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Hong Kong : anatomie d’une disparition, naissance d’un État policier (2/2)

Jimmy Lai, fondateur du journal hongkongais pro-démocratie Apple Daily, les mains menottés et escorté par la police, le 12 décembre 2020 à Hong Kong. (Source : Vision Times)
Jimmy Lai, fondateur du journal hongkongais pro-démocratie Apple Daily, les mains menottés et escorté par la police, le 12 décembre 2020 à Hong Kong. (Source : Vision Times)
Suite et fin de ce texte éclairant publié par The Economist le 1er juillet dernier pour « célébrer » le 25ème anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à sa mère-patrie, la République populaire de Chine. Non signé, il donne la parole à des acteurs éminents des évolutions les plus récentes. Du milliardaire Jimmy Lai (en prison) au sinologue Perry Link (interdit de Chine), en passant par le tycoon Desmund Shum (exilé aux États-Unis), l’article permet de comprendre l’importance de Hong Kong pour le pouvoir chinois, dès la préparation des pourparlers sur la rétrocession en 1984. Il offre une vision d’ensemble suffisamment rare pour être traduite et publiée par Asialyst. En voici la seconde partie.
À lire, la première partie de notre traduction. Les intertitres dans le texte ne sont pas de l’auteur

« Garder Hong Kong mais pas ses habitants »

*維護國家安全委員會, weihu guojia anquan weiyuanhui.
Presque tous les démocrates éminents de Hong Kong sont maintenant soit en prison soit en exil. La structure des « professions, églises, journaux, organisations caritatives et fonctionnaires » que Lord Patten a honorée lors de la rétrocession a été détruite. Un Comité de sécurité nationale*, calqué sur son homologue en Chine continentale, trône au-dessus du reste du gouvernement de Hong Kong. Le 1er juillet, jour du 25e anniversaire de la rétrocession, un ancien policier et chef de la sécurité, John Lee (Li Jiachao, 李家超, né en 1957), prête serment en tant que chef de l’exécutif, le premier à être issu des services de sécurité. En 2019, il supervise le projet de loi sur l’extradition. Après l’imposition de la loi sur la sécurité nationale en 2020, son rôle de secrétaire à la sécurité fait de lui un acteur majeur de la déchéance de la ville. Il a été choisi sur une liste de candidats sélectionnés par le Parti, bien qu’il soit largement détesté sur le territoire.
Le budget de la police de Hong Kong a augmenté de 45 % au cours des cinq dernières années et les forces de police se sont vu accorder des pouvoirs accrus leur permettant de cibler des personnes et des organisations sans aucun contrôle judiciaire. Près de 200 personnes ont été arrêtées en vertu de la loi sur la sécurité nationale, qui prévoit même une clause contre la libération sous caution.
Une des personnes visées est bien entendu Jimmy Lai, qui donna les profits des ventes de t-shirts aux étudiants de la place Tiananmen en 1989. Ses critiques récurrentes du Parti l’obligent à fermer les magasins de sa chaîne de vêtements en Chine. Il se tourne alors vers l’édition et fonde le journal Apple Daily. Dans les années 2000, celui-ci devient la publication pro-démocratique le plus influente du territoire. Pourtant, avec le temps, les grandes corporations arrêtent d’y acheter des espaces publicitaires de peur de voir se fermer les portes du marché chinois. Les journalistes soutenus par le Parti font la chasse aux commérages pour discréditer Jimmy Lai. Les médias pro-Pékin campent devant sa maison, intimident sa famille, photographient les visiteurs. On tente d’incendier sa maison, puis même de l’assassiner. Next Digital, la société-mère du journal est la cible constante d’attaques informatiques. La popularité de Jimmy Lai ne fait que croître.
*Mark Clifford, Today Hong Kong, Tomorrow the World: What China’s Crackdown Reveals About its Plans to End Freedom Everywhere, ST. Martin’s Press, New-York, 2022, pp. 234-235.
En 2019, le Parti dépêche sa sœur de Chine avec un message glaçant : s’il ne ferme pas son journal, ils enverront le fils de celle-ci, son neveu, en prison. Jimmy Lai refuse, et est radié de l’arbre généalogique familial, vieux de 28 générations. Il est arrêté en août 2020. Ses comptes en banque et ceux du journal sont bloqués. Pour Mark Clifford, publiciste, ancien membre du comité directeur de Next Digital, incapable de payer leurs équipes, ou les factures d’électricité, les directeurs n’ont d’autre choix que celui de fermer le journal*. Jimmy Lai est aujourd’hui en prison, accusé de multiples crimes. Catholique pratiquant, il prie tous les jours. Sa famille et ses amis disent que les lettres qui leur parviennent montrent qu’il va plutôt bien.
Tous les autres grands médias pro-démocratiques de Hong Kong ont été fermés. Parmi les journaux qui comptent, le Ta Kung Pao et le Wen Wei Po – que le Parti utilise désormais comme émissaires pour l’aider à gérer la ville. Les démocrates ont appris à les lire attentivement. Si vous devenez l’une de leurs cibles, vous pouvez vous attendre à ce que l’on vienne frapper à votre porte au milieu de la nuit.
Une culture de la peur et de la dénonciation s’est emparée de la fonction publique, des écoles, des tribunaux et des universités. Des enseignants trop ouverts ont perdu leur licence. D’autres, nombreux, ont reçu des avertissements après avoir été anonymement dénoncés d’avoir dit ce qui qu’il ne fallait pas dire. Les prétendus crimes sont toujours exprimés en termes vagues qui encouragent ceux qui veulent éviter un sort tragique à bien s’occuper de tous les aspects de leur vie qui pourraient susciter la désapprobation du Parti.
Cette approche est connue, établie de longue date. Perry Link, célèbre sinologue américain – aujourd’hui interdit de séjour – en donnait une analyse toujours pertinente :
« Ces derniers temps, l’autorité de la censure du Parti communiste ressemble moins à un tigre mangeur d’hommes ou à un dragon cracheur de feu qu’à un anaconda géant lové dans un lustre. Normalement, le grand serpent ne bouge pas. Il n’en a pas besoin. Il ne ressent pas le besoin d’être clair sur ses interdictions. Son message silencieux constant est : « Vous décidez vous-même ». Après quoi, le plus souvent, chacun dans son ombre fait ses grands et petits ajustements – tout à fait « naturellement ». L’Union soviétique, où la notion « d’ingénierie de l’âme » de Staline a été mise en œuvre pour la première fois, est restée en pratique bien en deçà de ce que les communistes chinois ont réalisé en matière de manipulation psychologique. »
Levez la tête à Hong Kong et regardez, le serpent est bien là. Les autorités ont mis en place un numéro anonyme permettant aux Hongkongais de se dénoncer mutuellement. Plus de 250 000 rapports de ce type ont été déposé au cours de deux dernières années.
Les universitaires des établissements académiques mondialement reconnus de la ville ont cessé de faire des recherches sur des sujets jugés sensibles par le Parti : Taïwan, la religion en Chine continentale, l’opinion publique à Hong Kong… « Nous regardons les universitaires de Chine continentale et voyons notre avenir. Pour survivre, nous devrons devenir les porte-paroles du gouvernement, déclare un universitaire de Hong Kong. Si vous avez une certaine franchise, le gouvernement vous attaquera par le biais de ses journaux. » En avril 2022, Peter Baehr, un universitaire retraité qui a travaillé à l’université Lingnan de Hong Kong pendant 21 ans, écrit que « les hauts responsables des universités sont les principaux moteurs de la répression. […] Ce sont des opportunistes et des girouettes, plutôt que des militants et des pionniers. C’est l’ambition plus que l’idéologie qui les motive. » De tels opportunistes médiocres sont maintenant éparpillés dans la fabrique même de Hong Kong.
Une profession juridique autrefois éloquente a été neutralisée. L’ancien président de l’Association du barreau de Hong Kong, Paul Harris, vilipendé par la presse pro-Pékin, a fui la ville après avoir été interrogé par les services de police de la sécurité nationale. Les avocats savent qu’ils risquent de nuire aux relations d’affaires avec les entreprises du continent s’ils s’expriment. Dans sa première interview en tant que nouveau président du barreau, Victor Dawes a déclaré que l’organisation ne discuterait pas de politique. Il veut dire que le barreau ne s’opposera pas au gouvernement.
Les autorités ont utilisé des tactiques similaires, ainsi que des lois datant de l’époque coloniale, pour mettre au pas les enseignants, les travailleurs sociaux et les syndicats. Le Foreign Correspondents’ Club (FCC) de Hong Kong a suspendu la remise de son prix annuel de la presse et des droits de l’homme quelques jours seulement avant l’annonce des lauréats en avril. « Les bons reporters savent où se trouvent les lignes rouges […]. Certains peuvent y voir de l’autocensure. J’appelle cela du bon sens », a écrit Keith Richburg, président du club. L’anaconda au-dessus a émis un doux sifflement de satisfaction.
Un nombre record de fonctionnaires ont démissionné et le nombre de nouveaux candidats a chuté de 30 % en 2021. En avril, après avoir constaté qu’il était de plus en plus difficile de recruter des Hongkongais, les forces de police ont abandonné l’exigence selon laquelle les candidats devaient avoir vécu dans la ville pendant au moins sept ans. Le ministère de la Justice a rapidement promu des procureurs qui ont travaillé sur des affaires très médiatisées contre des manifestants. Dans le but d’accroître le prestige du travail d’avocat du gouvernement, les procureurs sont désormais autorisés à porter le titre de « conseiller principal » (Senior Counsel), un terme auparavant réservé aux meilleurs avocats de la ville.
En 2021, plus de 100 000 Hongkongais ont demandé un visa de ressortissant britannique (outre-mer, ou British National Overseas – BNO) qui, s’il leur est accordé, leur permet de vivre en Grande-Bretagne. Ce nombre est susceptible d’augmenter. Beaucoup d’autres sont partis en Australie, au Canada et à Taïwan. Dans le même temps, de nouvelles politiques gouvernementales ont rendu la migration depuis le Continent encore plus facile. Pour les jeunes continentaux ambitieux parlant couramment le mandarin, le cantonais et l’anglais, l’avenir à Hong Kong est plus prometteur que jamais. En 2019, les cadres du Parti à Hong Kong ont reçu l’ordre d’étudier un article qui décrivait une politique connue sous le nom de « garder Hong Kong mais pas ses habitants » (liugang buliuren, 留港不留人).
Beaucoup de ceux qui restent se perdent dans la culture populaire, une tendance que l’on a également observée sur le continent après 1989. Les chansons sur les adieux sont devenues les airs les plus populaires de la ville. Mirror, un boys band local, est devenu célèbre en 2020. Au lieu de chanter des chansons d’amour conventionnelles, leurs paroles parlent de prendre soin de soi. « Vous ne pouvez pas protester, dit un fan. Vous ne pouvez pas chanter de chansons de protestation, alors vous écoutez Mirror. »
Natalie Wong, banquière et mère de famille, s’est inscrite sur Instagram pour suivre Keung To (Jiang Tao, 姜濤, né en 1999), l’un des membres de Mirror. Elle pense que la plupart des chanteurs célèbres de Hong Kong sont compromis à cause de leur désir de gagner de l’argent en Chine. Mme Wong (ce n’est pas son vrai nom) cite le cas d’Eason Chan (Chen Yixun, 陳奕迅, né en 1974), l’un des chanteurs hongkongais les plus connus, qui a coupé ses liens avec Adidas après que la marque de vêtements de sport a annoncé qu’elle n’utiliserait pas de coton du Xinjiang. Certains fans perçoivent Mirror comme étant pro-démocratie, même si le groupe ne l’a pas dit explicitement. Mais il donne aux Hongkongais quelque chose autour duquel s’unir et qu’ils apprécient. « Keung To est très authentique, soutient Mme Wong. C’est une qualité qui manque aujourd’hui à Hong Kong, une société remplie d’hypocrisie et de méfiance. » Sa devise l’inspire, dit-elle : « Tu as un rêve, tu dois le protéger. » Pas le poursuivre avec d’autres main dans la main, jusqu’à la fin du monde. Juste le protéger.

« Ils peuvent tout vous donner, sauf la démocratie »

*Jiang Shigong, China’s Hong Kong – A Political & Cultural Perspective, Springer, Singapour, 2017.
« Les gens comprennent rarement Hong Kong dans la perspective de la Chine », écrit Jiang Shigong (強世功, né en 1967), intellectuel influent qui a travaillé au Bureau de liaison, avant-poste du Parti à Hong Kong, entre 2004 et 2008*. « Au lieu de cela, ils comprennent Hong Kong dans la perspective de l’Occident, ou dans la perspective de Hong Kong, ou ils utilisent Hong Kong pour comprendre la Chine. » Il se trouve qu’il a raison. Pour comprendre comment le Parti a écrasé Hong Kong comme il l’a fait, plutôt que de ne pas le faire, ou de le faire plus tôt, la partie chinoise de l’histoire est indispensable – et permet aussi de comprendre comment la répression a pu être tellement efficace.
L’offre chinoise du principe « un pays, deux systèmes » intervient à un moment où le PCC pense qu’une Hong Kong prospère après la rétrocession serait une estimable source de capital, d’échanges commerciaux et d’expertise. Pour tirer le maximum de cette situation cependant, il est nécessaire que Hong Kong, bien que de jure administrée selon un autre système, soit de facto alignée avec les intérêts du Parti. Ainsi, bien avant le début de la rétrocession, le PCC lance une vaste et ambitieuse campagne pour prendre clandestinement le contrôle d’éléments clefs du gouvernement hongkongais tout en cooptant les élites de la ville.
*Christine Loh, Underground Front: The Chinese Communist Party in Hong Kong, HKU Press, Hong Kong, 2018 (2nde edition), p. 45.
Dans son livre, Underground Front, Christine Loh (Lu Gonghui, 陸恭蕙, née en 1956), fonctionnaire au sein du gouvernement hongkongais dans les années 2010, cite une estimation selon laquelle 83 000 fonctionnaires du continent sont entrés à Hong Kong sous des noms d’emprunt et de fausses identités entre 1983, date du début des négociations sur la rétrocession, et sa réalisation finale en 1997*. Après sept ans à Hong Kong, les infiltrés pouvaient prétendre à la résidence permanente, ce qui leur donne le droit de postuler à des emplois dans la fonction publique de Hong Kong. Le Parti donne alors la priorité à l’infiltration de départements comme la police, les douanes et l’immigration pour s’assurer qu’il a effectivement le contrôle de la ville, nous dit M. Ching. La réponse aux manifestations de 2019 avait ainsi été préparée depuis des années.
*Zhonggong zhongyang tongyi zhanxian gongzuobu, 中共中央統一戰線工作部.
Le Parti avait, des décennies auparavant, créé un département de l’ombre pour travailler aux côtés des partisans qui n’étaient pas directement membres. Il s’agissait du Département du travail du Front uni*, qui continue de cultiver des individus et des organisations dans le monde entier. Des universitaires et des hommes d’affaires bienveillants se tournent vers lui pour avoir accès à des éléments contrôlés par le Parti, tels que des documents de recherche et des séances de photos avec de hauts responsables. Le président Mao qualifiait le Front uni « d’arme magique » du Parti.
Le Dr Chung Kim-wah (Zhong Jianhua, 鍾劍華, né en 1960), chercheur en sciences sociales à l’université polytechnique de Hong Kong et auteur de chroniques dans les journaux de la ville, est l’une de ces cibles. En 1997, il achète un appartement à Guangzhou où il aime passer les week-ends à lire et à réfléchir. Un fonctionnaire du Continent, que le Dr Chung soupçonne d’appartenir au Front uni, l’invite régulièrement à prendre le thé ou à boire une bière. Lorsque le fonctionnaire apprend que le Dr Chung aime le football, il l’emmène regarder des matchs dans un bar sportif. De nombreux Hongkongais ont des histoires similaires sur les efforts déployés pour établir et entretenir des relations et échanger des informations.
Les organisations de la société civile qui respectent les règles peuvent demander de l’argent au Front uni avant et après la rétrocession. Pour chaque syndicat ou journal pro-démocratie, le Parti s’assure de soutenir un syndicat ou un journal pro-Pékin équivalent, en le créant de toutes pièces si nécessaire. C’est l’une des raisons pour lesquelles le nombre impressionnant d’organismes de la société civile dont la ville se targue aujourd’hui ne saurait être considéré comme le signe d’une société civile robuste. Beaucoup ne sont que des façades légales pour les opérations clandestines du Parti, se présentant comme des associations d’anciens élèves, des chambres de commerce et des groupes de voyage. « Toutes ces sociétés ne sont pas des cellules du parti, mais la majorité d’entre elles le sont », déclare M. Ching, qui a lui-même été approché pour rejoindre le Parti. Il a refusé. « C’est une des façons dont le Parti a infiltré Hong Kong. »
Les agents du Parti ont d’abord tenté d’entretenir des relations avec les groupes démocrates. Les membres du mouvement sont souvent des partenaires consentants. Comme l’attestent plusieurs anciens législateurs, ils pensaient qu’il pourrait être utile d’ouvrir un canal de communication avec la sécurité de l’État. Et beaucoup estiment qu’il est peu probable que quelques réunions cordiales fassent changer d’avis qui que ce soit. Mais elles ont permis au Parti d’acquérir une connaissance approfondie de Hong Kong et, en fin de compte, d’exercer une influence sur nombre de ses dirigeants.
« Avec le recul, nous avons été très naïfs », reconnaît un ancien législateur. De nombreux démocrates ont été invités à des dîners et à des réunions à Pékin où les responsables du Parti offraient de l’argent, des femmes ou des postes de pouvoir en échange de leur coopération et de leurs informations. « Ils peuvent tout vous donner, sauf la démocratie », souligne Lee Wing-tat (Li Yongda, 李永達, né en 1950), un ancien dirigeant du Parti démocratique qui vit aujourd’hui en Grande-Bretagne. Plusieurs politiciens pro-démocratie ont ainsi été cooptés, confie-t-il.
Un moyen évident d’influencer la gouvernance est de renforcer les voix prochinoises au sein de l’élite économique, dont beaucoup ont occupé des fonctions gouvernementales sous le régime britannique et ont continué à le faire après la rétrocession. « On nous a ordonné d’entraver les affaires britanniques, de consolider les affaires chinoises, de rassembler les investissements de Taïwan et des communautés chinoises d’outre-mer », écrit Xu Jiatun (許家屯, 1916-2016), qui a été le principal représentant chinois à Hong Kong de 1983 à 1990, date à laquelle, en tant qu’opposant à la répression de Tiananmen, il fuit en Amérique.
Pendant les quinze premières années après le retour de Hong Kong à la Chine, cet investissement semble n’avoir eu qu’un impact limité sur la gouvernance de la ville. Mais, l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012 marque un changement qui conduit le Parti à utiliser son pouvoir à Hong Kong d’une manière bien plus directe.
Le boom économique qui suit l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en 2001 a pour conséquence que la Chine a moins besoin des capitaux, de l’expertise et des relations de Hong Kong. En tant que chef du groupe politique du Parti pour Hong Kong à partir de 2007, Xi en est venu à considérer les tycoons de la ville comme arrogants et exclusifs. Les dîners où ceux-ci jouent de leur suffisance (et offrent quand même des opportunités commerciales lucratives) deviennent rares et formels. Le Parti est devenu plus exigeant.
*Desmond Shum, Red Roulette – An Insider’s Story of Wealth, Power, Corruption, and Vengeance in Today’s China, Scribner, New York et Londres, 2021, pp. 249-250 (epub).
« Je sentais les vis se resserrer, raconte Desmond Shum (Shen Dong, 沈棟), un ancien tycoon qui vit désormais à l’Ouest. Ils nous demandaient sans cesse de faire plus de choses, de faire plus de dons. » Cela inclut de faire ostensiblement campagne et de voter pour les intérêts du Parti dans la ville. « On nous demandait à tous de faciliter l’ingérence directe de la Chine dans les élections de Hong Kong. Ce qui m’étonne, c’est qu’aucun d’entre nous n’est jamais sorti publiquement pour dire : « Voilà ce que j’ai fait et c’était mal », écrit Shum dans Red Roulette, un mémoire qu’il a publié en 2021. Cela vous dit à quel point nous craignions le Parti et les répercussions possibles de dire non et de s’exprimer. »*
Xi Jinping a lancé un renouvellement du système de la sécurité nationale. Contrairement à l’Occident, où les préoccupations en matière de sécurité nationale se concentrent sur les menaces extérieures, en Chine, elles englobent toutes les menaces pour la maîtrise du pouvoir par le Parti. Dans le contexte plus explicitement répressif du règne de Xi, Hong Kong est apparu de moins en moins comme un moteur de croissance et de plus en plus comme une base de subversion.
Lorsque les manifestations de 2019 ont éclaté, le Parti a rapidement commencé à utiliser comme une arme ses relations soigneusement entretenues avec la société civile de Hong Kong. Le Dr Chung a été refoulé à la frontière alors qu’il tentait de se rendre à Canton. Son ami du bar sportif lui a rendu visite à Hong Kong, lui suggérant qu’il pouvait régler la question. « Mais seulement si j’arrêtais d’écrire pour l’Apple Daily », confie le Dr Chung. Il a refusé. Les histoires abondent sur l’art et la manière qu’a le Parti pour trouver les points sensibles de milliers de Hongkongais.
Les pressions exercées sur les chefs d’entreprise sont parfois publiques. Lorsque Li Ka-shing (Li Jiacheng 李嘉誠, né en 1928), le tycoon le plus riche de Hong Kong, a appelé le gouvernement et les manifestants à la retenue en 2019, le Parti et ses mandataires ont qualifié le milliardaire de 91 ans de « roi des cafards ». Il a compris le message. Dès lors, les autres milliardaires de Hong Kong ont clairement donné leur aval à la sévère réponse du gouvernement aux demandes des manifestants. Ils ont tous vu ce qui est arrivé à Jimmy Lai.
Les grandes marques ont également capitulé. En 2019, John Slosar, président de la compagnie aérienne Cathay Pacific, a défendu le droit de ses employés à manifester. « Nous ne rêverions pas de leur dire ce qu’ils doivent penser de quoi que se soit. » Le Parti a menacé d’exclure les avions de Cathay de l’espace aérien chinois. John Slosar a été contraint de démissionner. Son successeur, Patrick Healy, a participé avec enthousiasme à l’élection fictive de John Lee, le nouveau dirigeant de la ville.
Tout cela explique que lorsque Pékin a promulgué la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong, les milieux d’affaires de la ville ne s’y sont pas opposés. Les plus grandes entreprises comme HSBC, Standard Chartered, Swire et Jardine Matheson ont toutes publié des déclarations de soutien à la loi. HSBC, la plus grande banque d’Europe par ses actifs, a gelé les comptes de politiciens pro-démocratie et d’organisations de la société civile. Les quatre grands cabinets de comptabilité – Deloitte, EY, KPMG et PwC – ont tous publié des annonces dans des journaux pro-Pékin pour féliciter John Lee d’être devenu le chef de l’exécutif de la ville.
Avec cette nouvelle loi et avec le soutien de la police de Hong Kong, le ministère chinois de la Sécurité nationale et le Front uni commencent à utiliser leurs intermédiaires pour proférer des menaces personnelles à l’encontre de dirigeants qu’ils soignent depuis parfois longtemps, selon des entretiens avec six personnes qui ont eu un contact direct avec les intermédiaires concernés. Parfois, l’avertissement provient d’un appel téléphonique mystérieux, parfois d’une connaissance de longue date, à l’église. Les retards ou les tergiversations entraînent des arrestations. « L’un de mes collègues a été averti : « Vous feriez mieux de quitter Hong Kong rapidement », raconte un ancien parlementaire. Mais, il n’a pas tenu compte de cet avertissement. Maintenant, il est en prison. »
Le Dr Chung, le fan de football, sort de sa retraite en 2020 pour participer à des enquêtes. Il est interrogé deux fois par la police et subit des « menaces émanant d’organismes puissants ». Pourtant, ce n’est que lorsque son ami, un autre professeur à la retraite, est emprisonné qu’il réalise qu’il ne pourrait pas supporter que ses parents âgés « ne puissent me voir qu’en me rendant visite en prison ». En avril, il s’enfuit en Grande-Bretagne, où les intermédiaires continuent néanmoins à le contacter.
Du point de vue de la Chine, Hong Kong n’a pas seulement vu les tactiques de cooptation et de menace, développées pour une prise de pouvoir plus douce, se mettre au service d’une prise de pouvoir beaucoup plus draconienne. Elle a également vu se perfectionner les méthodes de cooptation des entreprises et des universitaires, d’infiltration d’institutions comme les universités et celles qui financent la propagande pro-Parti sur les médias sociaux, qui permettent de multiples utilisations. « J’ai vu ce qui allait arriver, dit M. Ching, qui a été le premier à mettre en garde contre la menace que représentait le Parti à l’approche de la rétrocession. Mais personne n’a écouté. » Aujourd’hui, la nécessité d’écouter reste urgente partout dans le monde où la Chine cherche à exercer son influence.
Mais à Hong Kong, il n’y a plus grand-chose à écouter. Juste les trams et les marteaux-piqueurs, les tractations et les conversations quotidiennes – et une reprise de Beneath Lion Rock, récemment publiée par Mirror. Certains considèrent cet enregistrement comme un nouvel exemple de cooptation, le gouvernement abîmant quelque chose qui faisait autrefois réellement sens. D’autres apprécient juste la mélodie.
Article publié dans The Economist, traduit de l’anglais par David Bartel

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A propos de l'auteur
Chercheur indépendant, David Bartel vit à Hong Kong depuis dix ans. Obtenue en 2017 à l'EHESS, sa thèse porte sur les Lumières chinoises du XXème siècle et leur reconfiguration contemporaine. Il s'intéresse particulièrement aux liens entre histoire, politique et langage. La cooptation des discours théoriques postmodernes et postcoloniaux - en Chine et ailleurs - par la rhétorique nationaliste, et l’effacement de la culture au nom du culturel sont au cœur de ses recherches.