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Expert - Politique chinoise

Chine : comment Zhao Kezhi "nettoie" la Sécurité publique pour Xi Jinping

Les têtes tombent dans l'administration de la Sécurité publique en Chine, mais le "système" de Jiang Zemin et Zhou Yongkang n'est pas encore éliminé par Xi Jinping. (Source : Wall Street Journal)
Les têtes tombent dans l'administration de la Sécurité publique en Chine, mais le "système" de Jiang Zemin et Zhou Yongkang n'est pas encore éliminé par Xi Jinping. (Source : Wall Street Journal)
La chose est vieille comme la Chine. Le pouvoir absolu de l’empereur passe nécessairement par la maîtrise totale de la police d’État. Xi Jinping en a confié le « nettoyage » à Zhao Kezhi. Depuis novembre 2017, Zhao est le nouveau ministre de la Sécurité publique, en remplacement de Guo Shengkun, actuel secrétaire de la commission des Affaires politiques et légales du Parti, la « Zhengfa ». Il est à la fois un allié de Hu Jintao et de Xi. Sa mission est de se débarrasser des hommes de Jiang Zemin, dont Zhou Yongkang était le tsar de la Sûreté. Un bon nombre de directeurs (une vingtaine environ) ont déjà été « punis ». Mais la partie est loin d’être terminée.

Retour au Hebei et au Shandong

Le 9 septembre, Chen Qing’en (陈庆恩, né en 1952), directeur adjoint du bureau de la Sécurité publique du Hebei, est mis en examen. Son arrestation fait suite à la précédente inculpation en avril 2016 de Zhang Yue (张越, né en 1961), le « roi de la zhengfa » du Hebei. Vétéran du système de la Sécurité publique, mais aussi directeur du bureau No.26 (公安部二十六局, le fameux « bureau anti-culte ») de 2003 à 2006, Zhang, directeur de la police au Hebei depuis 2008, est un homme de Zhou Yongkang.
Ce retour au Hebei n’étonnera personne. Surtout que Zhao Kezhi avait été envoyé dans cette province en 2015 pour y remplacer Zhou Benshun (周本顺, né en 1953), un allié du tsar déchu de la zhengfa et de la Sécurité publique, Zhou Yongkang. C’est aussi à Zhao que Xi avait demandé de superviser le plan de développement coordonné de Pékin-Tianjin-Hebei (京津冀协同发展) en 2015, en plus de mettre sur pied les nouveaux districts de Zhengding et de Xiong’an, afin de relancer l’économie de la Chine du Centre.
*Il avait été mis en cause pour avoir promu son fils Zhang Yilin (张宜霖, né en 1982) dans les instances locales du Parti entre 2008 et 2009.
En plus du Hebei, le « retour » concerne aussi le Shandong. Illustration avec la mise en examen le 8 août de Zhang Jianhua (张建华, né en 1954) – vétéran de Yantai et secrétaire adjoint de la Zhengfa de la province (2011-2013)*. Le 31 août, Nie Zuokun (聂作坤, né en 1965), chef de police de Yantai, était lui aussi inculpé. Note importante : Zhao, natif de Laxi dans le Shandong, a passé plus de 30 ans en poste dans cette province, dont il fut gouverneur adjoint de 2001 à 2006.
Depuis, Zhao Kezhi utilise le Hebei et le Shandong comme base arrière pour poster ses alliés dans d’autres provinces, notamment au Shanxi. Exemples avec Shang Liguang (商黎光, né en 1963), secrétaire de Cangzhou (Hebei) et du comité permanent du Parti de cette province sous Zhao, et Liu Xinyun (刘新云, né en 1962), directeur de la Sécurité publique de Heze dans le Shandong), lorsque Zhao en était gouverneur adjoint. Shang est secrétaire de la Zhengfa du Shanxi depuis juin 2017 et Liu est directeur de la Sécurité publique du Shanxi depuis janvier dernier.

Chongqing, encore et toujours

*Né en 1962, remplaçant de Wang Lijun*, l’ex-bras droit de Bo Xilai, He Ting (何挺) est un associé de Zhou Yongkang et de Sun Zhengcai. **Cai avait aussi dirigé la tristement célèbre unité 6.10 pour la répression des cultes et des groupes sectaires, dans le comté de Yinan, entre 2000 et 2003.
Même avec le « départ » précipité de Sun Zhengcai en juillet 2017 et de He Ting* un mois avant, la situation est loin d’être pacifiée. De fait, trois nouvelles arrestations ont eu lieu à Chongqing. Cai Pin (蔡聘, né en 1963), ancien chef de la police du district de Wanzhou (2011-2015), a été incarcéré le 14 août 2018**. Né en 1963, Fan Junkai (范俊凯), directeur de l’office politique de la cour populaire du district de Dadukou (2003-2009), a été mis aux arrêts le 31 août. Quant à Jian Xiaoyu (简小雨, né en 1967), directeur de la sécurité publique du district de Shuichuan (2013-2016), a été mis sous les verrous le 10 septembre. Les trois hommes sont directement liés à He Ting, ainsi qu’à « l’ancien régime » de Bo Xilai et Wang Lijun.
*Le cas de Pingdingshan avait fait école par la quantité d’arrestations en 2016 : ainsi de Huang Xiangli (黄祥利), maire adjoint, Ding Shaoqing (丁少青), secrétaire du district de Weidong, Zheng Li (郑理), maire adjoint, Wang Hongjing (王宏景), maire adjoint, et de Wang Hongxi (王宏希), secrétaire du district de Zhanhe.
A ces arrestations s’ajoutent une série d’inculpations. Parmi elles, la mise en examen le 3 septembre de Duan Yuliang (段玉良, né en 1955), secrétaire de la commission des affaires politiques et légales (2003-2006), de la commission disciplinaire (2006-2012) et chef de la police de Pingdingshan (Henan)* entre 2005 et 2007. Puis le 5 septembre était inculpé Wang Zhihuai (汪治怀, né en 1960), chef de la police de Huanggang (Hubei) depuis 2013.
Malgré les têtes qui tombent, la partie n’est pas encore jouée entre les vétérans de l’ancien système de la Sécurité publique dirigé par Zhou Yongkang et l’équipe de Xi Jinping. En dépit de la présence de Guo Shengkun au Politburo, Zhao Kezhi devra déployer encore bien des efforts pour « remettre de l’ordre » dans l’un des organes les plus cruciaux pour la pérennité du régime.

La reprise en main de la Sécurité publique

*Meng Hongwei, Huang Ming et Fu Zhenghua sont des hommes de Zhou Yongkang.
La reprise en main commence bien avant la prise de fonction de Zhao Kezhi. Il faut remonter à 2015 avec l’arrivée à la tête de la Sécurité publique de Pékin de Wang Xiaohong (王小洪, né en 1957), allié de Xi Jinping lorsqu’il dirigeait le Fujian. Aujourd’hui, la transformation du système se poursuit avec la mise à l’écart de Meng Hongwei (孟宏伟, né en 1953) du comité du ministère de la Sécurité publique en avril dernier, avec la « rotation » (mutation) en mars dernier de Huang Ming (黄明, né en 1957) et de Fu Zhenghua (傅政华, né en 1955)* en dehors du ministère et bien sûr, avec la nomination de Xu Ganlu (许甘露, né en 1962) – un allié Xi Jinping à Xiamen – comme ministre adjoint, également au mois de mars.
Dans son allocution du 28 août dernier, Zhao nous apprenait le lancement d’une nouvelle campagne de trois ans pour éliminer les « forces corrompues » des institutions du Parti. Dans le collimateur : les services de sécurité et donc sans doute, les derniers associés de Zhou Yongkang.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.