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Expert - Politique chinoise

Chine : comment les hommes de Xi Jinping infiltrent la Sécurité publique

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Foreign Policy)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Foreign Policy)
Le centre de gravité a changé dans l’organe majeur de la Sécurité publique en Chine. La « Zhengfa » ou Commission centrale du Parti pour les Affaires politiques et judiciaires, n’est plus la chasse gardée des hommes de Jiang Zemin. Elle était naguère dirigée par le très redouté Zhou Yongkang, proche Jiang et condamné pour son soutien à Bo Xilai. Depuis le début du deuxième mandat présidentiel de Xi Jinping, la Commission balance désormais en faveur du maître du pays. Ce qui va permettre à Xi de faire main basse sur tout l’appareil de sécurité de l’État, de la Cour Suprême au système de surveillance dans sa totalité.
*Lui aussi ancien secrétaire-adjoint (2013-2017) et ex-ministre de la Sécurité publique (2012-2013).
13 Juin 2018. Zhao Kezhi (赵克志, né en 1953) est alors ministre de la Sécurité publique depuis novembre 2017. Elle est promu au second rang de la commission des affaires politiques et légales (政法, Zhengfa), aux côtés de Guo Shengkun (郭声琨, né en 1954)*. Un nouveau personnage, relativement inconnu, fait aussi son apparition au secrétariat de la « zhengfa » : Fan Xuyin (樊绪银).
*Ce titre n’apparaît pas sur les profils publics de Wang.
Vétéran de la scène provincial (Shandong, Jiangsu, Guizhou et Hebei), proche de l’ancien président Hu Jintao, Zhao Kezhi suit les traces de Guo Shengkun et d’autres ministres de la Sécurité publique avant lui. Quant au mystérieux Fan Xuyin – officiellement membre de la commission sur les minorités ethniques et la religion de la Conférence consultative politique -, il est en fait un ancien du Hunan. De cette province au centre de la Chine, on sait qu’il était directeur du bureau de recherche politique dans les années 1990. C’est d’ailleurs entre 1993 et 1998 que Fan devient le secrétaire particulier de Wang Maolin (王茂林, né en 1934). Proche de Jiang Zemin, ce dernier est le secrétaire du Parti du Shanxi (1991-1993) puis celui du Hunan (1993-1998). À ce titre, Wang fut le premier directeur de l’Unité 610*, tristement célèbre pour avoir été le centre de commandement de la répression anti-Falungong. Fan peut être considéré comme un supporteur de troisième rang de l’ancienne « Bande du Jiangsu ».

Les hommes de Zhou Yongkang

*Wang était également le secrétaire de Meng Jianzhu, ex-patron de la commission entre 2012-2017.
La Zhengfa, largement contrôlée par les alliés de Jiang Zemin depuis au moins 1998, commence désormais à accuser le coup des assauts répétés de Xi Jinping. Même si, au regard des deux dernières promotions (Zhao Kezhi et Fan Xuyin), le bastion semble tenir, il n’en est rien. Les derniers membres à l’avoir quittée étaient des hommes de l’ancien « Roi de la zhengfa » (政法王), soit Zhou Yongkang, le lieutenant de Jiang Zemin. Exemples avec Wang Yongqing (汪永清, né en 1959), secrétaire en chef de la « Zhengfa » de 2013 à 2018 (mars)*, et son prédécesseur Zhou Benshun (周本顺, né en 1953), secrétaire en chef de 2008 à 2013 puis chef du Parti du Hebei, de 2013 à sa mise en examen en 2015.

La « Zhengfa » dans le viseur de Xi Jinping

*Cela en explique en partie d’où proviennent les soutiens dont bénéficie Zhou Qiang. **5 si l’on considère Zhao Kezhi comme tenté de soutenir Xi Jinping.
La transition qui se dessine au sein de cette commission (directement liée au secteur judiciaire*) est désormais claire : un déséquilibre factionnel apparait qui penche de plus en plus vers l’alliance Xi Jinping/Wang Qishan. Celle-ci contrôle à présent de 4 à 5** des 8 membres, dont le secrétaire en chef. En ce sens, la commission des affaires politiques et légales, autrefois chasse gardée des hommes de Zhou Yongkang et de Jiang Zemin, est passée du statut de « contrôlée totalement » (2012-2017) à « contrôle minoritaire » depuis le début du deuxième mandat de Xi. La donne a donc changé en l’espace de huit mois.
La chute de la « Zhengfa » aux mains de Xi va rebattre les cartes au cœur du Parti-État. En prenant l’ascendant sur cette commission, le président pourra s’attaquer à la Cour suprême ainsi qu’à la justice, complétant ainsi sa mainmise sur l’appareil étatique de surveillance et de supervision.
*Mise sur pied en 1991 sous Jiang Zemin suite à la réponse désorganisée aux manifestations du printemps 1989 sur la place Tian’anmen. **Crée en 1998 par Jiang Zemin afin de centraliser des informations sur des situations potentiellement problématiques pour le Parti, et faire le point sur les conflits sociaux et leur médiation.
Depuis son arrivée au pouvoir, mais surtout durant la session parlementaire en mars dernier, Xi a pris la peine de retirer des prérogatives à la « Zhengfa », donc à Guo Shengkun. On peut penser entre autres à la commission centrale de gestion intégrée de la sécurité publique (综治委)*, au petit groupe dirigeant sur le maintien de la stabilité (维稳小组)** ainsi qu’au petit groupe dirigeant sur la prévention et le traitement des problèmes liés aux sectes (avec en sous-groupe l’Unité 610). Bref, Xi a isolé Guo de la structure de la Sécurité publique en plus de lui enlever une bonne partie de sa capacité à collecter des renseignements sensibles.
Pour l’heure, si la présence de Guo Shengkun ou encore de Zhou Qiang au sein de la « Zhengfa » n’a pas d’influence majeure, elle ne manque pas d’agacer Xi Jinping. Le statu quo entre les trois hommes ne saurait durer encore très longtemps.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.