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Taïwan : depuis la visite de Pelosi, la Chine contrariée mais impuissante

La présidente de la Chambre américaine des représentants Nancy Pelosi avec la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, lors de sa visite à Taipei le 2 août 2022. (Source : Energy Intelligence)
La présidente de la Chambre américaine des représentants Nancy Pelosi avec la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, lors de sa visite à Taipei le 2 août 2022. (Source : Energy Intelligence)
Les répliques continuent de se faire sentir. La récente visite à Taipei de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, fut lourde de symboles. Elle restera un marqueur pour les mois à venir de ce rapprochement en cours entre les États-Unis et Taïwan. Furieuses, les autorités chinoises ont multiplié les opérations d’intimidation. Mais sans pouvoir ni l’empêcher ni non plus paralyser cette montée en puissance de l’île sur la scène mondiale. Le bras-de-fer en cours entre Pékin et Washington n’en est pas moins le plus sérieux depuis l’instauration de relations diplomatiques entre les États-Unis et la Chine en 1979. Il fait planer la menace d’une guerre chaude entre les deux pays, bien que la plupart des experts la considèrent improbable.
Nancy Pelosi a donné une nouvelle couleur aux visites d’hommes et femmes politiques américains. Ce jeudi 27 août, la sénatrice républicaine du Tennessee Marsha Blackburn est devenue la dernière membre du Congrès à se rendre officiellement à Taïwan pour défier la pression de Pékin. « Je ne me laisserai pas intimidée par le Parti communiste chinois en tournant le dos à l’île, a-t-elle déclaré. Taïwan est notre partenaire le plus solide dans la région Indo-Pacifique. Les visites de haut niveau à Taipei représentent une politique de longue date des États-Unis. Je continuerai à soutenir Taïwan et son droit à la liberté et à la démocratie. Xi Jinping ne me fait pas peur. »
Dans un tweets posté ce vendredi 28 août, la sénatrice, qui siège à la commission des forces armées du Sénat américain mais qui ne représentait pas ici l’administration Biden, a encore réitéré son soutien à Taïwan, allant même plus loin que la politique officielle des États-Unis : « Taïwan est une nation libre et indépendante. »

La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, qui a reçu la sénatrice, n’a pu que se réjouir de la dernière série de visites de personnalités politiques américaines : « Elles ont renforcé la détermination de Taïwan à se défendre. »

« Un choix entre l’autocratie et la démocratie »

Remontons un mois en arrière. Troisième personnage des États-Unis dans l’ordre protocolaire, Nancy Pelosi, 82 ans, n’est restée que moins de 24 heures à Taïwan les 2 et 3 août derniers. Mais ce séjour a marqué les esprits tant son agenda a été dense : elle a été reçue par la présidente Tsai Ing-wen, de même que par de nombreux responsables politiques de l’île, avec pour effet de requinquer le moral des 23 millions de Taïwanais.
Très mécontente, la Chine a répliqué : tirs de missiles à proximité immédiate des côtes de Taïwan, nombreuses sorties d’avions de chasse, déploiement de navires de guerre sans précédent. Soit la plus grande opération militaire autour de l’île depuis l’arrivée des communistes au pouvoir à Pékin en 1949. Objectif non avoué mais transparent : démontrer que l’Armée populaire de libération est désormais en mesure d’empêcher toute tentative étrangère d’intervenir dans un conflit armé à Taïwan.
Mais ces menaces auxquelles les Taïwanais sont habitués n’ont pas eu l’effet escompté. En effet, loin de battre en retraite, le gouvernement américain a pris la décision de renforcer encore sa présence militaire dans la zone tandis que les États-Unis et le Japon ont mené des manœuvres militaires conjointes elles aussi d’une ampleur sans précédent.
Cette visite historique s’inscrit en outre dans un contexte politique très particulier en Chine à l’approche du XXe congrès du Parti communiste chinois en novembre. Le président Xi Jinping entend bien y obtenir le soutien nécessaire pour rester au pouvoir pour une période indéterminée et consolider encore un peu plus son autorité au sommet de tous les organes dirigeants du pays.
Nancy Pelosi était la plus haute personnalité à se rendre à Taïwan en 25 ans, après le voyage en 1997 du président de la chambre des représentants Newt Gingrich. Le républicain était allé à la rencontre du président taïwanais de l’époque, Lee Teng-hui. Dans un premier temps, Joe Biden s’était montré hésitant sur l’opportunité de cette visite. Il apparaît cependant vraisemblable que sur le fond, le président américain partageait, sans pouvoir le dire publiquement, la volonté de Nancy Pelosi de se rendre à Taïwan afin de témoigner de la volonté des États-Unis de soutenir la démocratie taïwanaise face à un régime chinois de plus en plus menaçant. Mais en 2022, la Chine ne montre plus le même visage qu’en 1997. Les progrès dans le domaine militaire sont incontestables, tout comme les performances économiques du pays, actuellement la deuxième puissance économique du globe.
Dans une tribune publiée le 2 août dans le Washington Post quelques heures avant son arrivée à Taipei, Nancy Pelosi écrivait : « Nous entreprenons ce voyage à un moment où le monde est confronté à un choix entre l’autocratie et la démocratie. Alors que la Russie mène sa guerre préméditée et illégale contre l’Ukraine, tuant des milliers d’innocents — même les enfants – il est essentiel que l’Amérique et nos alliés indiquent clairement que nous ne cédons jamais aux autocrates. »

Joe Biden sur les manoeuvres chinoises : « Je ne crois pas qu’ils feront davantage que ce qu’ils sont en train de faire »

Loin d’être intimidée par les menaces de Pékin, l’administration américaine a encore durci le ton. Davantage de navires et d’avions militaires vont patrouiller « dans les prochaines semaines », a ainsi déclaré vendredi 14 août Kurt Campbell, coordinateur de la Maison Blanche pour l’Asie-Pacifique. « Une feuille de route ambitieuse » sur le commerce sera dévoilée « dans les prochains jours » tandis que l’administration Biden « continuera de renforcer ses liens avec Taïwan, notamment en continuant de faire progresser nos relations économiques et commerciales », a-t-il ajouté.
Le même jour, dix avions de guerre chinois avaient franchi la ligne médiane du détroit de Taïwan qui marque officieusement les limites entre les eaux chinoises et taïwanaises. La Chine a « surréagi » à la visite de Nancy Pelosi, a encore commenté le responsable américain. En conséquence et en réponse aux actions « provocatrices » de Pékin, les États-Unis vont non seulement « consolider leurs liens commerciaux avec Taïwan mais aussi renforcer leur présence militaire dans la zone, a encore précisé Kurt Campbell. C’est ainsi que de nouveaux avions et navires américains seront visibles dans le détroit de Taïwan « dans les prochaines semaines. »
Le 9 août, Joe Biden avait pour la première fois commenté la visite de Nancy Pelosi dans l’île : « Je ne suis pas inquiet, mais je suis préoccupé par le fait qu’ils s’agitent autant. Mais je ne crois pas qu’ils feront davantage que ce qu’ils sont en train de faire », avait souligné le président américain, une allusion aux opérations militaires de la Chine dont le but affiché était de simuler un blocus de l’île.
Taipei avait alors accusé la Chine d’avoir pris prétexte de cette visite pour s’entraîner à une invasion. En réponse, les États-Unis avaient quant à eux réaffirmé leur engagement dans la région. Lors de cette opération, l’APL avait également tiré plusieurs dizaines de missiles, dont certains sont tombés en mer dans les eaux territoriales du Japon, dans le but identique d’intimider les autorités japonaises. Une décision prise directement par Xi Jinping, selon une source anonyme citée par la revue nippone Asia Nikkei. Ces derniers mois, Tokyo avait plusieurs fois indiqué que le Japon se rangerait aux côtés des États-Unis en cas de tentative chinoise d’envahir Taïwan. Mais là encore, l’intimidation s’est révélée vaine.
Mardi 16 août, le commandant de la 7ème flotte américaine Karl Thomas a commenté ces tirs de missiles en les qualifiant « d’irresponsables ». Ne pas en parler reviendrait à les accepter comme étant désormais la norme, a-t-il averti, cité par la BBC. Le vice-amiral Thomas est aussi le commandant des forces maritimes dans la base américaine du port japonais de Yokosuka où mouillent 50 à 70 bâtiments de surface ainsi que des sous-marins. « Il est très important que nous contestions ce genre de chose. Lancer des missiles au-dessus de Taïwan, c’est un peu comme di le gorille était dans la pièce, a-t-il poursuivi. Il est irresponsable de lancer des missiles au-dessus de Taïwan dans des eaux internationales. Si vous ne vous y opposez pas, ce sera d’un coup comme les îles en mer de Chine du Sud qui sont devenus des bastions militaires. Ces îles sont maintenant des avant-postes militarisés où sont basés des missiles, de grandes pistes aériennes, des hangars, des radars et des stations d’écoute. »
La Chine a en effet militarisé un grand nombre d’îles en mer de Chine du Sud, cet espace maritime revendiquée par Pékin de presque 4 millions de km2, supposé riche en hydrocarbures et en ressources halieutiques. La zone est en outre traversée par des milliers de porte-conteneurs, représentant ainsi une zone hautement stratégique pour le commerce mondial.

Le Japon renforce sa présence militaire asiatique

Les autorités taïwanaises ont indiqué que ces missiles avaient survolé le territoire de Taïwan à haute altitude et qu’ils ne représentaient donc pas une menace, sans préciser leur trajectoire exacte. L’ambassade du Japon à Washington a, quant à elle, déclaré que quatre de ces missiles avaient survolé Taipei. Réaction ou pas aux manœuvres chinoises incessantes dans la zone, les exercices conjoints entre les forces armées japonaises et les forces américaines ont été 50 % plus nombreux depuis le début de 2022 comparés à ceux de la même période en 2021. Selon le ministère nippon de la Défense, les armées japonaises et américaines ont mené 51 exercices conjoints entre janvier et fin juillet cette année en mer de Chine orientale et en mer de Chine du Sud.
Illustration d’une volonté de Tokyo d’assumer un rôle plus visible en Asie sur le plan militaire, politique et stratégique, les forces armées japonaises ont en outre pris part à une vingtaine d’exercices conjoints avec l’Australie, l’Inde, le Royaume-Uni, la France et plusieurs pays d’Asie du Sud-Est depuis début 2022. Plus encore, le Japon envisage désormais de déployer un millier de missiles Cruise d’une portée de 1000 kilomètres en réaction à ce que ce pays considère désormais comme une menace, selon le Yomiuri Shimbun. Ces missiles, ajoute le plus grand quotidien japonais dans son édition de dimanche, pourront être tirés de navires ou d’avions. Des missiles tirés du sol seraient également stationnés dans les îles japonaises Nansei et seraient donc en mesure de frapper la Chine et la Corée du Nord.
Les autorités japonaises n’ont pour le moment ni confirmé ni démenti cette information. Si elle s’avère exacte, ce serait une première pour l’archipel nippon qui, contraint par les États-Unis au lendemain de sa reddition à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a adopté une Constitution limitant considérablement ses possibilités d’intervenir militairement su une zone de conflit extérieure à son territoire. Le Yomiuri est connu pour être proche des autorités militaires japonaises.
Conséquence de ces opérations d’intimidation, le sentiment des Taïwanais en faveur d’une indépendance de l’île s’est quant à lui encore renforcé. Selon un sondage diffusé le 16 août, la moitié des personnes ayant répondu se sont déclarées favorables à l’indépendance de Taïwan, niveau jamais atteint à ce jour. 55 % ont en outre estimé une unification avec le continent chinois moins attractive du fait de ces manœuvres. Seuls 11,8 % se déclarent favorables à une telle unification et 27,5 % restent attachés au statu quo actuel, selon ce sondage réalisé par la Taiwanese Opinion Foundation. 78,3 % de ces sondés affirment ne pas craindre les opérations d’intimidation chinoises et 39 % estiment l’éventualité d’une guerre avec la Chine imminente, contre 39 % jugeant une telle éventualité probable ou un peu probable, tandis que 52,7% considèrent une telle option pas très probable ou pas du tout probable.
Le 1er août dernier, Joe Biden s’était entretenu au téléphone avec Xi Jinping pendant plus de deux heures dans le but d’apaiser les relations entre les deux géants économiques. Cet échange téléphonique de deux heures avait néanmoins pris la forme d’un dialogue de sourds. Le chef de l’État chinois avait tonné : « Ceux qui jouent avec le feu périront avec lui. Nous espérons que la partie américaine en a bien conscience. » Cette phrase fait partie de la rhétorique chinoise depuis des années sur ce sujet, une langue de bois parfaitement rodée.
Comme pour bien montrer la volonté de Washington de ne pas lâcher Taïwan, une délégation de cinq élus du Congrès américain ont posé le pied dans l’île dimanche 14 août pour une visite de deux jours qui n’avait pas été annoncée. Les cinq élus ont été reçus le lendemain lundi par la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen. Leur visite avait pour but de « discuter de questions régionales sécuritaires, commerciales ainsi que des investissements américains à Taïwan », avait précisé le ministère taïwanais des Affaires étrangères.
Réaction immédiate de Pékin : de nouveaux exercices militaires autour de Taïwan. « Le 15 août, le Théâtre oriental de l’Armée populaire de libération chinoise a organisé une patrouille de préparation au combat interarmées multi-services et des exercices de combat dans la mer et l’espace aérien autour de Taïwan », a déclaré le commandement du Théâtre oriental de l’armée chinoise dans un communiqué.

Commerce : Taipei se rapproche encore de Bruxelles et Washington

Côté européen, le rapprochement avec Taïwan progresse également. Le 2 juin dernier, l’Union européenne et Taïwan étaient convenus d’établir une plateforme pour « renforcer le commerce bilatéral et approfondir leur coopération sur des questions stratégiques, particulièrement sur les semi-conducteurs », avait indiqué un représentant du gouvernement taïwanais. Ces entretiens à Bruxelles avaient réuni la ministre de l’Économie de Taïwan Wang Mei-hua et la directrice générale du Commerce de la Commission européenne Sabine Weyand. Cette rencontre à un niveau ministériel était une première qui « représente une percée majeure dans nos relations avec l’Union européenne », avait expliqué ce représentant de Taipei. Le même jour, le ministre de l’Économie Wang Mei-hua avait déclaré à un haut responsable de l’Union européenne que Taïwan resterait un partenaire de confiance pour l’industrie mondiale des semi-conducteurs et contribuerait à stabiliser la chaîne d’approvisionnement.
De fait, Bruxelles courtise Taipei afin que l’île, un des principaux producteurs de semi-conducteurs, construise des usines dans l’Union. En février, l’UE avait dévoilé une loi sur les puces européennes, dans laquelle elle mentionne Taïwan, qui abrite le plus grand fabricant de puces du monde, TSMC, ainsi que d’autres grandes entreprises de semi-conducteurs, comme l’un des « partenaires partageant les mêmes idées » avec lesquels l’Europe aimerait travailler. Le ministère taïwanais de l’Économie avait quant à lui précisé dans un communiqué que Taïwan a « fait de son mieux » pour aider l’UE et d’autres partenaires à résoudre la pénurie mondiale de puces.
Le 1er juin, la représentante adjointe au commerce des Etats-Unis, Sarah Bianchi, et le ministre taïwanais sans portefeuille chargé des négociations, John Deng, s’étaient aussi rencontrés « virtuellement » pour lancer « l’Initiative États-Unis-Taïwan sur le commerce du XXIe siècle ». Objectif : développer des moyens concrets d’approfondir les relations économiques et commerciales, selon un communiqué de l’ambassadrice américaine au commerce (USTR). Cette initiative entend faciliter les échanges, permettre d’adopter « des pratiques saines et transparentes » ou encore de coopérer en faveur de l’environnement ou de l’action climatique, a détaillé l’USTR. Les deux parties ont aussi « l’intention d’explorer des dispositions visant à faciliter le commerce agricole » ou à lutter contre la corruption. Les négociations pourraient commencer dès ce mois de juin. Deng a qualifié cette initiative de « percée historique ».
Jeudi 18 août, les États-Unis et Taïwan annonçaient qu’ils s’étaient mis d’accord pour entamer des négociations commerciales dans le but de parvenir à des « résultats significatifs sur le plan économique », un responsable taïwanais précisant que le sujet de « l’intimidation économique chinoise » serait également discuté. À Washington, une responsable officielle a expliqué que les deux parties étaient parvenues à « un consensus sur un mandat de négociations », le premier round de négociations étant attendu cet automne. « Nous avons l’intention de poursuivre un agenda ambitieux afin de parvenir à des engagements de haut niveau et des résultats significatifs dans onze secteurs du commerce afin de construire une économie du XXIème siècle plus prospère », a expliqué la représentante américaine adjointe pour le Commerce Sarah Bianchi, dans une déclaration citée par Reuters.
Côté taïwanais, John Deng a expliqué à la presse de l’île qu’il s’attendait à ce que les négociations commencent en septembre et que l’objectif était de conclure un accord bilatéral avec Washgington que Taipei espère depuis longtemps. En 2020, Taïwan était le dixième partenaire commercial des États-Unis. Les exportations américaines de biens vers le marché taïwanais se sont élevées à 30 milliards de dollars (28 milliards d’euros), deux fois moins que les importations. Un déficit que ne comble que très partiellement l’excédent américain dans le domaine des services (2,6 milliards de dollars).
Le 20 juillet, Nicola Beer, vice-présidente du Parlement européen, avait été reçue par Tsai Ing-wen à Taipei. « Depuis longtemps déjà, l’UE est la principale source d’investissements directs à Taïwan », avait dit la présidente taïwanaise à cette occasion.

Sous-marin nucléaire français et Eurofighters allemands

La France n’est pas en reste sur ce sujet. C’est ainsi que l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine française, a déclaré début août : « Contre la marine chinoise, nous gagnerons si nous nous battons ensemble, en coalition. » Rappelons que depuis deux ans, plusieurs navires français ont navigué dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine du Sud. Début 2021, l’Émeraude, sous-marin nucléaire d’attaque, avait croisé dans cette zone, traversé le détroit de Taïwan avant de mouiller dans un port japonais.
Outre les États-Unis et la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et d’autres pays occidentaux envoient des navires de guerre en mer de Chine du Sud afin de souligner l’importance pour eux d’une navigation libre dans cette zone stratégique du globe où transite une grande partie du trafic maritime mondial.
Le 16 août, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’armée de l’air allemande a fait voler six chasseurs Eurofighter Typhoons sur le théâtre asiatique dans le cadre d’exercices conjoints prévus avec l’Australie. Ces appareils ont décollé d’une base aérienne située en Bavière pour rejoindre Singapour, soit une distance de 12 800 kilomètres. Ils doivent ensuite survoler l’Australie pour se joindre à un exercice réunissant 17 pays baptisé « Pitch Black » de la fin août à septembre. Selon l’agence de presse taïwanaise China News Service (CNA), il est prévu que ces appareils volent à proximité de Taïwan.
Fin septembre, l’escadre allemande se dirigera à nouveau vers Singapour après avoir survolé le Japon et la Corée du Sud et voleront « dans un espace aérien à proximité de Taïwan », selon CNA. Ces exercices sont une première pour l’armée de l’air allemande dans la zone Asie-pacifique depuis sa création en 1956. Son commandant Ingo Gerhartz, cité par CNA, a expliqué que les chasseurs « vont à peine survoler » la mer de Chine du Sud et ne passeront pas par le détroit de Taïwan. Le but de cet exercice pour Berlin « n’est pas d’envoyer un message de menace à la Chine », a-t-il précisé.
Taïwan a pour sa part présenté mercredi 17 août son avion de combat le plus avancé, le F-16V de fabrication américaine et équipé de missiles, au cours d’une rare démonstration nocturne. C’est ainsi que ce chasseur F-16V – une version améliorée et beaucoup plus sophistiquée des autres F-16, qui datent des années 1990 – a été chargé avec un missile antinavire de fabrication américaine dans le cadre d’un exercice de « préparation au combat » sur une base aérienne du comté de Hualien, dans l’est de son territoire.
Six F-16V, dont deux armés de missiles, ont par la suite décollé pour des missions de reconnaissance de nuit et d’entraînement, selon l’armée de l’air taïwanaise. « Face à la menace des récents exercices militaires des forces communistes chinoises, nous sommes restés vigilants tout en établissant le concept de « champs de bataille en tout lieu et d’entraînement à tout moment » […] pour assurer la sécurité nationale », a précisé un communiqué de l’armée de l’air.

Engagement américain et participation chinoise aux exercices militaires en Russie

Cette suite d’événements à Taïwan démontre s’il le fallait que les États-Unis sont plus que jamais engagés aux côtés de l’île qui représente pour l’Amérique un enjeu géostratégique de toute première importance. En effet, Taïwan est un verrou crucial pour la zone Pacifique. Lâcher Taïwan constituerait pour Washington une défaite majeure et enverrait un signal de défaite à ses alliés dans la région, en particulier à l’adresse du Japon, de la Corée du Sud et de l’Australie.
Par ailleurs, Daniel Kritenbrink, responsable américain pour l’Asie de l’Est au département d’État, a affirmé jeudi 18 août s’attendre à ce que Pékin renforce dans les « semaines et mois » à venir sa « coercition » militaire, économique et diplomatique sur Taïwan. « Si notre politique n’a pas changé, ce qui a changé, c’est la coercition croissante de Pékin », a ainsi déclaré Daniel Kritenbrink lors d’une téléconférence avec les journalistes.
De son côté, Pékin va envoyer des troupes en Russie pour participer à des exercices militaires annuels conjoints de « Vostock » du 30 août au 5 septembre. « L’objectif est d’approfondir la coopération pratique et amicale avec les armées des pays participants, d’accroître le niveau de collaboration stratégique entre les parties participantes et de renforcer la capacité à répondre aux diverses menaces pour la sécurité », indique le ministère chinois de la Défense dans le communiqué.
L’Inde, le Biélorussie, la Mongolie, le Tadjikistan, entre autres, participeront aussi à ces exercices. Pékin et New Delhi ont été accusées ces derniers mois de couvrir diplomatiquement Moscou en s’opposant aux sanctions occidentales et aux ventes d’armes à l’Ukraine. Mais les Chinois assurent que leur participation aux exercices militaires est « sans aucun rapport avec la situation actuelle au niveau régional et international ». Il s’agit des deuxièmes exercices menés conjointement par la Chine et la Russie cette année. En mai, les deux pays avaient organisé pendant 13 heures des manœuvres près du Japon et de la Corée du Sud, forçant ces derniers à lancer des avions de chasse en dissuasion, au moment où le président américain Joe Biden se trouvait à Tokyo.
Pour autant, les risques d’un affrontement armé entre la Chine et les Etats-Unis demeurent une hypothèse guère vraisemblable, à court terme tout au moins. La Chine aurait en effet beaucoup à perdre sur le plan économique car le marché américain de même que ceux de ses alliés demeurent vital pour l’économie chinoise qui traverse actuellement une période de fortes turbulences.
« Les liens militaires [sino-américains] ne vont pas partir en vrille de façon incontrôlée » du seul fait que Pékin a annoncé la suspension des contacts militaires avec Washington en guise de représailles après la visite de Nancy Pelosi, estime ainsi Cao Qun, chercheur associé au Département des études chinoises de l’Institut des études internationales de Chine, cité par le think tank chinois Beijing Channel. « Pour le moment, la chaîne de commandement des deux armées demeure sous contrôle et les risques sont maîtrisés, du moins aussi longtemps que les deux parties adhèreront aux fondements de la question de la guerre et de la paix », souligne quant à lui Li Chen, professeur associé à l’Université Renmin de Pékin cité par le même institut.
Loin d’être impressionnées par ces menaces chinoises, les autorités de Taïwan ont encore accueilli dimanche 21 août le Gouverneur de l’État de l’Indiana Eric J. Holcomb arrivé avec une délégation, la première visite à Taïwan d’un gouveneur américain depuis le début de la pandémie de Covid-19. Il s’agissait là de la quatrième visite dans l’île de responsables américains pour le seul mois d’août.
Mardi 23 août encore, une délégation d’universitaires américains de premier plan en visite à l’occasion du 64e anniversaire de la campagne chinoise de tirs d’artillerie sur la petite île de Kinmen, connue sous le nom de « Bombardement 823 ». Tsai Ing-wen a profité de sa rencontre avec eux pour redire la détermination de Taïwan à se défendre contre une éventuelle invasion en rappelant cet épisode lors duquel les forces taïwanaises avaient tenu bon sous un déluge de feu. « Cette bataille pour protéger notre patrie a montré au monde qu’aucune menace, quelle qu’elle soit, ne pouvait ébranler la détermination du peuple taïwanais à défendre sa nation, ni dans le passé, ni aujourd’hui, ni à l’avenir », a ainsi déclaré la présidente.
L’Armée populaire de libération avait tiré 470 000 obus sur Kinmen et les îlots voisins en 1958, tuant au moins 618 personnes dans une campagne qui avait duré quarante-quatre jours. Kinmen est sous administration de Taïwan mais se trouve à seulement deux kilomètres à l’est de la ville chinoise de Xiamen.
Le même jour, Tsai Ing-wen a tiré parti d’une rencontre avec des officiers de l’armée taïwanaise pour aiguiser encore son propose, saluant « l’esprit de combat » dont ont fait preuve les forces armées lors du quasi-blocus imposé par l’armée chinoise au lendemain de la visite de Nancy Pelosi. Les événements de Kinmen ont démontré au monde « qu’aucune menace ne pourra ébranler la détermination du peuple taïwanais à défendre son pays », a-t-elle insisté, des propos diffusés par son bureau et cités par Reuters. « Ce que nous devons faire est de faire comprendre à l’ennemi que Taïwan possède la détermination et la préparation pour défendre le pays de même que les capacités pour y parvenir, a poursuivi Tsai. Une invasion ou une tentative d’invasion coûterait très cher et serait sévèrement condamnée par la communauté internationale. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).