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Chine : sécurité publique ou économie ? Xi Jinping attendu au 3ème plénum repoussé en juillet

Le président chinois Xi Jinping. (Source : CNN)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : CNN)
Après plusieurs de mois de spéculations et d’incertitudes, le Parti communiste chinois a enfin annoncé un échéancier pour la tenue du troisième plénum. Une décision prise suite à une rencontre du Politburo le 30 avril. Attendu en octobre ou novembre dernier, le troisième plénum aura finalement lieu en juillet, après l’annonce des nouvelles lois et avant l’université d’été du Parti à Beidaihe et du plénum de la rentrée.
D’emblée, bon nombre d’observateurs ont commencé par discuter de la problématique de l’horaire. Cela fait effectivement un peu plus de 35 ans que le Parti n’avait pas organisé de plénum durant la saison estivale (juin-août). En fait, dans le passé immédiat, il faut remonter vingt-cinq ans en arrière, au 4ème plénum du 13ème Comité central, qui eut lieu les 22 et 23 juin 1989. Le Politburo devait alors passer en revue les « erreurs » du secrétaire général du parti, Zhao Ziyang, suite aux évènements de la Place Tiananmen. Avant lui, Pékin avait organisé en juin 1981 le 6ème plenum du 11ème Comité central. C’était d’ailleurs lors de ce plénum que la seconde « résolution historique » du Parti fut entérinée – résolution qui contenait le verdict officiel sur la Révolution Culturelle – et que Hua Guofeng, sous la pression des réformateurs, quitta son poste de « Président du Parti ».
Malgré le fait que les plénums estivaux étaient plus fréquents entre 1945 et 1982 – près de 40 % d’entre eux ont eu lieu durant cette période –, il n’en demeure pas moins qu’environ la moitié ont marqué des événements importants ou des tournants dans l’histoire du Parti. Exemples avec la purge de Peng Dehuai (彭德怀) en août 1959, l’annonce de la décision de lancer la Révolution Culturelle [août 1966], la chute de Chen Boda (陈伯达), le président du groupe de la Révolution Culturelle, en août 1970, la confirmation de Hua Guofeng en tant que Président du Parti et la réhabilitation de Deng Xiaoping en juillet 1977.
Quelle est la symbolique derrière les « troisièmes plénums » ? Ils sont souvent axés sur les questions économiques. Cette expression de « troisième plénum » fait par ailleurs référence au 3ème plénum du 11ème Comité central qui eut lieu en 1978. Ce dernier, souvent considéré comme le début de l’ère des réformes, est la référence en termes de « troisième plénum ». C’est aussi durant ce plénum que les « deux peu importe » (两个凡是) ont été mis de côté et que le Parti a décidé de cesser l’utilisation du slogan « prendre la lutte des classes pour axe » (以阶级斗争为纲), qui avait été adopté, ironiquement, lui aussi lors d’un 3ème plénum, celui du 8ème Comité Central en 1957. En ce sens, pour Xi Jinping, ce 3ème plénum fixé en juillet prochain, suivant le début de son troisième mandat à la tête du Parti, se doit de rompre avec le passé ou de se poser en tant que jonction critique entre l’ère Deng et la « nouvelle ère ».
Or, bien que les tensions au sein du Parti soient très élevées et que la situation économique domestique de la Chine ne cesse de se détériorer, sans parler de la situation diplomatique du pays, il est permis de douter fortement que le plénum de juillet 2024 puisse rivaliser symboliquement avec celui de 1978, ni même répondre à des impératifs aussi urgents que ceux de 1959, 1966 ou encore 1989. Cela dit, la toile de fond du 3ème plénum de juillet n’en demeure pas moins préoccupante.

Le communiqué du 30 avril

Dans le communiqué publié par les médias chinois, la direction du Parti affirme que l’économie chinoise a réalisé un bon départ, mais qu’elle fait face à bon nombre de défis. Le Parti ajoute que la Chine affronte aussi beaucoup de risques et que l’incertitude a considérablement augmenté dans l’enbvironnement extérieur. Jusqu’à présent, le Parti dit vrai.
*关于持续深入推进长三角一体化高质量发展若干政策措施的意见.
Par la suite, il est indiqué que durant la réunion, le document intitulé « Avis sur plusieurs politiques et mesures visant à poursuivre et promouvoir de manière exhaustive le développement intégré et de haute qualité dans la région du fleuve Yangtsé »*, ne mentionne pas le « Programme de développement de l’Ouest » (西部大开发), alors que pourtant il était le sujet d’un symposium à Chongqing le 23 avril, rien sur le zone de Xiong’an et sur le développement coordonné du corridor Beijing-Tianjin-Hebei (京津冀协同发展), ou encore sur « l’ascension de la région du Centre » (中部崛起). Rappelons que Xi a pourtant visité Xiong’an à plusieurs reprises – dont la dernière fois en mai 2023 -, et qu’il a assisté à de nombreux symposiums sur la Chine du Centre et le développement de l’Ouest.
*Paraphrase de : 上海市要更好发挥带动作用, 江苏, 浙江, 安徽三省要各扬所长 […].
La direction du Parti persiste et signe pour la zone du Yangtsé, le moteur économique actuel. Cependant, elle ne semble pas convaincue : la balle est renvoyée à Shanghai pour que la mégapole joue un meilleur rôle dans la coordination du développement des liens entre le Jiangsu, le Zhejiang et l’Anhui*. L’impression que cette « décision stratégique majeure » a été prise par le noyau du Comité Central, Xi Jinping, rapidement et simplement pour que le Parti soit en mesure de présenter quelque chose avant les vacances du début mai.
Dans la mesure où cette zone de la Chine est en discussion depuis un moment déjà, et que rien n’a vraiment changé, il paraît clair que les nouvelles politiques en matière d’économie ne sont toujours pas fixées. En plus, à en juger par les obstacles qu’affrontent Xi actuellement – « Nouvelles routes de la soie » (BRI) en chute libre, pseudo-front uni de l’Europe et des États-Unis pour freiner la « surproduction » chinoise (pour ne pas dire son « dumping ») –, ce dernier n’avait d’autres choix que de refaire miroiter l’importance des nouveaux projets de développement et des nouvelles forces de production.
Ce faisant, pour revenir à la question du troisième plénum, le Parti ne semble pas encore certain de ce qui sera présenté ni quelles solutions seront proposées afin remettre une fois pour toutes l’économie chinoise sur le chemin de la croissance.
Xi Jinping a toutefois parlé « d’approfondir les réformes » (全面深化改革) et de faire la promotion de la « modernisation à la chinoise » (中国式现代化) durant cette rencontre. Certains médias étrangers ont alors suggéré que Xi, face à toutes ces difficultés, allait potentiellement offrir des pistes pour faire marche arrière et revenir vers une approche plus « dengiste ». Or, il ne faudrait pas s’avancer trop vite dans ce type de supposition.
Si avant l’arrivée de Xi Jinping, « l’approfondissement des réformes » voulait dire poursuivre la décentralisation, continuer à s’ouvrir sur le monde extérieur et intégrer les structures d’échanges internationaux, depuis son arrivée au pouvoir, cette expression faire référence au champ lexical de la centralisation, de la planification ou du dirigisme. Sous Deng, la « modernisation à la chinoise » relevait d’un mélange des forces du développement économique occidental et du système politique chinois. Avec Xi, elle est devenue un slogan visant le renforcement du Parti-État.
De quelles réformes parle-t-on ? D’après le rapport du 30 avril, il est question de réformes qui pourront aider la Chine à faire face aux risques et défis majeurs – probablement venant de l’étranger – et prendre le dessus sur la concurrence internationale.
Difficile cependant de trancher sur ce point. Au moins deux raisons à cela : primo, la Commission disciplinaire a déployé le 17 avril 15 équipes d’inspections qui feront des tournées dans 34 départements économiques et unités financières afin de rectifier les « déviations politiques ». Secundo, le communiqué du 30 avril inclut, dans la première ligne du troisième paragraphe, le Marxisme-Léninisme, la pensée de Mao Zedong, la théorie de Deng Xiaoping, les trois représentativités de Jiang Zemin et le développement scientifique de Hu Jintao.
Dans le premier cas, auquel nous ajouterons la mise en place de « départements des forces armées » (人式部) au sein d’unités bancaires et de compagnies d’investissement, la volonté renouvelée du Parti de contrôler et surveiller le secteur bancaire et financier ressemble plus à de la centralisation qu’à de l’ouverture. Dans le second cas, le fait de ne pas avoir complètement omis Deng, Jiang et Hu pourrait indiquer que certaines des réformes annoncées en juillet pourraient être en fait des compromis entre gauchistes et pro-reformes au sein du Parti. Après tout, même le « meilleur » programme fondé sur l’autosuffisance, la « circulation duale », le marché national unifié et bien entendu, l’émission de dettes pour « créer » de la croissance ne pourra pas relancer l’économie chinoise. Si le Parti veut voir le retour des investisseurs et stimuler le secteur privé autant que financer le développement de son appareil militaire, il faudra faire des concessions. Tout dépendra si le besoin de sécurité de Xi Jinping primera sur la nécessité de stabiliser l’économie. En la matière, rien ne porte à l’optimisme.

Les points sensibles

D’autres éclaircissements enfin sont attendus lors de ce troisième plénum : la situation des ex-ministres des Affaires étrangères Qin Gang et de la Défense Li Shangfu ; la « lutte anti-corruption » au sein de la Force des missiles, de la Force de soutien stratégique et du Département du développement de l’équipement ; la question de la nomination du nouveau ministre de la Défense Dong Jun à la Commission militaire centrale ; et les résultats non divulgués de « l’examen des cas pertinents de nomination et de licenciement » (有关任免案) de la rencontre du comité permanent de l’ANP du 26 avril.
Là encore, comme pour l’agenda économique, il ne faut pas être trop optimiste. Pour ce qui est de Qin et Li, compte tenu du fait que le Parti a tenté de respecter les procédures de renvoi, leur sort pourrait être connu en juillet. Mais dans le mesure où le nom de Li Shangfu a simplement été effacé du site web du ministère, il ne faudrait pas être surpris que le Parti demeure muet à leur endroit.
Il en va un peu de même avec un potentiel rapport sur les résultats de la « lutte anti-corruption » au sein des unités de l’Armée populaire de libération (APL). Comment Xi Jinping pourrait-il accepter d’exhiber l’ensemble des coupables ou de faire état des pertes ? Même réflexion sur l’examen des « nominations et des licenciements » (du retrait du statut de représentant de l’ANP plutôt) du 26 avril. Il y a fort à parier que les cadres auxquels le statut de représentant a été retiré font partie de l’APL ou des compagnies étatiques liées à la production d’équipement militaire.
Ne reste que le cas de Dong Jun. Xi Jinping pourrait bien essayer de le faire élire à la Commission militaire centrale (CMC) afin de consolider sa position de ministre de la Défense, mais aussi pour potentiellement initier une réorganisation du groupe très select des vice-présidents de la CMC.
Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi Xi a repoussé le troisième plénum : la trop mauvaise situation de l’économie intérieure, l’absence de plan de relance, les luttes intra-Parti (liées en grande partie à la situation économique), le traitement successif de plusieurs hauts placés du Parti et de l’APL par l’appareil disciplinaire. Cela dit, pour lui, le tout demeure une question de sécurité politique. Forcé par des impératifs à la fois temporels (l’Université d’été du Parti à Beidaihe en août et un quatrième plénum en septembre-octobre) et politiques (pression interne au sein de la direction du Parti), Xi n’avait plus vraiment le choix que de mettre le troisième plénum à l’ordre du jour.
*L’article propose une mise à jour de la Campagne des « 5 anti » (五反运动) qui inclurait les points suivants : « anti-subversion » (反颠覆), « anti-hégémonie » (反霸权), « anti-séparatisme » (反分裂), « anti-terrorisme » (反恐怖) et « anti-espionnage » (反间谍). De notre point de vue, le premier et le dernier point visent les éléments anti-Xi ou anti-Parti, tandis que le deuxième vise les États-Unis, et que les troisième et quatrième visent Taïwan et Hong Kong.
Même si le Parti devrait aller de l’avant avec de vraies réformes pour sauver l’économie nationale, les politiques ou la « nouvelle » stratégie de relance qui seront présentées risquent de favoriser la sécurité du régime et non pas la relance de l’économie dans son ensemble. Rien ne permet de penser que Xi fasse de ce troisième plénum une jonction critique dans l’histoire du Parti et qu’il puisse découpler « sa » nouvelle ère de l’héritage de Deng Xiaoping. Ce plénum a plus de chance de ressembler au troisième plénum du 8ème Comité central d’octobre 1957, considéré comme le point de départ du Grand Bond en avant. Enfin, si l’on en croit Chen Yixin (陈一新), le ministre de la Sécurité nationale, auteur d’un article* éloquent paru dans Qiushi le 15 avril, la période d’attente jusqu’au plénum risque d’être tumultueuse pour la direction du Parti-État léniniste.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.