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Taïwan : l'inquiétude après les menaces de Xi Jinping au XXème Congrès

Le président chinois Xi Jinping lors de son discours d'ouverture du XXème Congrès du Parti communiste à Pékin, le 16 octobre 2022. (CNN)
Le président chinois Xi Jinping lors de son discours d'ouverture du XXème Congrès du Parti communiste à Pékin, le 16 octobre 2022. (CNN)
Le discours prononcé ce dimanche 16 octobre par le président chinois Xi Jinping à l’ouverture du XXème Congrès du Parti communiste à Pékin suscite bien des réactions inquiètes. En particulier sur le dossier de Taïwan et l’avenir des relations entre la Chine populaire et les États-Unis.
En apparence, Xi Jinping s’est contenté de répéter l’antienne du Parti : la « réunification » de Taïwan au continent chinois sous la bannière du Parti est inéluctable et sera réalisée par la force si besoin. Les observateurs auront noté que la question taïwanaise a été abordée très vite peu après le début du discours, Xi Jinping prononçant ses mots avec soin, comme pour bien faire comprendre que son intention de conquérir Taïwan était désormais sa priorité. Que ce passage de son discours ait été applaudi à tout rompre et pendant de longues secondes par une assistance dévouée à sa cause n’est pas une surprise. Mais la tonalité générale n’a pas manqué de susciter des réactions à Taipei comme à Washington.
Revenons d’abord sur les mots employés par Xi. La Chine, a-t-il martelé, ne promettra jamais de renoncer à l’usage de la force pour achever la « réunification », un terme impropre puisque Taïwan n’a jamais été administré par le régime communiste. « Résoudre la question de Taïwan est une question qui appartient au peuple chinois, a aussi déclaré le chef du PCC. Nous continuerons à nous efforcer de rechercher une solution pacifique avec une grande sincérité mais nous ne promettrons jamais de renoncer à l’usage de la force et nous nous réservons le droit de recourir à toutes options nécessaires. La réunification complète de notre pays doit être réalisée, elle le peut et elle le sera sans aucun doute. »

« Pécheur éhonté »

Le gouvernement taïwanais, sans surprise, a rejeté dès ce dimanche la « solution pacifique » matinée de menaces exprimées par Xi Jinping. Le Conseil des affaires du continent chinois, responsable pour le gouvernement de Taipei des questions liées à la Chine, a expliqué que la politique suivie par le Parti communiste chinois à propos de Taïwan était erronée. « La République de Chine [nom officiel de Taïwan] est un État souverain et Taïwan n’a jamais fait partie de la République Populaire de Chine », a déclaré cet organisme. Le peuple de Taïwan « n’acceptera jamais » le « Consensus de 1992 » ni non plus le principe « Un pays, deux systèmes », a-t-il ajouté.
Le « consensus de 1992 » est un accord tacite auxquels sont parvenus les représentants de Pékin et de Taipei en 1992, lors d’une rencontre informelle à Hong Kong. Les deux parties se sont alors entendues pour reconnaître que l’île de Taïwan et le continent chinois font partie d’une seule et même Chine – libre à chacun de considérer de quelle « Chine » il s’agit. En l’occurrence pour Pékin, la République populaire de Chine ; pour Taipei, la République de Chine. Le principe « Un pays deux systèmes », inventé par Deng Xiaoping lorsque la Chine négociait avec le Royaume-Uni la rétrocession de Hong Kong, promettait à l’ancienne colonie britannique une période de cinquante années pendant lesquelles elle pourrait conserver son mode de vie et ses usages politiques ouverts. Ce principe a été de facto détruit en juin 2020 avec l’imposition par Pékin de la Loi sur la sécurité nationale à Hong Kong qui a eu pour conséquence de bâillonner toutes les libertés dans l’ancienne colonie britannique.
« Seuls les 23 millions d’habitants de Taïwan ont le droit de décider de leur avenir, a ajouté le Conseil des affaires continentales. Nous sommes ici pour envoyer une mise en garde aux autorités du PCC sur le fait qu’elles doivent abandonner leur politique et leurs actes de coercition et d’agression. »
Autre réaction venant de Taipei ce jeudi 20 octobre : « Il est impossible de remporter la victoire en utilisant la force pour attaquer Taïwan, a lancé Chen Ming-tong, le chef du bureau de la Sécurité nationale taïwanaise. Xi Jinping pourrait faire une croix sur la soi-disant grande renaissance du peuple chinois, et deviendrait ainsi un pécheur éhonté du peuple chinois [au sens d’ethnie et non de nationalité, NDLR]. » D’autant, selon Chen, que Pékin subirait des sanctions internationales et un isolement diplomatique en cas d’invasion de l’île. « Il est pourtant très clair que les deux parties [Pékin et Taipei, NDLR] doivent se respecter et se développer séparément, ce qui leur permettrait d’apporter le bonheur au peuple », a jouté le chef de la Sécurité nationale.
La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a plusieurs fois offert une reprise d’un dialogue sur un pied d’égalité avec La Chine populaire. Offres rejetés par Pékin qui exige d’abord que Taipei reconnaisse faire partie de la Chine. Pour répondre à la menace chinoise, Tsai a engagé un vaste programme de modernisation de l’armée taïwanaise, notamment des exercices militaires près de l’île, après la colère de Pékin suite à la visite à Taipei de Nancy Pelosi en août dernier.

« Une invasion de Taïwan possible avant 2024 »

Réagissant à ces propos, le secrétaire d’État américain Antony Blinken ne s’y est pas trompé. Selon lui, la Chine s’est désormais engagée dans une volonté d’annexer Taïwan « beaucoup plus rapidement », sous l’influence de Xi Jinping. Lors d’une discussion avec l’ancienne secrétaire d’État Condolezza Rice ce lundi 17 octobre à l’université de Stanford, le chef de la diplomatie américaine a souligné que la paix entre la Chine et Taïwan avait été jusque-là préservée mais que Pékin avait désormais clairement changé d’attitude. « Plutôt que de s’en tenir au statu quo d’une manière positive, [Pékin] a pris la décision fondamentale de juger que ce statu quo n’est plus acceptable et Pékin est déterminé à suivre [sa politique] de réunification beaucoup plus vite. Si les moyens pacifiques ne fonctionnent pas, [la Chine] va désormais employer des moyens de coercition et, pour le cas où ceux-ci ne fonctionneraient pas non plus, alors des méthodes d’emploi de la force pourraient être employées pour atteindre cet objectif. Ceci est profondément inquiétant et crée des tensions énormes. »
Le commandant de la flotte américaine, l’amiral Mike Gilday, a lui aussi sonné l’alarme, allant même plus loin. Cité ce jeudi 20 octobre par le Financial Times, il a déclaré que les forces armées américaines devaient se préparer à la possibilité d’une invasion de Taïwan avant 2024, soit bien avant l’échéance retenue par les plus pessimistes des experts aux États-Unis. Ses propos sont encore plus alarmistes que ceux tenus l’an dernier par l’amiral Philip Davidson qui était alors le commandant des forces américaines pour la zone Indo-Pacifique. Il avait alors dit qu’une invasion chinoise pouvait être déclenchée à Pékin avant 2027. « Lorsque nous parlons de cette fenêtre de 2027, dans mon esprit ce devrait plutôt une fenêtre en 2022 ou potentiellement 2023, a pointé Mike Gilday. Je ne voudrais pas être alarmiste du tout. Simplement, nous ne pouvons raisonnablement pas exclure ce scénario. »
Pour Phelim Kine, éditorialiste du magazine américain Politco, il est maintenant clair que Xi Jinping a fait son choix et n’entend pas s’employer à améliorer les relations de la Chine avec les États-Unis. Tout le contraire même car la tonalité de ses propos présente un système communiste aujourd’hui schizophrène, s’estimant devenu une citadelle assiégée face à une coalition occidentale de plus en plus belliqueuse à l’égard de la Chine.
« Le président chinois Xi Jinping a établi de façon claire lors de ce XXème Congrès à Pékin que les relations sino-américaines ne vont pas s’améliorer dans un avenir prévisible », souligne Phelim Kine. Le secrétaire général du PCC a ainsi présenté les relations de son pays avec les États-Unis comme étant une « lutte » puisque la Chine est soumise à « des tentatives extérieures visant à l’éliminer ».
L’administration Biden, de son côté, continue de prendre ses dispositions. Selon la revue Nikkei Asia, elle souhaite entamer une coopération avec les forces armées de Taïwan pour la co-production d’armes américaines sur le sol taïwanais. Citant une source informée non identifiée, le journal affirme que des discussions ont commencé entre Washington et Taipei. Serait envisagé que le secteur américain de la défense apporte des technologies pour permettre à Taïwan de produire des armes sur son sol ou aux États-Unis en utilisant des pièces fabriquées dans l’île.
« Cela prendra évidemment du temps », a expliqué une autre source du journal, elle aussi anonyme, ce processus de discussions devant probablement se poursuivre pendant toute l’année 2023. Parmi les armes envisagées figurent des versions améliorées des missiles de fabrication taïwanaise Hsiung Feng II et III qui constituent une partie importante de la défense de Taïwan.
Interrogé sur ces discussions, le porte-parole adjoint du secrétariat américain à la Défense Vedant Patel, cité par le même journal, a répondu que « les États-Unis étudient toutes les options afin de s’assurer d’un transfert rapide de capacités de défense à Taïwan ».

« Concurrence totale »

L’Union européenne, jusque-là plutôt prudente sur sa politique à l’égard de la Chine, donne elle aussi des signes d’une inquiétude croissante face à la puissance chinoise. Selon le Financial Times, une note rédigée par les services chargés à Bruxelles de définir la politique étrangère de l’Union enjoint les ministres des Affaires étrangères des 27 pays membres d’adopter une ligne plus dure à l’égard de Pékin.
L’Union, explique ce document, doit dorénavant travailler d’une façon plus étroite avec les États-Unis pour renforcer ses capacités de défense face aux menaces croissantes que représentent les cyberattaques chinoises. Elle doit en outre diversifier ses sources d’approvisionnements afin de réduire sa dépendance à l’égard de la Chine et approfondir ses liens avec les puissances de la région Indo-Pacifique.
« La Chine est devenue un concurrent encore plus fort pour l’Union européenne, les États-Unis et les autres partenaires, souligne ce document. Il est de ce fait essentiel d’étudier la meilleure façon de répondre à ces défis en cours ou à venir. Les divergences entre la Chine et nos propres choix politiques de même que nos positions devraient vraisemblablement s’accroitre. La Chine ne va pas changer. […] En résumé, nous nous dirigeons vers une concurrence totale sur le plan économique mais aussi politique. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).