes trop indépendants. C’est ce que dénonce Bruce Ping-kuen Lui dans China’s Sharp Power in Hong Kong, un ouvrage collectif d’essais publié par Benny Yiu Ting-tai et d’autres leaders du mouvement Occupy Central. Asialyst publie ici un nouvel extrait de leur recueil, traduit par David Bartel.
Le régime communiste chinois a une longue tradition des luttes de pouvoir. Ses armes : les médias et l’armée. D’où son leitmotiv : « Avoir une arme dans une main, le stylo dans l’autre » (一手抓槍桿子,一手抓筆桿). Les médias sont la ligne de front de la bataille idéologique et sont traités comme le porte-parole de l’appareil gouvernemental plutôt que comme un chien de garde, selon la terminologie communiste. Bien que Hong Kong fonctionne sur le principe « un pays, deux systèmes », certains médias y servent les objectifs du régime chinois puisqu’ils sont financés, investis, manipulés, touchés ou bénis par lui et ses ressources conséquentes. Dans le même temps, des médias et des éditeurs indépendants, connus et respectés se confrontent à la Chine et à des forces inconnues. Ce qui se traduit par des disparitions soudaines d’individus, des agressions physiques, des cyber-attaques, des retraits de contrats publicitaires, des blocages de distributions ou des accréditations interdites.

Le sharp power ou pouvoir de nuisance

La Région administrative spéciale de Hong Kong sert – à son corps défendant – de terrain d’expérimentation au régime communiste chinois. Celui-ci y exerce un sharp power que l’on peut assez efficacement traduire ici par « pouvoir de nuisance ». Il pressurise, neutralise et affaiblit les valeurs libérales et les institutions démocratiques dans tous les secteurs de la vie civile et politique : lois, société civile, élection, religion, presses et médias, économie… Lors d’une conférence organisée pour les 4 ans du Mouvement des parapluies, un organisateur écrit en exergue : « Le cas de Hong Kong permettra à la communauté internationale de formuler une stratégie appropriée pour répondre à l’avancée globale de l’autoritarisme. »

C’est pour que ce souhait ne reste pas lettre morte que nous avons décidé que le fascicule de Benny Yiu-ting Tai devait exister en français. Asialyst en publiera régulièrement des extraits. Professeur de droit à l’Université de Hong Kong, Benny Tai est un des initiateurs de Occupy Central. Ce mouvement cherche à mettre la pression sur le gouvernement de la République populaire de Chine pour qu’il honore la promesse d’autoriser les Hongkongais à choisir et élire leur dirigeant au suffrage universel afin d’avoir enfin un mot à dire sur leur présent, et sur leur avenir*. Lui et d’autres activistes sont actuellement en procès pour incitation au désordre public et pour leur rôle dans le Mouvement des Parapluies de 2014. Ils risquent jusqu’à 7 ans de prison.

Lire notre article : Hong Kong : comment la Chine exerce son pouvoir de nuisance.

Comment Xi Jinping voit les médias

Avant le 18ème Congrès du PCC de 2012. Le secrétaire général du Parti communiste chinois joue un rôle crucial dans les politiques à l’égard des médias, en Chine et à Hong Kong. Ses points de vue permettent de comprendre les objectifs du régime chinois dans sa manière de refaçonner le paysage médiatique hongkongais. Il faut lire « Le point de vue du secrétaire général : les mots de Xi Jinping aux médias ses dernières années », un article publié dans la presse officielle en février 2016. Il résume les pensées de Xi sur le rôle de la presse depuis les années 1980. Les principales règles sont la foi dans le Parti (黨性) et l’adhésion au principe d’une information gérée par les autorités. Le second message important est la dominance d’une information positive et la promotion des thématiques centrales du Parti. Xi rappelle aussi aux cadres impliqués dans l’information et les départements en rapport avec l’opinion publique de « ne pas faire de vague ». Lorsque ses principes fondamentaux sont respectés, il reste néanmoins de la place pour une forme de vigilance médiatique et une certaine flexibilité dans la forme des présentations.
Après le 18ème Congrès. Ce n’est qu’après la libéralisation des années 1980 et les réformes économiques de Deng Xiaoping que l’espace civique d’échanges intellectuels – comme les salons tenus dans les universités – commence à se développer. Après la répression du mouvement démocratique de 1989, les autorités décident de resserrer leur contrôle en promulguant une loi très contraignante d’enregistrement et de gestion des organisations sociales. Il devient extrêmement compliqué pour une ONG d’obtenir un statut juridique légal en Chine populaire. Seules les GO-NGO (acronyme anglais pour « government-organised non-governmental organizations ») ou des groupes intimement liés aux autorités comme les associations commerciales ou les sociétés académiques en rapport avec le développement économique, sont autorisés à être dûment enregistrées.
Une fois nommé secrétaire générale du Parti lors du 18ème Congrès, Xi a resserré l’étau et fait preuve d’une posture plus hostile dans sa politique à l’égard des médias. Il souligne lors d’une conférence nationale sur la propagande que le travail idéologique est vital pour le Parti. De plus, un document interne du Parti nommé Les sept sujets interdits révèle l’opposition des principaux dirigeants aux « opinions de la presse occidentale », car celles-ci « entravent le principe du contrôle du Parti sur l’information et les publications ». Ils sont également en désaccord avec l’idée d’une presse comme quatrième pouvoir et d’une institution des médias publique par nature, tel qu’elle est aujourd’hui largement acceptée. La mission des médias, conclut Xi, est d’abord pour le Parti, seulement ensuite pour le public. Il résume son crédo comme suit :
« Lever haut la bannière (高舉旗幟) [du marxisme-léninisme],
orientation [appropriée] directe (引領導向) [de l’opinion publique],
concentration sur les tâches centrales (圍繞中心) [du Parti],
unir le peuple (團結人民),
encourager une haute moralité (鼓舞士氣),
diffuser la morale publique (成風化人),
créer de la cohésion (凝心聚力),
éclairer les fausses idées (澄清謬誤),
distinguer entre le vrai et le faux ((明辨是非),
connecter la Chine et l’extérieur (聯接中外),
discuter avec le monde (溝通世界). »
« [Les médias] doivent embrasser cette mission et cette responsabilité, et doivent placer l’orientation politique (政治方向) avant toute chose, en adhérant au principe de la nature partisane [des médias], en adhérant fermement aux points de vue marxistes sur le journalisme (馬克思主義新聞觀), en adhérant fermement à l’orientation correcte de l’opinion publique (正確輿論導向), et en adhérant fermement à la mise en avant de la propagande positive (正面宣傳為主) » (discours à la Conférence de travail du Parti sur l’information et l’opinion publique, le 19 février 2016).
Depuis que Xi Jinping est entré en fonction en 2012, plusieurs organisations médiatiques en Chine ont été « rectifiées » ou fermées, à l’instar du Southern Weekly en 2013 dans le Guangdong, ou la confiscation en 2016 du Yanhuang Chunqiu(炎黃春秋), un mensuel d’histoire vieux de 25 ans à Pékin. Dans le même temps, plusieurs leaders d’opinion importants sur les réseaux sociaux ont été réduits au silence avec des peines allant de la simple coupure de compte Weibo jusqu’à la prison. Le think tank indépendant, l’Unirule Institute of Economics, a été fermé.

Indicateurs clés pour Hong Kong

D’après le rapport annuel de 2017 de l’Association des journalistes de Hong Kong (HKJA), la situation de la liberté de la presse se dégrade dans la Région administrative spéciale depuis 20 ans, depuis que l’Angleterre a rétrocédé le territoire à la Chine populaire. Selon ce rapport, « les 20 dernières années ont vu régresser la liberté d’expression en général et la liberté de la presse en particulier malgré la lutte des travailleurs des métiers de l’information contre cette tendance ».
Cette tendance a été mise en évidence par l’Indicateur de la liberté de la presse 2017 compilé conjointement par la HKJA et le programme de recherche sur l’opinion publique de l’université de Hong Kong (HKU). L’indicateur est de 48 pour le grand public, de 39 pour les journalistes, alors que la note de qualification est 50. Depuis le début de cette étude en 2013, l’index n’a jamais dépassé cette marque.
Ce résultat fait écho au classement de Hong Kong par deux observateurs internationaux de la presse. Reporters sans frontières place Hong Kong au 70ème rang sur 180 régions et pays en 2018. La Région administrative spéciale tenait une respectable 18ème position au début de ce classement en 2002. La Freedom House, basée à Washington, range le statut de la liberté de la presse à Hong Kong dans la catégorie « libre » avant 1997, puis sans discontinuer après 2008 dans la catégorie « partiellement libre ».
Le facteur commun de ce déclin est l’intervention de Pékin. « Les médias hongkongais font l’expérience d’interférences croissantes des autorités chinoises », écrit Reporters sans frontières. « Les gouvernements hongkongais et chinois, de concert avec des sociétés étroitement liées à Pékin, augmentent les pression politique et économique sur l’indépendance des médias, accuse la Freedom House de son côté. Le résultat est un phénomène croissant d’autocensure parmi les journalistes. »

Le « pouvoir de nuisance » chinois dans les médias hongkongais

Méthode : acquisition et influence personnelle
Objectif : mainmise générale et contrôle opérationnel
D’après le rapport 2017 de la HKJA, huit des vingt-six grands médias hongkongais sont sous contrôle chinois ou ont des participations chinoises, notamment la plus grande chaîne de télévision gratuite, la plus grande chaine de télévision payante et le premier quotidien de langue anglaise. TVB est la principale chaine gratuite de Hong Kong. Son actionnaire principal de Li Ruigang (黎瑞剛) est un membre du Parti communiste, un magnat des médias et un ancien secrétaire général adjoint du gouvernement de Shanghai. Les préoccupations publiques sur son appartenance au Parti, et sur son statut de non-résident de la Région administrative spéciale ont affecté le développement et la direction du média le plus influent de la cité.
Autre exemple avec i-Cable, la chaîne payante est passée fin 2017 entre les mains d’un homme d’affaire local, membre et député de la Conférence politique consultative du peuple chinois. Peu de différences ont étés ressenties dans le traitement de l’information jusque-là. Notons tout de même que deux figures anciennes et symboliques du journalisme d’investigation en Chine ont quitté i-Cable pour « raisons personnelles ou professionnelles ».
Un cas plus explicite est celui du South China Morning Post (SCMP). Le groupe Alibaba, géant de l’Internet chinois a acheté le principal journal de langue anglaise de Hong Kong en 2015. L’objectif principal de la démarche est, pour le dirigeant du groupe, « d’améliorer l’image de la Chine » et d’offrir une alternative à ce qu’il appelle le point de vue biaisé des organes de presse occidentaux. Les critiques, de leur côté, disent que c’est en réalité « s’éloigner du journalisme indépendant pour avancer vers une nouvelle forme de propagande ».
Pour ce qui est de l’influence personnelle, l’influent quotidien Ming Pao a nommé le Malaisien Chong Tien Siong (鍾天祥) rédacteur en chef en 2014. Deux ans plus tard, celui-ci a brutalement renvoyé le respecté Keung Kwok-yuen (姜國元) à minuit avec effet immédiat. Pour l’Association du personnel du Ming Pao et d’autres médias, Chong a décidé de changer le thème d’une couverture du journal après minuit : il a remplacé un rapport sur des documents confidentiels sur le massacre de Tiananmen, déjà approuvé par la rédaction, par une histoire sur Jack Ma, le fondateur d’Alibaba. Chong quitte le journal début 2017 pour devenir le directeur malaisien du conseil stratégique des « Nouvelles routes de la Soie ».
Une autre affaire est intervenue au média en ligne HK01. L’investisseur Yu Pun Hoi (於品海), qui possède de gros intérêts en Chine, est propulsé du jour au lendemain PDG et rédacteur en chef du site après le remaniement de ses structures de gestion. Le contrôle de la gestion économique et managériale est la façon la plus directe et efficace d’influencer la position et le développement d’un média.
Méthode : imposer des « lignes rouges »
Objectif : confisquer la liberté d’expression au nom de la sécurité nationale
Pékin est doué pour déterminer la natures des gens et des problèmes, et pour décider si une action, et de quel type, doit être entreprise à leur encontre. En déclarant des zones interdites, les médias et le public hésiteront sur leurs mots et leurs écrits. Pour ce qui est de « l’indépendance de Hong Kong », le gouvernement voit le sujet comme inabordable, hors du domaine de la liberté d’expression. Par exemple, le Foreign Correspondent Club (FCC) a invité Andy Chan (陳浩天) du Hong Kong National Party pour un débat public en août 2018. Conséquence : Chan n’a pas été seul sous le feu des critiques, le FCC, lui aussi, a été savamment condamné. Ka-wing Leung (梁家榮), le directeur de la radiodiffusion, responsable de la diffusion publique de l’événement, interdit la retransmission en ligne en direct en soulignant que la RTHK (Radio Television Hong Kong) n’était « pas le lieu pour défendre l’indépendance de Hong Kong ». L’équipe de RTHK n’a pas manqué de protester contre cette intervention.
De plus, le camp pro-Pékin a proposé de reprendre le bail du FCC, propriété du gouvernement. Ce qui a suscité des inquiétudes publiques : des menaces similaires pourront-elles être dirigées contre des universités ou des médias susceptibles de servir de plateforme pour la « promotion de l’indépendance de Hong Kong » ou son « autodétermination » ? Les licences, les fonds du gouvernement pourront-ils être menacés en signe de rétorsion ?
Benny Tai (戴耀廷), professeur de droit à l’université de Hong Kong (HKU) a été victime de pressions similaires. En mars 2018, il est invité à une conférence pour discuter du potentiel statut de Hong Kong « en cas d’indépendance ». Immédiatement, Tai est critiqué par les autorités de Pékin et le gouvernement hongkongais, dénoncé par des groupes patriotiques et des médias pro-chinois, qui ensemble appellent haut et fort à le démettre de ses fonctions à l’université.
La même ligne rouge s’applique aux commentateurs. Pendant l’été 2016, Joseph Lian (練乙錚), un expert politique renommé, ancien rédacteur en chef du Hong Kong Economic Journal, a vu sa participation régulière au journal interrompue après qu’il eut écrit sur la possibilité théorique de l’indépendance de Hong Kong.
Selon une déclaration publiée par le bureau du commissaire du ministère chinois des Affaires étrangères à Hong Kong, « la défense de « l’indépendance de Hong Kong » viole la loi et la Constitution. Cela ne relève en aucun cas de la liberté d’expression ».
La ligne rouge vient directement du sommet. Après la cérémonie inaugurale du 1er juillet 2017, le président Xi Jinping a déclaré à la nouvelle administration : « Toute tentative de mettre en danger la souveraineté et la sécurité chinoises défie le pouvoir du gouvernement central et l’autorité de la Loi fondamentale de la Région administrative spéciale. L’instrumentalisation de Hong Kong pour mener des actions d’infiltration ou de sabotage contre la Chine continentale est un acte qui franchit la ligne rouge et qui est inadmissible. » Cette ligne est mentionnée à l’envie par les hauts dirigeants hongkongais.
Sous le nom de sécurité nationale, le régime communiste légifère sur lui-même. C’est-à-dire que la sécurité du régime, c’est la sécurité de la nation promulguée dans la loi sur la sécurité nationale en 2015. De plus, l’Assemblée nationale populaire a amendé la constitution en mars 2018 et affirme désormais dans son premier article que « la direction du Parti communiste chinois est l’élément qui définit le socialisme avec des caractéristiques chinoises ». Les Hongkongais s’inquiètent de savoir si des slogans tels que « Pour la fin de la dictature du parti unique » enfreignent la loi. Pour l’ancien directeur du bureau de liaison Hong Kong-Macao, Wang Guangya (王光亞), un tel énoncé est une violation de la Constitution.
A cause de cette ligne rouge, des commentateurs critiques qui ne sont pas en phase avec le Parti, sont exclus de certains médias. Des journalistes ne sont pas autorisés à rechercher les matériaux nécessaires à leurs travaux, pendant que les journalistes pro-establishment et pro-chinois ont tous les feux verts de la direction de quelques agences d’information importantes.
Par ailleurs, les gens et les problématiques liées au Mouvement démocratique des parapluies sont aussi un sujet sensible. En 2016, l’Asia Society a dû annuler la projection du documentaire Raise the Umbrella. L’université des Sciences et Technologies (HKUST) a bien projeté le film en novembre 2017, mais elle a annulé la discussion qui devait suivre avec Benny Tai et Kin-man Chan (陳健民), les cofondateurs du mouvement Occupy Central. Officiellement pour « garder la politique à l’extérieur du campus ».
Écrire sur la fortune des familles des hauts dirigeants chinois semble bien être un autre tabou. En particulier s’ils sont des alliés de Xi Jinping. Shirley Yam, une éditorialiste économique et politique, a démissionné après 11 ans de service : elle avait écrit un article sur les affaires présumées de la famille du Li Zhanshu, directeur du Comité permanent du Politburo. Ainsi, les lignes rouges continuent d’être tracées l’une après l’autre pour protéger la sécurité et l’image du Parti. Les discours et les écrits qui abordent ses tabous sont interdits.
Méthode : intimidation physique et disparition
Objectifs : suspension ou arrêt définitif d’opérations en cours, distiller la crainte
La série de cinq disparitions de membres de la maison d’édition Causeway Bay Bookstore en 2015 s’est au final traduite par la cessation de ses activités éditoriales. Son propriétaire, Lam Wing-kee (林榮基), libéré peu après, prévoit de rouvrir la librairie à Taïwan en septembre 2018. Pourtant, on a pu lire que les investisseurs étaient sous pression de la Chine et le projet a été abandonné. De plus, trois autres personnes basées à Hong Kong, engagées dans la presse ou l’édition politique, ont été condamnées à de la prison ferme en Chine continentale. Ce qui a conduit à la fermeture de leurs entreprises respectives et à celles d’autres acteurs de ce secteur.
Kevin Lau (劉進圖), ancien rédacteur en chef du Ming Pao, a fait l’expérience de l’intimidation physique. Il a été frappé à six reprises par un assaillant armé d’un couteau de boucher. Une fois rétabli de ses blessures, Lau a maintenu que cette attaque était liée à son travail éditorial. D’autres agressions physiques ont eu lieu en Chine populaire. Des officiels en civil ont attaqué Ho-fai Chan (陳活暉), un journaliste appartenant à la chaîne de télévision i-Cable, alors qu’il couvrait le dixième anniversaire du tremblement de terre au Sichuan. À Pékin, un caméraman a été arrêté et menotté alors en plein reportage sur les auditions d’un avocat durant la « répression 709 » de l’été 2015. La brutalité est le moyen le plus direct et illégal pour stopper les travaux des journalistes et les opérations des éditeurs. La propagation diffuse d’un sentiment de peur a aussi un effet glaçant sur la société dans son ensemble.
Méthode : retrait des revenues publicitaires et autres « punitions »
Objectif : baisse des revenues et « démissions volontaires »
Le groupe Next Media (aujourd’hui Next Digital), avec Next Magazine et Apple Daily, est ciblé depuis 2014. Commercialement, les revenues de la publicité fondent à une échelle massive. Physiquement, la logistique de publication est régulièrement bloquée. Le patron du groupe, Jimmy Lai (黎智英), a été agressé par un homme qui lui a lancé des viscères d’animaux. Son appartement et son bureau ont été incendiés.
D’un autre côté, Next Magazine a subi un coup sévère avec l’échec d’un accord commercial majeur. En juillet 2017, Next Digital annonce la vente de son activité magazine à Gossip Daily Limited. Après avoir reçu les acomptes, et donné les clefs du magazine à l’acheteur, Next Digital n’a jamais reçu les 75 % dus pour compléter la transaction, bien que les dates aient été repoussées plusieurs fois. L’accord a finalement été annulé. Next Magazine est devenu entièrement digital et a mis fin à 28 années de publication papier. Les deux tiers de son équipe sont partis ou ont été licenciés.
En novembre 2014, la chaîne TVB News filme sept policiers frappant violemment un manifestant au sol. Les journalistes et les rédacteurs sont en désaccords avec les mots très mesurés du contrôleur de l’information lors de la diffusion des images. Plus de cent membres des équipes de TVB News signent une lettre ouverte en signe de protestation. C’est la plus importante pétition issue d’un grand média dans l’histoire de la télévision hongkongaise. Progressivement, les postes des personnes les plus impliquées ont été « réarrangés », de l’assistant au rédacteur en chef et aux reporters d’investigation, des programmes de grande écoute vers des heures et des programmes plus périphériques. Au final, tous les journalistes et les éditeurs impliqués dans la pétition ont « démissionné volontairement ».
Méthode : usage d’un média à des fins de propagande
Objectif : augmenter la crédibilité du gouvernement
Pendant que disparaissait l’équipe de la maison d’édition Causeway Bay Bookstore en 2015-2016 et qu’étaient réprimés des centaines d’avocats des droits de l’homme en 2015, plusieurs médias hongkongais ont été utilisés comme des plateformes de confession pour les « personnes disparues » ou les avocats. Les offices de la police continentale ont mis en scène ces interviews, avec scripts et éclairage, ainsi que des policiers en uniforme à l’arrière-plan. Il est vraisemblable que les détenus interrogés ne sont pas là de leur plein gré. Pourtant, certains médias hongkongais jouent le jeu du gouvernement chinois sans dévoiler ce qui ce passe « derrière le rideau », en trompant donc leur audience.
Au départ, CCTV, le groupe de télévision d’État chinois, sert de porte-parole au Parti. Désormais, cette « culture » entre à Hong Kong. Le gouvernement chinois consume la crédibilité des médias hongkongais pour augmenter la confiance dans une information manipulée.
Méthode : dominer le marché
Objectif : marginaliser les perspectives alternatives et promouvoir des thèmes choisis
À Hong Kong, les principaux éditeurs et les plus importantes librairies qui dominent le marché appartiennent à une compagnie propriété du Bureau de liaison du gouvernement central. Avec des fonds abondants et le soutien du gouvernement chinois, ces maisons d’édition et librairies peuvent facilement écraser une concurrence totalement dépendante des conditions du marché. Avec leurs parts majoritaires et leurs antennes dans les principaux lieux de Hong Kong, les universités et les aéroports, les librairies soutenues par le Bureau de liaison forment le meilleur réseau de la ville. La sélection de livres ne dépend pas seulement du marché. Elles peuvent censurer les titres sensibles et les opinions divergentes selon l’agenda politique du régime chinois.
Quand le marché du livre est déformé et dominé de la sorte, les thèmes principaux et les perspectives du gouvernement sont mis en avant, et les opinions différentes sont marginalisées.
Par Bruce Ping-kuen Lui (呂秉權), journaliste et universitaire
Traduit de l’anglais par David Bartel
Les intertitres ont été modifiés par la Rédaction d’Asialyst

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A propos de l'auteur
Chercheur indépendant, David Bartel vit à Hong Kong depuis dix ans. Obtenue en 2017 à l'EHESS, sa thèse porte sur les Lumières chinoises du XXème siècle et leur reconfiguration contemporaine. Il s'intéresse particulièrement aux liens entre histoire, politique et langage. La cooptation des discours théoriques postmodernes et postcoloniaux - en Chine et ailleurs - par la rhétorique nationaliste, et l’effacement de la culture au nom du culturel sont au cœur de ses recherches.