Roger Faligot : "Le Covid-19 a déstabilisé les services secrets chinois"

Entretien
Longtemps correspondant pour Intelligence Online, Roger Faligot a signé une cinquantaine d’ouvrages sur les coulisses de l’histoire moderne et sur les services secrets de renseignement, se consacrant en particulier aux affaires asiatiques. Son dernier ouvrage Les services secrets chinois, de Mao au Covid-19, paru aux éditions Chronos au début de cette année, fourmille d’informations et de révélations sur ce monde chinois du renseignements édifiants sur cette pieuvre chinoise qui étend ses tentacules aux quatre coins du monde. En 745 pages, l’auteur nous explique comment la Chine entend devenir une superpuissance en s’appuyant sur des services secrets actifs dans tous les domaines : la sécurité d’Etat (Guoanbu), « l’infoguerre », l’intelligence économique, la guerre éclaire dans le cyberespace.
Extraits
Voici quelques passages marquants du livre de Roger Faligot, Les services secrets chinois, de Mao au Covid-19, Nouveau Monde, 2022.
– Wang Huning, le Machiavel chinois soutenu par les services (pp. 368-369)
« Ce thème du « rêve chinois » a été conçu par l’un des principaux conseillers du président, de grande influence aussi bien dans les domaines de la philosophie politique que de la stratégie sécuritaire. Il a pour nom Wang Huning et possède la particularité unique d’avoir servi trois présidents et chefs du parti successifs – Jiang Zemin, Hu Jintao et Xi Jinping – échappant aux conséquences brutales des batailles de clans et purges récurrentes.
« Le rôle de Wang Huning est d’autant plus remarquables qu’il a forgé, avec quelques autres sécurocrates, le concept de « sécurité totale ». Le 15 avril 2014, Xi Jinping, au cours d’une réunion du Comité central a défini cette conception nouvelle : « Nous devons adhérer au concept de sécurité totale. Envisager la sécurité du peuple, tel est notre but ; une sécurité économique comme fondement ; des sécurités militaires, culturelles, sociétales comme garants ; avec la promotion de la sécurité nationale aux caractéristiques chinoises. »
« Xi Jinping détaille le concept de sécurité nationale totale, qui s’appuie sur « cinq éléments » et « cinq relations ». Notons ces cinq éléments : le but fondamental : la sécurité politique ; le fondement ; la sécurité économique ; les garanties ; la sécurité internationale. Quant aux cinq relations, elles relient sécurité intérieure et extérieure ; sécurité nationale et sécurité des citoyens chinois ; la sécurité traditionnelle et non traditionnelle ; les questions de développement et les problèmes de sécurité ; la sécurité personnelle et la sécurité collective.
C’est en s’appuyant sur les cinq piliers sécuritaires que le système aurait dû parfaitement fonctionner : le système de sécurité publique (Gaonganbu), l’Armée populaire de libération, les polices armées populaires et le système politico-légal.
Cependant aussi puissante qu’elle se croyait, l’élite communiste a aussi été désemparée que le peuple lorsque le « rêve chinois » de « sécurité totale » s’est transformé en cauchemar au second trimestre 2019. Quant un virus nourri au sein du monde chinois a commencé à se propager et à le déstabiliser, lui, puis la totalité de la planète Terre. Et cela ni Wang Hunin, le Machiavel de Shanghai, ni Xi Jinping, ni les stratèges du PCC, aux premières loges dans le services secrets, n’ont pu le prévoir.
– Le petit-fils de mao, agent secret (pp. 645-648)
« Le renseignement militaire chinois aura même réussi cette performance d’infiltrer des agents secrets ouïghours à l’intérieur du petit groupe islamiste du Xinjiang qui est entraîné par Oussama Ben Laden et al-Qaïda. Avec ce paradoxe que certains d’entre eux seront tués quand ils ne seront pas capturés par les Américains et internés à la base de Guantanamo, à Cuba, comme « terroristes islamistes »… Tandis que les communistes de l’ISAF – la Force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan depuis le début 2002 -, qui effectuent la chasse aux membres d’al-Qaïda, ils retrouvent régulièrement dans leurs caves des armes de fabrication chinoise. Et que l’un des hélicoptères de l’ISAF a été abattu, en mai 2007, grâce au nouveau lance-missiles antiaérien portable HN5 – pour Hong Ying : « oiseau de mer » – que les Chinois ont fait parvenir aux talibans ainsi qu’à la résistance irakienne chiite, via l’Iran.
Toutefois les Chinois font toujours rougeoyer deux fers au feu : en juin 2006, le président Hamid Karzaï gagne Pékin et fait une conférence, au cours de laquelle il implore les Chinois d’intensifier la lutte commune contre le terrorisme. Où profère-t-il ce beau discours ? À l’Institut chinois des relations internationales contemporaines. Le professeur Li wei, conseiller du Guoanbu en matière de terrorisme, ne peut qu’approuver. À condition d’oublier que ce sont les Chinois, encore plus que les Américains, qui ont équipé et aidé islamistes et talibans à devenir la force qu’ils sont aujourd’hui. Et qu’ils comptent jour un rôle dans les négociations éventuelles avec ces mêmes talibans qu’à partir des années 2010 ils avaient estimé avec raison capables de reprendre le pouvoir.
À l’heure du retrait américain, les Chinois espèrent encore jouer un rôle important une fois les talibans de retour au pouvoir. Selon nos informations, avant l’offensive foudroyante et victorieuse des talibans à l’été 2021, le Guoanbu échangeait des informations aussi bien avec le renseignement taliban (fédéré de régions militaires) qu’avec celui du gouvernement de Kaboul. À ce titre, ils soutenaient les opérations contre les Américains mais aussi contre Daech et al-Qaïda.
– Dong Jingwei et la trahison du magicien Gu
« Le chef du contre-espionnage chinois Dong Jingwei a fait défection chez les Américains, emportant avec lui les secrets, de l’origine du Covid-19, de la cyberguerre, des taupes au sein des services secrets occidentaux et de la mise au pas des Ouïghours et des Hongkongais. » telle est en substance, la retentissante information diffusée en juin 2021 sur plusieurs réseaux sociaux spécialisés dans la politique chinoise.
Simple rumeur ? S’agit-il d’une énième manipulation au cœur de la guerre psychologique que se livrent les États-Unis et leurs alliés et la Chine, sur fond de rivalités économiques et du contrôle des communications mondiales dont la polémique concernant Huawei et la 5G est autre avatar ?
Pour répondre, il faut préciser qui est ce Dong Jingwei, officiellement vice-ministre de la Sécurité d’État (Guoanbu), que nous avons croisé dans ce livre. Les articles et communiqués affichant des points de vue irréconciliables sur cette affaire soulignent la bataille que se livrent désormais les services de renseignement chinois autour de la pandémie du Covid-19, le « virus chinois ».
Je n’ai pas attendu la crise actuelle pour évoquer Dong Jingwei alors que personne n’en parlait à la fin des années 1990, pour évoquer son rôle comme directeur du département régional du Guoanbu (guoanting), dans la province du Hebei où Li Zhanshu, l’actuel bras droit politique de Xi Jinping, était alors le chef du PCC. Dix ans plus tard, il s’est illustré en démantelant un réseau d’espionnage japonais. Ainsi, le 20 septembre 2010, la division du Guoanbu à Shijiazhuang, dans la province du Hebei, procédait à l’arrestation de quatre employés japonais de Fujita Corporation accusés d’avoir filmé avec une caméra vidéo une zone militaire interdite, Dong Jingwei déclarant qu’ils étaient surveillés depuis longtemps comme agents du contre-espionnage japonais.
Naturellement, Dong s’illustrait dans diverses autres opérations comme la lutte contre le groupe Falungong avec le bureau 610.
Né dans le comté de Zhao (province du Hebei), le 18 novembre 1963, sous le signe du Chat, il n’appartient pas à la caste des « princes rouges » dont les parents ont été compagnons d’armes de Mao. De modeste extraction, il a épousé une infirmière (récemment détachée au département de l’environnement) qui lui a donné une fille née en 1989.
D’abord employé de la Banque populaire, Dong est devenu le protégé de Li Zhanshu, dont le père était directeur de la branche régionale de cette banque, puis il s’est retrouvé bombardé dans les services de renseignement, le Guoanbu du Hebei.
Selon Radio Free Asia, à l’époque, Dong aurait été chargé de superviser la formation des gardes du corps du président – qui incombe normalement au bureau de la sécurité centrale dirigé par Wang Shaojun, un autre membre du « groupe du Hebei » qu’affectionne Xi Jinping.
Plusieurs sources aux États-Unis et à Taïwan assurent que Dong serait monté dans un avion à Hong Kong pour la Californie le 10 février 2021, en compagnie de sa fille. Il y aurait aussi été pris en charge, grâce à un officier qu’il connaissait, par la Defense Intelligence Agency (DIA), le renseignement militaire dirigé depuis octobre 2020 par le lieutenant général Scott D. Berrier. Ceci étant, dans un cas pareil, pour son débriefing, sa mise à l’abri, il aurait été également interrogé à terme par la CIA.
Impossible de confirmer qu’au sommet d’Anchorage (en Alaska) où les Américains ont rencontré en mars 2021 une délégation chinoise, dirigée par le patron de la Commission centrale des affaires étrangères, Yang Jiechi, celle-ci aurait demandé à ce que les États-Unis renvoient Dong dans son pays. Requête à laquelle son homologue Antony Blinken aurait opposé une fin de non-recevoir.
Dans les semaines qui ont suivi, sans mentionner cette affaire épineuse, le gouvernement chinois a tenté de démontrer que le vice-ministre du Guoanbu est toujours en Chine et bien actif.
Pendant ce temps, le 21 juin 2021 aux États-Unis, un responsable du FBI laisse entendre que le bureau ne détient pas le camarade Dong. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas aux États-Unis ou ailleurs sous protection de services alliés, d’autant que c’est la DIA (Defense Intelligence Agency) qui a été à plusieurs reprises citée comme ayant réceptionné le transfuge.
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