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Expert - Politique chinoise

Chine : Wang Huning, "l'idéologue" du Parti, tombé en disgrâce ?

Wang Huning, membre du comité permanent du Politburo et directeur du bureau central de recherches politiques. (Source : South China Morning Post)
Wang Huning, membre du comité permanent du Politburo et directeur du bureau central de recherches politiques. (Source : South China Morning Post)
Qu’arrive-t-il à Wang Huning, le principal idéologue des dirigeants chinois, de Jiang Zemin à Xi Jinping ? Celui qui dirige le bureau central de recherches politiques semble déjà en passe d’être désavoué alors même qu’il a été promu au sacro-saint comité permanent du Politburo en octobre 2017. Au début du mois d’août, les dirigeants du Parti communiste chinois ont tenu leur traditionnel conclave dans la station balnéaire de Beidaihe, leur retraite estivale annuelle à quelques centaines de kilomètres de Pékin. La rencontre a réuni une soixantaine d’experts, le Conseil d’État et certains des membres du Politburo pour faire le point sur les orientations économiques et politiques pour l’année à venir. Mais Wang Huning n’y était pas.

*C’est d’ailleurs lui qui présidait cette rencontre de Beidaihe jusqu’en 2017.
Depuis 2002, Wang Huning occupait une place importante à Beidaihe, tout comme l’ancien patron du département de la propagande, Liu Yunshan*. Wang était alors considéré comme l’une des seules éminences grises à avoir « survécu » à trois changements d’équipe dirigeante, en plus d’être l’architecte du soft power chinois.
Cependant, cette année dans la station balnéaire de la mer de Bohai, Wang a brillé par son absence. C’est Chen Xi qui a eu la charge de présider le conclave. Cet ancien professeur, membre du Politburo et secrétaire du Parti pour la prestigieuse Université de Qinghua, est aussi vice-ministre de l’Éducation, secrétaire du Parti de l’association chinoise des sciences et technologies. Surtout, Chen est un camarade de classe de Xi Jinping. Depuis 2017, il a remplacé Zhao Leji à la tête du département de l’Organisation du Parti. A Beidaihe, Chen fut secondé par Hu Chunhua, vice-premier ministre et protégé de l’ancien président Hu Jintao.

*On lui reproche également d’avoir pris sous son aile Zhang Ji (张季), un cadre que Bo Xilai avait naguère purgé à Chongqing.
Wang Huning a été recruté par Jiang Zemin. Il est considéré par certains comme l’une des dernières figures de la tristement célèbre « bande de Shanghai »*. En mars dernier, Xi Jinping a créé la commission centrale sur l’approfondissement global de la réforme, dont il a nommé Wang directeur adjoint, aux côtés de Li Keqiang et de Han Zheng. Depuis, Wang Huning s’est fait très discret. Il fut pratiquement invisible durant le mois de juillet et n’a pas non plus quitté le pays depuis 2017.
Même chose pour la rencontre du 12 juillet sur la « construction politique du Parti » (党的政治建设). Wang est le directeur du centre de recherche le plus important, le centre qui influence les orientations politiques du Parti. Pourtant, il était absent. Il a été remplacé par Ding Xuexiang, directeur du bureau des affaires générales du Président et confident de Xi Jinping.
*Il était tellement apprécié de Jiang Zemin qu’il fut nommé « assistant spécial » du Président (国主席特别助理) en 1998. **Qui provient de Wang Huning et de Jiang Jianguo (蒋建国), directeur adjoint du département de la propagande et un proche de Wang. ***On se souviendra que Wang avait publié un manuscrit intitulé Les États-Unis contre les États-Unis (美国反对美国), publié en 1991, qui critique sévèrement les Américains. Une publication fruit d’un séjour en tant que chercheur invité à l’Université de l’Iowa et de Berkeley (1988-1989). C’est d’ailleurs à cette époque qu’il aurait fait la connaissance de Jiang Jieheng (江绵恒), le fils de Jiang Zemin (aux États-Unis depuis 1986).
Mais alors, que ce passe-t-il ? Celui qui a aidé à la conceptualisation des « Trois représentativités » (San ge daibiao) pour Jiang Zemin*, du « développement scientifique » pour Hu Jintao, et de la « pensée de Xi » (Xi sixiang) aurait poussé un peu trop loin l’affirmation de ‘Ma nation puissante » (厉害了 我的国, lihai le, wo de guo,)** à l’intérieur du système de la propagande. Ce faisant, il aurait exacerbé le conflit commercial avec les États-Unis. Cette « erreur » de Wang, consciente ou non, est une source non seulement de tensions à l’intérieur du Parti, mais aussi d’agitation au sein de la population. Wang semble avoir mal interprété la sévérité du conflit à venir avec l’Amérique ainsi que l’attitude de Donald Trump envers la Chine***. Autant de questions cruciales pour qui dirige le plus important think tank de la Chine. C’est là une occasion manquée de parler de réformes économiques (de la stimulation du marché aux échanges en Asie du Sud-Est) dans le cadre du ralentissement actuel de l’économie chinoise.
Faut-il seulement pointer du doigt Wang Huning ? Probablement pas. Il demeure cependant l’une des seules figures du Politburo à ne pas avoir d’expérience « pratique », contrairement aux figures plus pragmatiques de Wang Qishan, Hu Chunhua, Liu He ou même Wang Yang.
Voyons ce qui lui est reproché. Il en aurait fait un peu trop et de la mauvaise manière concernant la promotion de Xi Jinping sur la scène nationale. En outre, certains de ses articles ont été peu appréciés. Parmi eux, sa charge contre Hua Guofeng, le successeur de Mao (« Hua Guofeng reconnaît ses erreurs », paru le 12 juillet dernier). Un article aujourd’hui pratiquement introuvable sur Internet. La surenchère du « retour aux sources » du marxisme-léninisme, opérée par la propagande du Parti depuis le 19ème Congrès, a reçu une réception très froide au sein de la population. De nombreux Chinois attendaient plutôt un discours sur l’avenir des réformes dans l’actuel contexte de crise. Or cette surenchère, Wang Huning en a sans doute payé le prix.
*Considéré comme un grand érudit dans le Parti, surnommé le « dictionnaire de science politique », nommé professeur à 29 ans. ** « La logique de la politique : principe de la science politique marxiste » et « La vie politique », publiés en 1994.
Malgré tout, Xi semble avoir beaucoup de respect pour Wang Huning*. Surtout envers deux de ses publications** qui insistent sur la la gouvernance par les lois, et qui forment l’une des sources d’inspiration derrière la « lutte anticorruption » lancée en 2013. Wang est un « réformateur » pro-centralisation en faveur d’un autoritarisme « éclairé » (开明专制), proche de « confucéens » tels que Kang Xiaoguang (康晓光) de l’Université du Peuple, promoteur de la « Gouvernance bienveillante » (仁政) et la théorie de la légitimisation des États autoritaires. Ainsi, à la surprise générale, Wang a survécu à la tourmente. Ce qui a d’ailleurs surpris plusieurs des observateurs taïwanais. Wang Huning s’est rendu à la rencontre des 21 et 22 août : il reste donc à flot, pour l’instant. Mais rien n’empêche de penser qu’il a pu être réprimandé, même s’il conserve l’image d’un cadre en qui Xi Jinping a « confiance ».
*Directeur adjoint du département central de la propagande depuis 2016, Xu fait partie de la « bande des trois », alliés de Shanghai (avec Chen Hao (陈豪), secrétaire du Yunnan, et Du Jiahao (杜家毫), actuel secrétaire du parti du Hunan). C’est lui qui était le directeur de l’administration du cyberespace avant Zhuang Rongwen. **Directeur adjoint du même département depuis avril 2018, Zhuang n’est à présent plus le directeur de l’administration nationale de la presse et de la publication (国家新闻出版署) depuis le 21 aout dernier.
Par ailleurs, le président chinois a placé le 21 août un allié de Shanghai, Xu Lin (徐麟), à la direction du bureau de l’Information du Conseil d’État, ainsi qu’à la tête du bureau du Comité central pour la propagande internationale*). Le 28 août, Xi a également nommé Zhuang Rongwen (庄荣文), un ancien allié du Fujian, à la tête du Bureau national du cyberespace**, refaçonnant ainsi le système de l’information et de la propagande, occupé jusque-là par les hommes de Jiang Zemin et de Liu Yunshan. Le numéro un chinois a en outre insister sur la nécessité de mettre davantage en avant la « pensée de Xi ». Ce qui témoigne d’une certaine insatisfaction à l’égard de Wang Huning.
Wang est-il toujours en charge des affaires du Parti ? Les nouvelles nominations décidées par Xi ne laissent pas d’interroger. D’autant que Wang Huning s’est vu retirer certaines responsabilités et l’un de ses alliés au Conseil d’État, Jiang Jianguo (蒋建国) a été remplacé par Xu Lin. Pour l’instant, les autres proches de Wang n’ont pas été inquiétés, à l’instar de Wang Xiaohui (王晓晖), directeur adjoint du département de la propagande, He Yiting (何毅亭), directeur adjoint de l’école du Parti, Pan Shengzhou (潘盛洲), directeur du groupe de la commission disciplinaire pour le groupe du Conseil d’État sur les affaires de Macao et de Hong Kong, ou encore Jiang Jinquan (江金权), directeur du groupe de la commission disciplinaire pour la SASAC (l’administration des avoirs supervisés par l’État).
Pour l’instant, il est difficile de savoir où est Wang Huning, ou ce qu’il adviendra de lui. Le 24 août, il a été « promu » à la vice-direction de la commission pour la gouvernance de l’État par la loi (中央全面依法治国委员会). Mais on ne sait rien de plus. Il est, semble-t-il, à présent loin du « top 3 » des dirigeants du Politburo. Il est même possible qu’il soit remplacé à la tête du centre de recherche politique. Considérant les changements opérés par Xi, il devient à présent normal que ce poste soit occupé par l’un de ses alliés.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.