Culture

Merveilles menacées d'Asie : la Baie d'Halong

La baie d'Halong au Vietnam, le 12 octobre 2016. (Crédits : Michel Gounot/Godong/Leemage/via AFP)
La baie d'Halong au Vietnam, le 12 octobre 2016. (Crédits : Michel Gounot/Godong/Leemage/via AFP)
A 165 km de Hanoï, se trouve l’un des paysages les plus réputés d’Asie. 43 000 hectares d’îlots calcaires et un panorama marin spectaculaire. Une biodiversité incomparable, des arches, des plages, et plusieurs milliers de cryptes qui ont servi jadis de refuge aux combattants de la guérilla nord-vietnamienne. La Baie d’Halong, c’est aussi 5500 touristes par jour, des boutiques sur pilotis et une odeur de fuel. Des paquebots et des jonques à perte de vue pour des croisières allant de 75 à 950 euros la nuit. Pour ce lieu mythique, désigné comme l’une des « 7 merveilles du monde naturel » en 2012 (selon la New7wonders foundation), les enjeux sont énormes : le nombre de touristes ne cesse d’augmenter depuis que le site a été ajouté au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1994. C’est pourtant ce même label qui impose au Vietnam de disposer des ressources nécessaires pour limiter l’impact du tourisme sur l’environnement.

Contexte

La Grande Muraille de Chine, le Taj Mahal en Inde, la baie d’Halong au Vietnam… Autant de merveilles naturelles ou architecturales, dont l’imaginaire surgit en un éclair à la simple évocation de l’Asie. Mais ces images d’Épinal ne sont pas épargnées par les maux de notre siècle au rang desquels tourisme intempestif, changement climatique et pollution. Dans cette nouvelle série, Asialyst se penche sur le sort d’une poignée de ces « merveilles menacées ». Une sélection subjective de quelques sites emblématiques face aux défis du XXIe siècle avec, en ligne de mire, la perspective de les surmonter.

Carte des merveilles menacées d'Asie retenues par Asialyst et localisation de la Baie d'Halong, au Vietnam.
Carte des merveilles menacées d'Asie retenues par Asialyst et localisation de la Baie d'Halong, au Vietnam.

Un lieu atypique et historiquement symbolique

Pour les Vietnamiens, la baie d’Halong est tout d’abord une légende : « Hạ Long » signifie « descente du Dragon » en ancien vietnamien. Ce dernier serait intervenu dans la baie pour y domestiquer les courants marins qui se seraient rebellés contre lui. Les mouvements de sa queue auraient entaillé les montagnes, qui auraient alors plongé dans la mer et provoqué une montée des eaux. Seuls les sommets les plus élevés seraient restés visibles. Une anecdote qui ne manque pas de renvoyer directement à la légende initiale du pays, qui suppose que le peuple vietnamien est né de l’union d’une fée et d’un dragon.

Si l’on quitte le champ du mythe, Hạ Long pourrait être né d’un processus géomorphologique exceptionnel, venant de l’érosion d’un plateau calcaire il y a quelques millions d’années. Les remous provoqués par les tempêtes ne laissant place qu’aux roches les plus dures. C’est grâce à cette nature hors du commun, relativement peu dégradée, que la baie a pu trouver sa place au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1994. L’activité humaine y était certes limitée avant que le pays ne s’ouvre au tourisme. Car sur la baie d’Halong, on ne trouve que 4 petits villages flottants et une poignée d’îles habitées.

Un paysage affecté par l’activité humaine

Le tourisme, en pleine expansion depuis les années 2000, contribue de façon significative à l’économie du Vietnam. Les villages locaux, qui reposent traditionnellement sur la pêche, se sont adaptés à cette industrie prospère, dans le but de compléter leurs revenus. Seulement, les habitants ne sont pas les seuls à s’investir : de nombreux entrepreneurs vietnamiens, parfois japonais, sont attirés par le potentiel touristique de la région et y ont installé des fermes perlières. Y voyant une opportunité, l’industrie du tourisme ne cesse de se développer sur la baie ainsi qu’à Hong Gai et Bãi Cháy, deux villes rassemblées sous le nom de « Hạ Long City ». Point de départ des bateaux de croisières, la ville comporte une multitude d’hôtels, plusieurs centres commerciaux et un casino. Elle a même ouvert récemment son deuxième parc d’attraction.
Collecte des déchets rejetés par les bateaux de tourisme dans la baie d'Halong, le 24 juillet 2015. (Crédits : Sergi Reboredo / picture alliance / DPA / via AFP)
Collecte des déchets rejetés par les bateaux de tourisme dans la baie d'Halong, le 24 juillet 2015. (Crédits : Sergi Reboredo / picture alliance / DPA / via AFP)
Paradoxalement, plus la communauté internationale s’efforce de souligner la nécessité de protéger ce patrimoine mondial, plus il y a de visiteurs, et plus la baie est polluée. A l’instar des autres sites touristiques du pays, des tonnes de détritus la rongent. L’augmentation significative du nombre de déchets chaque année est directement liée à l’expansion du secteur touristique. A l’inconfort causé par la pollution, s’ajoute une réduction des ressources halieutiques dont dépendent les populations locales, attachées à leur mode de vie traditionnel et ancestral.

Vers un tourisme plus responsable ?

Pourtant, les paysages naturels sont ceux qui attirent le plus les touristes au Vietnam, et une dégradation du paysage entraînera automatiquement une crise du secteur. Les agences de voyage le savent. C’est pourquoi une poignée d’entreprises se sont converties à l’éco-tourisme : de nombreuses agences de croisières vantent leur dispositif éco-responsable ; d’autres se dotent d’une rubrique « voyage responsable » qui encourage les touristes à éteindre la climatisation lorsqu’ils sortent de leur cabine et à ne pas jeter les déchets dans la baie. Il semblerait que les « Green tours » soient la nouvelle opportunité à saisir.

Mais si l’éco-tourisme est une opportunité économique, l’initiative n’est pas dénuée de convictions. Plusieurs agences se sont unies pour former « The Responsible Travel Club », afin de promouvoir un tourisme plus responsable auprès des vacanciers et des entrepreneurs. Ce collectif préconise néanmoins du temps et des ressources dont la plupart des agences manquent. Par ailleurs, l’International Union for the conservation of nature (IUCN), une des plus grandes organisations internationales pour la protection de la nature, a formé la « Halong – Cat Ba Alliance » : un projet sur trois ans, qui vise à faciliter les partenariats entre le gouvernement vietnamien, les investisseurs et la société civile, dans le but de préserver l’intégrité du site.

A voir, la vidéo de présentation de la « Halong – Cat Ba Alliance » :

Si ces associations ont le mérite d’aider à sensibiliser les visiteurs, il suffit de jeter un coup d’œil aux forums touristiques sur le Net pour constater que les touristes se plaignent toujours autant de la quantité de déchets qui accompagnent leur séjour sur la baie. En juin 2016, un article du site The Diplomat vantait pourtant les mérites écologiques de certaines agences de luxe : l’une d’entre-elles proposait 30% de réduction à ses clients en échange d’une séance de ramassage de déchets pendant la croisière. Mais l’initiative était probablement peu rentable, puisque l’agence en question, contactée en décembre dernier par Asialyst, affirme ne plus organiser ce genre de circuit depuis deux ans.

La menace du réchauffement climatique

L’industrie du tourisme n’est pas le seul élément qui menace la baie d’Halong : l’exploitation de la région, riche en ressources minières, couplée avec le réchauffement climatique, pourrait aussi mettre le site en péril. Trois centrales à charbon et trois exploitations minières à ciel ouvert se trouvent à moins de 50 km de la baie. Les déchets de ces mines tuent le plancton qui sert à nourrir les poissons, et sont donc un sérieux problème pour la faune et la flore de la baie d’Hạlong. On y retrouve également des traces d’arsenic ou de cadmium, menaçant gravement la santé des habitants à long terme. En juillet 2015, des pluies diluviennes ont provoqué des glissements de terrain et la mort de 14 personnes à Hạ Long City. Les inondations ont directement fait couler les déchets d’une mine de charbon avoisinante dans la mer, affectant directement la qualité des eaux d’Halong. Des touristes se sont notamment retrouvés bloqués toute une nuit sur l’île de Co Tho, la tempête rendant la navigation dangereuse.

Pour autant, dire que la baie d’Halong est victime d’un afflux de visiteurs et d’investisseurs pollueurs incontrôlés, dans un pays avide de développer son industrie touristique serait une grossière erreur. Le Vietnam est l’un des pays les plus vulnérables aux changements climatiques. Le pays a ratifié de nombreuses conventions internationales sur l’environnement, notamment la Convention sur la protection du patrimoine mondial culturel et naturel. Depuis qu’Halong est reconnu patrimoine mondial de l’Humanité, le site est la priorité du gouvernement de la province de Quang Ninh, où les autorités s’efforcent d’allier développement du secteur touristique et conservation du patrimoine. Les activités de la baie sont donc régulées par de nombreux décrets et conventions. Les accès aux villages flottants sont par exemple limités, afin de ne pas affecter les modes de vie des habitants.

Avec ses 3260 km de côtes, le Vietnam n’échappera pas à la montée des eaux. Le réchauffement climatique affecte directement l’économie du pays, et le gouvernement vietnamien fut l’un des premiers pays émergents à se lancer dans une lutte sur le long terme. Dans la première décennie des années 2000, le Vietnam a pris d’importantes mesures pour ralentir la dégradation de l’environnement, promouvoir le développement durable et réduire les risques de catastrophes naturelles : gestion des ressources, campagnes de prévention, éducation, et préparation aux changements climatiques sont au programme depuis plus de 20 ans. En 2015, l’ONU, en coopération avec le gouvernement vietnamien, a investi 50 millions de dollars pour la construction d’infrastructures destinées à contrer la montée des eaux sur les côtes vietnamiennes. Pourtant, il est peu probable que la baie d’Halong bénéficie de ce processus, puisque la construction de digues modifierait sa raison d’être : un paysage naturel à l’activité humaine limitée. De fait, la baie n’est pas sur la liste du patrimoine en péril de l’UNESCO. La dégradation du site n’en reste pas moins bien réelle, et les efforts du gouvernement et de l’ONU pour le sauver des menaces environnementales semblent insuffisants face à un réchauffement climatique global et quasi-irrémédiable.

Autre problème que l’IUCN souligne : malgré le nombre conséquent de lois et de décrets pour réguler l’activité sur la baie d’Halong, le gouvernement vietnamien ne s’est pas assez investi pour les faire appliquer. Limiter le nombre de visiteurs pourrait être la seule solution à long terme : avec ses 5500 touristes quotidiens, la baie accueille bien plus qu’elle ne devrait. Désireuses de profiter des rendements potentiels de l’industrie touristique, les autorités vietnamiennes rechignent à limiter les investissements et l’afflux de visiteurs. Il n’est pas certain que promouvoir l’éco-tourisme seul, une goutte d’eau dans l’océan, suffira à préserver l’intégrité de la baie.

Par Alice Hérait

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A propos de l'auteur
Journaliste, Alice Hérait est spécialisée sur les questions contemporaine en Asie-Pacifique, et plus particulièrement sur le monde sinisé. Elle est titulaire du Master Hautes Etudes Internationales (HEI) à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). Sinophone, elle a vécu un an à Taïwan, où elle a étudié à l'Université Nationale de Taiwan (國立台灣大學). Elle nourrit un vif intérêt pour les relations entre Pékin et Taipei.