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États-Unis et Chine tentent d’apaiser leurs relations volcaniques

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken sert la main du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi à Bali, au lendemain d'une réunion du G20, le 9 juillet 2022. (Source : Japan Times)
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken sert la main du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi à Bali, au lendemain d'une réunion du G20, le 9 juillet 2022. (Source : Japan Times)
Samedi 9 juillet, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken et son homologue chinois Wang Yi ont fait état de discussions « constructives » au sortir d’un entretien inhabituellement long au lendemain d’une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays du G20 à Bali. Un signal encourageant après des années de relations tumultueuses qui n’ont cessé de s’envenimer ces derniers mois, avec pour principal point de fiction Taïwan.
« Malgré la complexité de nos relations, je peux dire avec une certaine confiance que nos délégations ont trouvé les discussions d’aujourd’hui utiles, franches et constructives », a déclaré Antony Blinken après cinq heures d’entretiens avec le Wang Yi. Le secrétaire d’État américain a cependant noté la pression militaire croissante de Pékin sur Taïwan : « J’ai fait part des profondes préoccupations des États-Unis concernant la rhétorique et les activités de plus en plus provocantes de Pékin à l’égard de Taïwan et de l’importance vitale du maintien de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan. »
Le ministre chinois des Affaires étrangères a lui aussi jugé la rencontre « satisfaisante ». « Les deux parties, sur la base de la réciprocité et des bénéfices mutuels, ont atteint un consensus pour faire en sorte que le groupe de travail conjoint sino-américain obtienne davantage de résultats. » Antony Blinken a néanmoins exhorté la Chine à prendre ses distances avec Moscou et à condamner l’agression russe contre l’Ukraine, ce que Pékin n’a jamais fait depuis l’entrée en guerre de Moscou contre Kiev le 24 février dernier. « C’est vraiment le moment où nous devons tous nous lever, comme l’ont fait les pays du G20 les uns après les autres, pour condamner l’agression », a déclaré le plus haut diplomate de Washington. Vendredi 8 juillet, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait claqué la porte de la réunion avec ses homologues du G20, après avoir essuyé un torrent de critiques concernant l’invasion russe de l’Ukraine. « Il y avait un fort consensus et la Russie a été laissée isolée, comme elle l’a été à de nombreuses reprises depuis le début de cette guerre, a affirmé Antony Blinken. En fait, le ministre des Affaires étrangères, M. Lavrov, a quitté la réunion plus tôt que prévu, peut-être parce que ce message avait été si clair et retentissant. »
Wang Yi a de son côté estimé nécessaire pour la Chine de maintenir des « échanges normaux » avec les États-Unis. « J’ai à nouveau partagé avec le Conseiller d’État [Wang Yi] notre inquiétude sur l’alignement de la Chine sur la Russie », a encore dit Antony Blinken lors d’une conférence de presse au sortir de ces entretiens. Il a ajouté qu’il ne pensait pas que la Chine restait neutre sur ce dossier, en dépit des déclarations chinoises semblant témoigner du contraire.
« Nous avons été très ouverts sur nos divergences […] mais cette rencontre a également été constructive car, en dépit de notre franchise, le ton était très professionnel », a expliqué un responsable américain. Mais « aucune des deux parties n’a réellement faire preuve de volonté de compromis », a-t-il précisé.

« Zone dangereuse »

Les relations américano-chinoises se trouvent actuellement dans une zone dangereuse, a quant à lui estimé Wang Yi, car elles risquent à tout moment de « basculer dans le fossé », d’autant que « beaucoup de personnes sont d’avis que les États-Unis souffrent d’une montée de sinophobie. » En outre, il reste indispensable que l’Amérique fasse preuve de prudence dans ce qu’elle dit sur Taïwan et se garde d’envoyer des signaux erronés « aux forces indépendantistes à Taïwan », a répété le ministre.
Les États-Unis cherchent à faire tout ce qui est possible pour empêcher la moindre erreur de calcul qui pourrait conduire par inadvertance à un conflit, a déclaré aux journalistes, avant la rencontre, le plus haut diplomate américain pour l’Asie de l’Est, Daniel Kritenbrink. Alors que l’Occident s’efforce d’isoler la Russie après l’invasion de l’Ukraine et que l’économie mondiale est en proie à des incertitudes croissantes, Pékin et Washington ont clairement pris des mesures de précaution pour empêcher que leurs innombrables divergences dégénèrent en conflit insurmontable.
Pour autant, les tensions restent en réalité très présentes et parvenir à les surmonter paraît une tâche herculéenne tant les domaines d’affrontements sont nombreux. Outre la question de Taïwan, le président américain Joe Biden a largement conservé et même amplifié la substance de la ligne dure de son prédécesseur Donald Trump à l’égard de la Chine. Des différends commerciaux, la rivalité s’est étendue aux domaines politiques, idéologiques, militaires et technologiques.
Récemment, Joe Biden a indiqué que les États-Unis ne cherchaient pas à déclencher une nouvelle guerre froide. Mais en même temps, le président américain maintient ses critiques, notamment en accusant Pékin de « génocide » à l’encontre du peuple ouïghour, majoritairement musulman, au Xinjiang, dans l’ouest de la Chine.
Le locataire de la Maison Blanche est actuellement en train d’envisager un assouplissement de certains des droits de douane imposés par son prédécesseur Donald Trump sur les produits chinois. Ce qui pourrait atténuer l’inflation, devenue un handicap politique majeur aux États-Unis. Mais au Congrès, les voix se font nombreuses pour l’appeler à la fermeté.
Pour la Chine, la rivalité avec l’Amérique n’est pas sans conséquences sur l’économie nationale qui traverse depuis quelques mois une zone de turbulences aiguës. La croissance du PIB chinois est en très net recul et ne devrait vraisemblablement pas dépasser 4 % en 2002, soit le pire résultat depuis trois décennies. Ceci explique en grande partie la rhétorique officielle chinoise sur la Russie qui s’attache à dépeindre une Chine souhaitant rester neutre dans le conflit en Ukraine. Mais dans les faits, les derniers signaux semblent bien attester du contraire. En l’occurrence, la direction a clairement choisi son camp : celui d’un soutien à la Russie.
Par ailleurs, si Washington s’efforce de changer de ton à l’égard de la Chine, la fermeté reste clairement de mise. Il en a va ainsi de Hong Kong dont la situation continue de susciter des commentaires acerbes de la part de l’administration américaine.
Ce lundi 11 juillet, le consul américain dans l’ancienne colonie britannique a mis en garde les autorités de la cité : l’usage « cruel et effrayant » qui est fait de la loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin en juin 2020 menace le statut de Hong Kong de place financière internationale. Les termes volontairement vagues de cette loi engendre « la peur et à la coercition », a dénoncé Hanscom Smith. « Un vrai patriotisme se mérite en gagnant l’allégeance de personnes libres, plutôt que celui de légiférer sur ce qu’est ou non le patriotisme et la loyauté envers la hiérarchie. »

Colère de Pékin

Sur le plan international, le régime chinois avait en première analyse tout lieu de se réjouir secrètement du décès le 8 juillet de l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe. Le dirigeant était resté très influent sur la scène politique japonaise et s’était distingué par son soutien déclaré à Taïwan et ses critiques virulentes à l’égard de Pékin.
Mais l’une des conséquences politiques de cet assassinat dans des circonstance encore troubles en aura été la victoire éclatante de sa formation, le Parti libéral démocrate (PLD, au pouvoir) aux sénatoriales de ce dimanche 10 juillet. En effet, le PLD a remporté un peu plus des deux tiers des suffrages, ce qui lui permet d’envisager une révision de la Constitution japonaise. Celle-ci, imposée par les Américains en 1948 après la reddition du Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale, interdit au Japon d’intervenir militairement sur un théâtre étranger. La coalition formée par le PLD et son allié le Komeito s’est adjugé 76 des 125 sièges en jeu dimanche contre 69 avant le scrutin, et contrôle désormais 146 des 248 sièges du Sénat, selon des résultats définitifs.
Or l’ambition nourrie par Shinzo Abe était de réviser la Constitution afin, précisément, de permettre au Japon de jouer un rôle géopolitique plus affirmé en Asie et, tout particulièrement, dans le cadre de la montée en puissance de la Chine dans cette région. À la veille des obsèques à Tokyo de Shinzo Abe, l’actuel Premier ministre Fumio Kishida a fait le serment de poursuivre la politique de l’ancien chef du gouvernement japonais dans ce registre.
Les funérailles se sont déroulées ce mardi 12 juillet dans l’intimité de la famille du disparu. Étaient présents Antony Blinken, de même que la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen. « Il y a aujourd’hui un profond sentiment de tristesse après sa disparition, a-t-elle confié. Le Premier ministre Abe est un dirigeant visionnaire et il a renforcé la stature du Japon. Je sais que son héritage va perdurer. » Quant au secrétaire d’État américain, il a rencontré son homologue japonais : « Je partage avec nos collègues japonais un sentiment de perte, un sentiment de choc que nous ressentons tous. Mais avant toute chose, je suis venu à la demande du président [Joe Biden] car plus que des alliés, nous sommes des amis. Et lorsqu’un ami souffre, ses amis viennent pour le soutenir. »
D’autres responsables étrangers ont fait le déplacement, dont le président sud-coréen Yoon Suk-yeol. Plus important : Taïwan, qui n’entretient pas de relations diplomatiques avec le Japon, a dépêché son vice-président Wiliam Lai, le plus haut dirigeant taïwanais à s’être jamais rendu au Japon depuis 1972, date de la rupture entre Tokyo et Taipei et la reconnaissance concomitante par le gouvernement japonais de la Chine populaire.
Les autorités taïwanaises ont précisé que cette visite avait un caractère « privé ». Il n’empêche, le symbole est fort. Les médias japonais ne se sont d’ailleurs pas privés de souligner que le niveau de cette délégation illustrait le souhait de Tokyo et de Taipei de faire état publiquement d’un certain rapprochement. Le bureau de la présidente taïwanaise Tasi Ing-wen s’est abstenu de commenter la visite du vice-président Lai mais il a souligné que ce dernier et Shinzo Abe entretenaient des liens d’amitié « depuis de nombreuses années ». Kuo Kuo-wen, président du Groupe d’amitié interparlementaire taïwanais pour l’Asie de l’Est, a estimé que le déplacement à Tokyo du vice-président de Taïwan représentait « une avancée diplomatique majeure ».
Cette visite prend un relief particulier du fait que Lai apparaît aujourd’hui comme un probable candidat à la présidence de Taïwan lorsque le mandat actuel de Tsai Ing-wen viendra à échéance en 2024, puisque la Constitution lui interdit d’effectuer un troisième mandat. Celle-ci a d’ailleurs déposé mardi un bouquet de fleurs blanches au bas d’un portrait de Shinzo Abe dans les locaux de la représentation japonaise à Taipei.
La visite de Lai n’a pas manqué de susciter la colère de Pékin. Le ministère chinois des Affaires étrangères a indiqué mardi que l’ambassade de Chine à Tokyo avait transmis au gouvernement japonais une « protestation solennelle ». « Après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe, les autorités taïwanaises ont profité de cette opportunité pour se livrer à des manipulations politiques, a déclaré Wang Wenbin, l’un des porte-parole du ministère. Il est impossible que ce genre de gesticulation aboutisse à quoi que ce soit. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).