Cette semaine en Asie - 21 mai 2016

Chine : la Révolution culturelle, éternel réfoulement

Pendentifs présentant le portrait de Mao Zedong en vente à Pékin le 16 mai 2016.
Pendentifs présentant le portrait de Mao Zedong en vente à Pékin le 16 mai 2016. (Crédit : FRED DUFOUR / AFP)
C’est une prouesse toujours renouvelée. La semaine qui vient de s’écouler en Chine a montré une fois de plus comment le Parti communiste parvient à maintenir dans le placard les cadavres de l’histoire nationale. Pas un mot lundi 16 mai sur le 50ème anniversaire du lancement de la Révolution culturelle. Pas un mot du déchaînement rageur d’une jeunesse contre ses professeurs puis contre l’establishment du Parti. Pas un mot, bien sûr, du rôle de Mao Zedong, le grand initiateur de cette « guérilla civile » au service de ses ambitions de pouvoir absolu.
En 1981, le Parti communiste a condamné la Révolution culturelle par le procès de la Bande des Quatre. Pas le procès du Grand Timonier, dont le portrait continue d’orner la place Tian’anmen, comme gage ultime de la légitimité du Parti unique au pouvoir.

Cependant, il reste encore une infinité de questions en suspens sur la Révolution culturelle. Combien de temps a-t-elle vraiment duré ? Le lieu commun en Chine est de la faire commencer en 1966 et de la terminer en 1976 – au décès de Mao, le 9 septembre. Certains l’arrêtent à 1971 – à la mort dans un mystérieux accident d’avion de Lin Biao, dauphin désigné puis décrié du Grand Timonier. D’autres stoppent la période révolutionnaire à 1969 – au IXe Congrès du PCC, qui entérine la militarisation du pays après l’écrasement des factions de gardes rouges par l’armée.

Justement, les gardes rouges, qui étaient-ils ? Etait-ce l’ensemble de la jeunesse en ville comme dans les campagnes ? Ou était-ce une frange de la population chinoise, notamment urbaine, délaissée du pouvoir économique et politique, désireuse d’être « plus rouge que les rouges » ?

Le silence autour de ces quelques questions (et de nombreuses autres) est encore aujourd’hui assourdissant. Or, comme l’a dit récemment l’écrivain chinois Yan Lianke, comment éviter de répéter les mêmes erreurs si l’on n’accepte pas d’affronter l’une des pages les plus sombres de l’histoire de la Chine populaire ?

Le résultat de ce silence répété depuis 35 ans, c’est que la Révolution culturelle hante la Chine, de l’échelon le plus bas au plus haut de la société. Les étudiants pro-démocratie de Tian’anmen en 1989 ? De nouveaux gardes rouges, selon le Parti. Bo Xilai, l’ancienne star déchue du PCC à Chongqing, accusé d’être le rival de Xi Jinping ? Un gauchiste radical dangereux digne de la Bande des Quatre. Et Xi Jinping lui-même et sa « lutte anti-corruption » aux allures de purge révolutionnaire ? Le nouveau Mao ? La Chine mérite enfin des réponses apaisées à ces questions éternellement refoulées. Elle sont au moins aussi cruciales pour son avenir que ses défis les plus brûlants, de la réforme économique à la mer de Chine du Sud, en passant par l’investiture de Tsai Ing-wen à Taïwan.

Retour sur une semaine en Chine à travers la presse asiatique et internationale.

Lundi 16 mai

Chine : silence assourdissant pour l’anniversaire de la Révolution culturelle

South China Morning Post – Voilà un anniversaire que le Parti communiste chinois aimerait oublier. Il y a 50 ans jour pour jour, Mao Zedong lançait la « Grande Révolution culturelle prolétarienne » par la circulaire du 16 mai 1966, plongeant le pays dans plusieurs années de chaos, dont le nombre de victimes est aujourd’hui estimé à au moins 1,7 millions de morts. Le 10 mai dernier dans un discours sur l’économie, Xi Jinping avait qualifié la période de la Révolution culturelle de « décennie de la catastrophe ». Et puis ce lundi 16 mai 2016, alors que la presse internationale fleurissait d’images d’archives et de témoignages d’anciens gardes rouges ou de victimes, les médias officiels chinois sont restés muets, à l’instar du Quotidien du Peuple. Le Global Times consacre sa Une à la colère chinoise contre les Américains en mer de Chine du Sud. Autre exemple, le Beijing Morning Post se gargarise des dernières déclarations de Donald Trump ou de l’ancien maire de Londres Boris Johnson comparant l’Union européenne à Hitler.

Le South China Morning Post rapporte aussi le cas du magazine politique mensuel Yanhuang Chunqiu, dont la publication a été repoussée d’une semaine en raison d’un désaccord entre la rédaction en chef et la censure au sujet d’articles sur la Révolution culturelle. L’un des articles aurait été supprimé, selon une source proche du magazine citée par le journal de Hong Kong.

Alors qu’aucune commémoration n’a eu lieu – ou n’a été mentionnée par les médias – et que sur Weibo, le Twitter chinois, les discussions sur la question ont été censurées, le pouvoir central avait faire dire la messe la veille, dimanche 15 mai. Répondant à une question sur cet anniversaire maudit lors d’une conférence de presse, Hong Lei, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a été lapidaire : « Le gouvernement chinois a déjà prononcé le verdict correct à ce sujet il y a très longtemps. » Référence à la résolution de 1981 du Parti communiste condamnant la Révolution culturelle, et fermant le débat immédiatement, pour privilégier le développement économique. Aujourd’hui, Xi Jinping et le Parti n’ont pas bougé : il est toujours interdit d’ouvrir la « boîte de Pandore » pour éviter une quelconque remise en cause du régime dans ses fondements historiques et surtout de son icône, Mao Zedong, l’initiateur du chaos.

Voir l’excellent dossier multimédia sur la Révolution culturelle du South China Morning Post.

Mardi 17 mai

Quotidien du Peuple (en chinois) et Global Times – Un jour après la date anniversaire, le silence est enfin brisé. Les observateurs de la Chine attendaient depuis hier lundi 16 mai, une parole ou tout du moins un signe « politique » du Parti communiste chinois concernant les 50 ans du lancement de la Révolution culturelle. Et comme souvent, la « parole » est venue du Quotidien du Peuple, journal officiel du PCC. Aujourd’hui, mardi 17 mai, on peut donc lire en page 4 du journal (en chinois seulement), un éditorial engageant chaque citoyen chinois à laisser l’histoire à l’histoire et à regarder de l’avant, vers « un futur brillant » guidé par « le socialisme aux caractéristiques chinoises » et par le président Xi Jinping. Et l’éditorial de rappeler comme un vœu pieux que « les erreurs de la Révolution culturelle ne seront plus autorisées ».

Mais le message du Parti a aussi été communiqué en anglais via un éditorial du Global Times, qui tient à rappeler que la société chinoise fait bloc et « rejette fermement » la Révolution culturelle. Il y a 50 ans, le président Mao lançait officiellement la jeunesse contre les « révisionnistes » par la circulaire du 16 mai 1966. Cette « décennie de chaos [1966-1976] fut un désastre », souligne d’emblée le quotidien officiel qui concède qu’il est bien « normal que la population en parle », notamment sur Internet. Mais, insiste le Global Times, ces discussions ne reflètent aucun « clivage » dans la société chinoise.

Les deux organes de presse officielle s’inscrivent dans la bonne tradition du Parti depuis 35 ans. En 1981, le PC chinois condamnait par une résolution historique la Révolution culturelle. Mais pas question d’ouvrir un débat dans toute la société. A l’instar du Quotidien du Peuple, le Global Times ne s’écarte toujours pas de la ligne, en affirmant que le peuple s’est ainsi « concentré sur la construction économique du pays », que les objectifs « partagés par la société » ont provoqué un « élan vers le progrès », et que les « leçons » de la Révolution culturelle ont immunisé la nation contre les conflits internes.

Depuis le début l’année, le silence n’a pas été total en Chine, rappelle de son côté le New York Times. De nombreux journaux et sites internets « libéraux » chinois ont publié des éditoriaux demandant une plus grande réflexion sur la Révolution culturelle, afin de regarder en face les blessures du passé. D’autres, plus nostalgiques comme les sites de l’extrême-gauche « néo-maoïste », ont revendiqué une « Révolution culturelle 2.0 ». Mais semble-t-il, aux yeux du président Xi Jinping, l’important pour souder la population derrière lui, est de continuer à préserver l’image de Mao Zedong et d’atténuer son rôle, pourtant central, dans la Révolution culturelle. Sans quoi la légitimité du Parti volerait en éclat.

Mercredi 18 mai

South China Morning Post – Aujourd’hui, mercredi 18 mai, c’est un gigantesque exercice militaire qui a pris place sur la côte de la province du Fujian, au sud-ouest de la Chine, en face de l’île de Taïwan. Cet « exercice de débarquement montre que l’Armée populaire de libération est capable de prendre le contrôle sur Taïwan » avance Ni Lexiong, un expert naval de l’université de Shanghai. Selon le ministère chinois de la Défense, l’exercice vise à renforcer les capacités du pays à répondre aux menaces pour sa sécurité. Et ce dernier de préciser également qu’« aucune partie » n’est visée.

Des observateurs militaires étrangers affirment eux que ces exercices militaires sont en réalité un « avertissement » adressé à Taïwan et à toute velléité d’indépendance.

Ces exercices militaires interviennent deux jours avant l’investiture de la présidente Tsai Ing-wen, issue du Parti Démocrate Progressiste (DPP) et réputée pro-indépendance. Pour Ni Lexiong, cité par le quotidien hongkongais, cet avertissement pourrait aussi viser les Etats-Unis. En effet, Taïwan est protégé par les Américains en vertu d’un accord conclu en 1979 : le Taiwan Relation Act. Ainsi, selon le chercheur « la Chine est capable d’exercer une certaine pression sur Taïwan par l’intermédiaire des Etats-Unis » car Washington « ne souhaite pas être impliqué dans une crise dans le détroit de Taïwan ».

South China Morning Post – C’est une période de confusion pour les investisseurs en Chine, d’autant qu’à quelques mois de l’ouverture du XIXème Congrès du Parti communiste chinois (qui désignera le vice-président et futur successeur de Xi Jinping), le gouvernement envoie des signaux contradictoires.

La semaine dernière le Quotidien du peuple citait une « source d’autorité » pour annoncer que le pays se dirigerait vers une « croissance en L », qui suggère une stabilisation après une période de déclin. Une annonce qui a surpris le marché intérieur, préparé à une « croissance en U ». Cette dernière se caractérise par une forte relance après avoir atteint le point le plus bas.

Et pour cause, en mars 2016, le Premier ministre Li Keqiang avait annoncé un ensemble de politiques de relance pour le pays, soit : une forte injection de liquidités et une politique de soutien au secteur immobilier durant le premier trimestre de 2016. Le tout ayant permis l’augmentation du PIB du pays de 6,7%.

Jeudi 19 mai

Channel News Asia – Nouvel accroc aérien entre Washington et Pékin. Hier mercredi 18 mai, deux jets chinois ont intercepté un avion espion américain dans l’espace aérien international en mer de Chine du Sud. Une interception qualifiée de « dangereuse » par le porte-parole du Pentagone Jamie Davis. Côté chinois, le quotidien officiel Global Times s’insurge contre l’Amérique qui cherche à « étendre sa zone d’influence en Asie ». Le journal fait part du témoignage de l’ancien ambassadeur d’Egypte à Pékin qui considère que les Etats-Unis profite de la dispute entre les Philippines et la Chine, pour « interférer » dans la région. Ce dernier a ajouté que le « pacte conclu entre la Chine et l’ASEAN » pouvait être une base solide pour « résoudre les disputes territoriales » entre Pékin et Manille.

La Convention des Nations unies sur le droit de la mer limite les territoires maritimes exclusifs d’un Etat à 12 pieds marins à partir de sa côte. La Chine, qui revendique 90% de la zone, mène une politique de construction tous azimuts d’îles artificielles en mer de Chine du Sud. Cette année, les Etats-Unis ont a plusieurs reprises conduit des opérations de « liberté de navigation » en survolant ou en naviguant à moins de 12 pieds marins des installations chinoises. Voir notre revue de presse de la semaine du 18 avril sur le conflit en mer de Chine et pour l’historique du conflit, voir notre dossier spécial mers de Chine.

South China Morning Post – Hong Kong ne deviendra jamais une ville chinoise comme les autres. C’est du moins ce qu’assure le président du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, Zhang Dejiang, numéro 3 du régime chinois. Hong Kong ne perdra ni son identité, ni son autonomie, a affirmé Zhang, le premier dirigeant chinois à se rendre dans la ville depuis que des manifestations pro-démocratie ont envahi les rues de Hong Kong en octobre 2014. Dans son discours, il a promis d’écouter les différents points de vue, du moment que ceux-ci restaient dans le cadre de la politique « un pays deux systèmes » et que la « loi fondamentale de Hong Kong » était respectée.

En revanche, le numéro 3 chinois a mis en garde contre tout mouvement d’indépendance, qu’il considère comme une « sécession au nom du localisme » . Selon lui, ces revendications ne concernent qu’un « nombre extrêmement limité de personnes. » Les juristes les plus indépendantistes eux, ont boycotté la conférence. Néanmoins, 4 d’entre eux ont rencontré Zhang Dejiang et ont demandé le départ de Leung Chun-ying, le chef de l’exécutif pour la Région administrative spéciale (SAR) de Hong Kong. Le leader chinois bien que n’ayant pas répondu directement, a assuré que les politiques mises en place par Leung fonctionnent et apportent « progressivement des résultats ».

Vendredi 20 mai

South China Morning Post – Gong Wenmi est le nouveau secrétaire du parti communiste chinois de Shaoyang. Cette « petite » ville située dans la province du Hunan compte quelque 8 millions d’habitants, essentiellement ruraux. Gong un cadre de base comme des millions d’autres en Chine et à ce titre, une grande partie de son travail consiste à obtenir des subsides pour sa ville auprès du gouvernement central à Pékin. C’est ce travail de lobbying qui est aujourd’hui révélé par le South China Morning Post. Le quotidien hongkongais reprend ici les informations publiées dans le quotidien officiel local, le Shaoyang Daily – « retirées depuis et du site du journal et du site de la municipalité » – qui les tiraient lui-même du rapport officiel de la visite « tourbillon » de Gong Wenmi.

Alors que nous apprend cette visite officielle de quatre jours du camarade Gong à Pékin ? D’abord que les fonds s’obtiennent essentiellement grâce à des « relations » et non des présentations et que ces dernières sont d’autant plus efficaces si elles sont assurées par des cadres originaires de votre région. Et c’est ainsi que notre secrétaire de cette ville du Hunan a pu rencontrer le vice-ministre chinois des Finances, le vice-président dernièrement retraité (en décembre 2014) de la toute puissante NDRC (la National Development and Reform Commission en charge de la majorité des projets de développement du pays), le directeur adjoint de la Commission des Investissements en matière d’infrastructures (en effet, le secrétaire Gong aimerait que sa ville de 8 millions d’habitants soit dotée d’un aéroport), un assistant du ministre du Commerce (le secrétaire souhaite également que sa ville soit « pionnière au niveau national en matière d’e-commerce »), un adjoint du ministre de l’Industrie ou encore le directeur général adjoint de la compagnie ferroviaire étatique Railway Corp (au cas où une liaison aérienne ne serait pas possible, une liaison ferroviaire reliant Shaoyang à Pékin serait la bienvenue).

Pour Zhu Lijia, une professeure de politique publique à l’Académie chinoise de la gouvernance (le centre de formation des cadres), « les fonds devraient être accordés selon des projets et non à cause de l’existence de relations personnelles ou parce que des gens partagent le même lieu de naissance ». Pour autant, elle admet qu’il sera « difficile d’éliminer de telles pratiques » d’autant que « parfois, les officiels locaux obtiennent ce qu’ils veulent ».

Par la Rédaction d’Asialyst

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