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Expert - Politique chinoise

Chine : le secteur de l'Énergie secoué par la chute de Nur Bekri

Étoile montante du Xinjiang, Nur Bekri, directeur du Bureau national de l'Énergie et directeur adjoint de la Commission pour le développement et la réforme, a été mis en examen le 21 septembre 2018 pour violations disciplinaires graves. (Source : Washington Post)
Étoile montante du Xinjiang, Nur Bekri, directeur du Bureau national de l'Énergie et directeur adjoint de la Commission pour le développement et la réforme, a été mis en examen le 21 septembre 2018 pour violations disciplinaires graves. (Source : Washington Post)
C’est une secousse dangereuse pour les « Nouvelles Routes de la Soie ». Il était connu en Chine sous le nom de « Petit conseiller d’État » : Nur Bekri, directeur du bureau national de l’Énergie et directeur adjoint de la commission pour le développement et la réforme (NDRC), a été mis en examen le 21 septembre dernier pour violations disciplinaires graves. Il a été emmené directement par les autorités après le 5ème sommet du comité de coopération sino-russe sur l’investissement présidé par le vice-premier ministre Han Zheng. L’Étoile montante du Xinjiang est en train de subir le même sort que beaucoup d’autres cadres dans ce secteur stratégique qui ne connaît pas de répit depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. La problématique du secteur de l’Énergie, mais surtout de la corruption qui y règne, s’étend non seulement aux unités administratives, mais aussi à bon nombre de provinces, dont le Xinjiang (avec son bassin du Tarim), la Mongolie-Intérieure (avec les plaines d’Ordos) et le Qinghai (avec son bassin près de Tainan). Retour sur un système administratif complexe, dont l’un des enjeux est le contrôle des ressources par différentes forces à l’intérieur du Parti.

Le dédale du système de l’Énergie

Le système de l’Énergie a longtemps été directement sous la tutelle de la commission centrale de la planification (1952-1998), « l’ancêtre » de la commission pour le développement et la réforme créée en 2003. Cette puissante commission peut chapeauter l’ensemble du secteur (pétrole, charbon ou hydroélectricité) et se pose parfois en concurrent direct des ministères. Cette concurrence s’ajoute à la fragmentation des responsabilités dans de multiples secteurs au sein de différents ministères. Jusqu’en 2008, l’administration de l’industrie du charbon relevait de la commission de l’économie et du commerce externe. Pareil pour l’industrie du pétrole et de l’électricité. La commission de l’industrie des sciences et technologies de la défense gérait quant à elle l’industrie de l’énergie nucléaire. Tout cela crée des problèmes majeurs en termes de planification, de budget et d’organisation du secteur entier.
*Bien entendu, cet historique n’est qu’une version très condensée des faits. Pour en savoir plus sur la commission et le bureau, ainsi que sur la planification de l’énergie, lire Alex Payette et Guillaume Mascotto, Le secteur énergétique chinois: élaboration de politiques, acteurs, quête et stratégie énergétique, CEPES No.37, 2011. **Payette, Alex Payette et Guillaume Mascotto, « Crafting China’s Energy Policy: Toward an Inclusive Approach to Policymaking », in Issues & Studies, 47(3), 2011, pp141-175.
Comment réorganiser le secteur ? En 2005, un « petit groupe sur l’Énergie » fut d’abord mis en place sous la direction de Wen Jiabao, accompagné d’une de travail dirigée par Ma Kai (马凯), alors directeur de la NDRC. Celui-ci fait partie des « grands réformateurs et des « grands administrateurs » (大管家) de la période Hu-Wen et même Xi-Li. Vice premier-ministre de 2013 à 2018, Ma Kai était « l’homme de Zhu Rongji », l’ancien chef du gouvernement sous Jiang Zemin. Mais cette tentative de réorganisation n’a pas vraiment fonctionné. Ainsi, en 2008, l’administration Hu-Wen (principalement Wen Jiabao) a décidé de mettre sur pied une commission nationale de l’Énergie absorbant le « petit groupe ». Chargée de planifier les grandes orientations pour l’ensemble du pays, elle fut accompagnée d’un nouveau bureau de rang vice-ministériel sous la tutelle unique de la NDRC, le fameux bureau national de l’Énergie*. A sa tête fut nommé à Zhang Guobao (张国宝). Né en 1944, ce vétéran du Conseil d’État et de la commission de la planification était un allié de Wen Jiabao. Logiquement, le bureau fut également placé sous la supervision de Zhang Ping (张平, né en 1946), directeur de la NRDC de 2008 à 2013. Zhang était un proche de Guo Jinlong (郭金龙), ex-secrétaire du Parti de l’Anhui (2004-2007) et allié de Hu Jintao**.

Nur Bekri, le Xinjiang et l’Énergie

*Le groupe Shenhua, dans l’eau chaude au Ningxia, a connu aussi une vague d’arrestations, dont son ex-président Zhang Xiwu (张喜武, né en 1958), proche de Zeng Qinghong, le bras droit de Jiang Zemin. **Wei et Zhang Xiwu sont tous deux diplômés de l’université des technologies du Liaoning.
Le bureau national de l’Énergie n’en est pas à son premier scandale. Les mises en examen se sont enchaînées à partir du lancement de la « lutte anti-corruption » par Xi Jinping. A commencer par celle en mai 2013 du deuxième directeur du Bureau, Liu Tienan (刘铁男, 2011-2013), également directeur adjoint de la NDRC. Ce dernier était administrateur des finances pour la « jiangpai », faction de Jiang Zemin. Un an plus tard, en mai 2014, ce fut le tour de Xu Yongsheng (许永盛, né en 1966), directeur adjoint du Bureau entre 2012 et 2014. Le même mois, Wang Jun (王骏), directeur de l’office des nouvelles énergies, connaissait le même sort, suivi de Wei Pengyuan (魏鹏远), directeur adjoint du département du charbon**. Les têtes ont continué à tomber en avril avec Hao Weiping (郝卫平, né en 1963)*, directeur du département de l’énergie atomique, en juin avec Liang Bo (梁波, né en 1971), directeur adjoint de la section de l’électricité, et en novembre avec Yu Yanshan (俞燕山, né en 1965), directeur de la planification. Après une « accalmie » de quelques années, l’hécatombe a repris en janvier dernier : Wang Xiaolin (王晓林, né en 1963), directeur adjoint du Bureau de 2015 à 2018, était inculpé dans « l’affaire Shenhua »* du nom de ce géant minier appartenant à l’État. Wang en avait été le secrétaire du conseil d’administration de 2005 à 2014. Au total, depuis le 18ème Congrès fin 2012, plus d’une dizaine de cadres dirigeants de départements au sein de la NDRC ont été mis en examen. Parmi eux, plus de la moitié provenaient du secteur de l’Énergie.
*Cela dit, Nur avait démontré une grande connaissance du secteur énergétique du Xinjiang lors d’une interview au magazine Caijing en 2010. **Né en 1953 au Xinjiang, Xueke Lai est venu remplacer Nur à la présidence de la région autonome en 2015. Abdullah Shohrat Zakir, le père de Xueke Lai, était proche de Xi Zhongxun, le père de Xi Jinping. ***Sans parler des nombreuses mentions de la région dans le 13ème plan quinquennal : soutien aux industries énergétiques du Xinjiang, construction de centrales de production et autres.
C’est sans parler bien sûr des entreprises comme la China National Petroleum ou le groupe minier Shenhua, toutes deux aux prises avec des scandales de corruption depuis plusieurs années déjà. Dans la majorité des cas, les responsables mis en examen sont des vétérans de leur secteur respectif*. Mais alors qu’en est-il de Nur Bekri ? Né en 1961, Nur fait partie de l’élite locale du Xinjiang comme bon nombre des membres des instances gouvernementales de la région autonome. Il fut longtemps aux côtés de Wang Lequan puis de de Zhang Chunxian, en tant que secrétaire adjoint de la région et plus tard son président (2008-2014). Proche collaborateur, mais aussi en compétition avec Xueke Lai (né en 1953)**, Nur était un atout pour le Parti-État. Il ne s’agit pas seulement de sa gestion efficace des tensions ethniques. Entrent aussi en jeu les deux grandes projets du Parti depuis dix ans : la politique de développement de l’Ouest (2006), faisant du Xinjiang l’une des destinations privilégiées des investissements de la côte Est ; et les « Nouvelles routes de la Soie » qui nécessitera la création de multiples oléoducs en Asie centrale et donc des partenariats avec des populations non-chinoises. Porte d’accès à l’Asie centrale, le Xinjiang possède une position stratégique dans la région***.
*En 2012, Nur était présent à l’ouverture du Xinjiang Energy Chemical Group Co. (中电投新疆能源化工集团有限责任公司) à Urumqi. **En référence ici à son allocution de 2014 et son plan stratégique de développement (2014-2020) fondé sur la réduction de l’utilisation et de la perte d’énergie, sur les énergies propres et renouvelables et sur la sécurité énergétique du pays.
Promu membre du Comité central du Parti en 2012, Nur n’est pas retenu pour le 19ème Congrès en octobre 2017. Il n’est même pas nommé membre suppléant, ni même délégué durant le Congrès. Passé inaperçu, cet échec a sans doute deux raisons. Primo, le secteur administratif de l’Énergie, espace de rente facile d’accès*, est particulièrement touché par la lutte anti-corruption. Secundo, Nur semble avoir de la difficulté à exécuter les réformes en profondeurs demandées par Xi Jinping**.
Il existe un troisième explication possible : la proximité de Nur avec l’ancien « roi du Xinjiang », Wang Lequan. La région autonome était jusqu’à tout récemment l’un des points stratégiques de la faction de Jiang Zemin, principalement pour ses ressources en hydrocarbures, domaine d’expertise de Zhou Yongkang. Wang Lequan était d’ailleurs l’un des proches de Zhou, tout comme son successeur, Zhang Chunxian. Et selon plusieurs sources, Nur aurait agi à titre de bras droit de Wang Lequan et de Zhang Chunxian, à titre « d’agent local » (étant lui-même ouïghour), le liant ainsi à « l’ancien régime » de Jiang Zemin, combattu par Xi Jinping.

Le bureau maudit ?

La chute de Nur ne laisse pas d’impressionner en raison de son rang ministériel. Elle laisse Xi Jinping, son allié et directeur de la NDRC He Lifeng (何立峰, né en 1955), et Li Keqiang (qui dirige la commission nationale de l’Énergie) devant la question de la succession. Qui sera le prochain directeur du « bureau maudit » ? En 2015, Xi pouvait encore nommé Zheng Zhajie (郑栅洁, né en 1961), directeur adjoint du bureau et allié du Fujian. Mais cette option n’est plus à l’ordre du jour. Aujourd’hui, Zheng Zhaijie est secrétaire du Parti de Ningbo, un point stratégique pour la base arrière du président chinois.
*Seul plan économique orienté vers l’extérieur encore viable sous la pression des nouvelles taxes douanières américaines.
Malgré tout, il faudra trouver un remplaçant « digne » de Nur et surtout, possédant des connexions dans la région. Faute de quoi, le développement des « Nouvelles Routes de la Soie » » pourrait s’en voir affecter.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.