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Chine : Xi Jinping s'attaque au réseau de Hu Jintao, les Jeunesses communistes

Le président chinois Xi Jinping et son prédécesseur Hu Jintao. (Source : Wbur)
Le président chinois Xi Jinping et son prédécesseur Hu Jintao. (Source : Wbur)
Quand Xi Jinping s’aventure dans la chasse gardée de son prédécesseur, Hu Jintao. En juin dernier s’est tenu l’assemblée quinquennale de la Ligue des Jeunesses communistes. Qu’est-ce que la « Ligue » en Chine ? Le sas de recrutement des futurs dirigeants du Parti communiste. Mais cette assemblée quinquennale n’a pas seulement posé la question du renouvellement des élites politiques dans le pays. La Ligue est le réseau majeur de l’ancien président Hu Jintao, son socle d’influence. Ce réseau a logiquement pris le nom de « Faction de la Ligue », en chinois « tuanpai ». Pour Xi Jinping, qui était présent à ce congrès, il faut désormais gagner le contrôle de cette base de pouvoir, s’il veut contrôler totalement les prochaines générations de leader.

Le Congrès de la Ligue en quelques chiffres

Sur l’ensemble des 299 membres (voir ici la liste complète), examinons le profil des 170 membres titulaires du Comité central de la Ligue, et de leurs 129 suppléants. Les caractéristiques sont édifiantes. Respectivement 21% et 29,5% sont des femmes. Parmi elles, 8% et 13% appartiennent à des minorités ethniques. Sur l’ensemble des deux groupes indépendamment du sexe, 89,4% des membres titulaires et 85,2% des suppléants sont des Han. Pour les autres, l’appartenance ethnique s’équilibre ainsi : le groupe des titulaires compte un Gelao, 3 Hui, 2 Mandchous, 1 Bai, 2 Ouïghours, 1 Miao, 4 Mongols, 3 Tibétains et 1 Li ; quant au groupe des suppléants, il rassemble 1 Ouïghour, 1 Dong, 2 Mandchous, 3 Miao, 1 Tujia, 1 Kazakh, 1 Yao, 2 Tibétains, 1 Li, 1 Mongol, 2 Yi, 1 Coréen et 2 Hui.

Les membres du Comité central ont en moyenne 41 ans. Une petite minorité, 4%, sont des responsables de rang provincial ou ministériel (1 ministériel et 6 vice-ministériel). La grande majorité, 59%, appartiennent au rang préfectoral (39 au rang préfectoral et 61 au rang vice-préfectoral). Ils sont 16% au rang du conté (20 au niveau conté et 7 au niveau vice-conté) et 21% émargent au rang du canton, du village ou de la cellule de base du Parti.

Le secrétariat central : la relève pour Xi ou pour les alliés de Hu ?

*Le terme est mis entre parenthèses car selon plusieurs observateurs, Wang Xiao (王晓, (né en 1968) – secrétaire de Xining et membre du comité permanent du Parti du Qinghai – aurait dû devenir premier secrétaire après Qin. **Lu avait été placé gouverneur par intérim du Heilongjiang dès sa sortie de la structure « tuanpai » et Zhou Qiang, gouverneur par intérim du Hunan.
Comme « prévu »*, c’est He Junke (贺军科, né en 1969) qui a été choisi pour devenir premier secrétaire du secrétariat central de la Ligue – poste de rang ministériel, venant remplacer Qin Yizhi (秦宜智, né en 1965), considéré par certains comme un allié « manqué » de Hu Jintao et de Li Keqiang. Contrairement à ses prédécesseurs, dont Lu Hao (陆昊, né en 1967) – actuel ministre des Ressources naturelles – ou encore Zhou Qiang (周强, né en 1960)**, président de la Cour suprême, Qin fut incapable de se « réinsérer » dans la structure gouvernementale vers un poste de rang provincial.
À sa décharge, Qin Yinzhi arrive en 2013 alors que Xi Jinping tente de couper l’herbe sous le pied de la faction « tuanpai ». Le cas de Ling Jihua (令计划, né en 1956) – pilier de la faction durant les années 1980 et 1990 et directeur du bureau des affaires générales sous Hu Jintao, lui donnera l’occasion de mettre Qin au placard dans divers bureaux centraux. C’est ce qui est arrivé à Luo Mei (罗梅, né en 1969), Zhou Changkui (周长奎, né en 1969) et Xu Feng (徐丰, né en 1973) – tous trois secrétaire du secrétariat central, poste vice-ministériel lors de la dernière assemblée (2013-2018). Luo Mei, vétéran du Tibet (bastion de Hu Jintao), reviendra dans cette province en 2016 en tant qu’assistante du président Che Dalha, avant de devenir vice-présidente en 2018. Zhou Changkui, « tuanpai » de formation, se fait placer à la SAFEA (l’administration des experts étrangers), un bureau de troisième zone.
*Son collègue de Pékin, directeur adjoint du même département pour la municipalité, Chen Hua (陈华, né en 1971), sera mis en examen en avril 2018.
Xu Feng est un cas différent : parce qu’il a été en poste au centre de l’information de l’agence Xinhua, il semble avoir disparu des listes officielles. Comment expliquer sa mise à l’écart ? A Xinhua, il dirigeait le bureau des affaires du cyberespace, auprès de Lu Wei (鲁炜, né en 1960), lui-même directeur adjoint de l’agence de presse officielle (2004-2011) puis directeur de l’office national de l’information sur Internet (2013-2016) et directeur adjoint du département de la propagande (2016-2017). Lu Wei était un grand allié de Liu Yunshan, l’un des associés de l’ancien président Jiang Zemin. Lu Wei fut mis en examen en novembre 2017*. Cette disparition de Xu Feng pourrait liée à « l’affaire Lu Wei ».
C’est ainsi que He Junke se retrouve au sommet de l’organisation majeure dans la relève du Parti. A ses côtés siègent, Wang Hongya (汪鸿雁, né en 1970), Qi Batu (奇巴图, né en 1971), Xu Xiao (徐晓, né en 1972), Yin Dongmei (尹冬梅, né en 1973) et Fu Zhengbang (傅振邦, né en 1975). Cette relève « tuanpai » est assez intéressante : Wang Hongya, Qibatu, Xu Xiao et Yin Dongmei n’ont que peu affiché leur « couleur » politique jusqu’à présent.
Cela dit, He Junke, originaire du Shaanxi et vétéran de l’industrie aérospatiale est un cas particulier. Il semble davantage se ranger du côté de Xi Jinping. Il a déjà endossé à plusieurs reprises le titre de « noyau générationnel », revendiqué par Xi et semble bien s’entendre avec lui. Ce faisant, la « tête du dragon » des Jeunesses communistes appartient sans doute au camp des « hommes du Shaanxi ». ce qui n’est pas sans rappeler Yang Yue (杨岳, né en 1968), un ancien de Qingha (de la nouvelle clique de Qinghua affiliée à Xi). Lui aussi un grand « tuanpai » (secrétaire exécutif du secrétariat de 2005 à 2008), il s’est rangé dans le camp de Xi. Yang fut d’ailleurs envoyé au Fujian et ensuite au Jiangsu, afin d’assurer la relève après le « nettoyage de la « bande du Jiangsu » de Jiang Zemin.
*Né en 1930 au Jiangsu, Li est l’un des professeurs d’économie les plus connus en Chine et l’une des voix les plus importantes en matière de réformes (privatisation), orientées vers les mécanismes de marché. Egalement le mentor de Li Yuanchao, il fut enfin le professeur de Lu Hao.
Le second cadre qui retient notre attention est Fu Zhenbang. Fu est un proche de Li Keqiang. Tous deux ont comme mentor à l’université de Pékin le professeur Li Yining (厉以宁)*. Fu est perçu comme la prochaine génération de leaders « tuanpai », qui pourrait venir assez tôt soutenir Lu Hao, un membre de la génération de transition (6.5). En outre, compte tenu des « purges » actuelles et de la volonté de Xi (comme ses prédécesseurs) de vouloir placer son propre successeur, Fu est considéré comme une « roue de secours » pour la prochaine de génération de « tuanpai », dans le cas où d’autres membres se feraient écarter. Cela dit, Fu est davantage vu comme un futur Premier ministre de l’équipe dirigeante.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.