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Ouïghours: l’Assemblée nationale française condamne un "génocide" au Xinjiang

L'Assemblée nationale à Paris a adopté une résolution dénonçant le génocide des Ouïghours au Xinjiang, perpétré par les autorités chinoises, le 20 janvier 2022. (Source : RTBF)
L'Assemblée nationale à Paris a adopté une résolution dénonçant le génocide des Ouïghours au Xinjiang, perpétré par les autorités chinoises, le 20 janvier 2022. (Source : RTBF)
Ce jeudi 20 janvier, l’Assemblée nationale a adopté une résolution dénonçant un « génocide » perpétré par les autorités chinoises contre les minorités ethniques au Xinjiang, en particulier les Ouïghours.
La résolution a été adoptée à la quasi-unanimité : 169 votes pour, un contre et cinq abstentions. Elle a reçu le soutien des députés de La République en marche (LREM). Sans portée contraignante, elle intervient cependant à quelques jours des Jeux olympiques d’hiver de Pékin et demande au gouvernement français de faire de même. « Ces éléments, désormais largement documentés […] témoignent d’une intention de détruire l’identité, les liens communautaires ouïghours, les possibilités de filiation et les liens entre générations, souligne la résolution, et plus généralement de détruire les Ouïghours, y compris biologiquement, en tant que groupe à part entière. Ces violences politiques extrêmes et systématiques, organisées par l’État chinois, sont constitutives d’un génocide. »

« Comment pourrions-nous encore les regarder ? »

Quel est le contexte de ce « génocide » dans une région autrefois appelée Turkestan oriental, entrée dans le giron de la Chine au XVIIème siècle, deux fois indépendante avant d’être créée sous sa forme actuelle par Pékin en 1955 ? Territoire « autonome » du nord-ouest de la Chine, le Xinjiang occupe une vaste région d’1,665 million de km2 à la fois désertique et montagneuse. Il compte de nombreuses minorités ethniques dont des Ouïghours turcophones. L’ancienne route de la soie qui reliait la Chine au Moyen-Orient passait par le Xinjiang. Les traces de ce passé se retrouvent dans les bazars en plein air traditionnels de ses villes-oasis, Hotan et Kachgar.
Les parlements de plusieurs autres pays ont déjà adopté des résolutions similaires, dont les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et la République tchèque. Avant l’adoption de cette résolution, défendue par le Parti socialiste, ce dernier avait organisé une conférence de presse lundi 17 janvier dans les locaux de l’Assemblée nationale. Plusieurs personnes avaient pris la parole, dont Olivier Faure, secrétaire du PS et président du groupe socialiste, écologiste et républicain (SER) à l’Assemblée.
« Comment pourrions-nous encore les regarder ? Nous ne pouvons pas rester silencieux, avait-il déclaré. On fait des milliards de bénéfices pendant que des femmes, des hommes, des vieillards meurent dans les camps au Xinjiang. Comment pourrions-nous tolérer plus longtemps ce travail forcé, cet esclavage ? Nous avons pris l’initiative de ce texte de loi, en espérant que d’autres vont suivre. Le mérite revient à Dilnur [Reyhan, présidente de l’Institut ouïghour d’Europe]. La démocratie et les libertés, je les crois contagieuses. Que celles et ceux qui ont peu au moins nous laissent faire. Ce texte de loi sera un message adressé à tous les chefs d’État, cela, je l’espère, contribuera à réveiller les consciences ? »
Autre intervenant mais en visioconférence depuis les États-Unis, Adrian Zenz, anthropologue allemand connu pour ses études sur la politique chinoise au Xinjiang et au Tibet, chercheur à la Victims of Communism Memorial Foundation à Washington. Zenz avait, pour sa part, souligné l’actuelle situation tragique de la population ouïghoure : « La réalité au Xinjiang est celle d’une intention de détruire biologiquement une minorité ethnique. Nous assistons à un chute dramatique du taux de natalité chez les femmes ouïghoures. Dans certains comtés, cette chute atteint les 50 %. Cela entraîne un déclin drastique des naissances avec une croissance démographique qui ralentit et approche désormais zéro. »

Critères du génocide

« Quelle est l’intention des autorités chinoises ? La vérité est que l’intention est de réduire la population ouïghoure pour des considérations de sécurité nationale en Chine, avait poursuivi le chercheur allemand. Aujourd’hui, la situation est très claire. En juillet 2020, un responsable officiel au Xinjiang, le doyen de l’Université du Xinjiang, a déclaré que le cœur du problème n’a pas encore été résolu. Il répétait là mot pour mot une déclaration ultra-secrète de Xi Jinping faite en 2014. L’objectif est triple : la taille de la population, son taux de croissance et la concentration de la population ouïghoure jugée trop forte comparé à celle des Han », les Chinois de souche.
« La solution est donc de diluer la population ouïghoure dans la population Han, avait également expliqué Adrian Zenz. Des documents secrets qui ont fuité à l’étranger le montrent bien : la population ouïghoure est le problème majeur pour la sécurité nationale du pays. Entre 2015 et 2017, le chef du Parti communiste du Xinjiang Chen Quanguo a mis en œuvre des mesures pour provoquer un déclin du taux de natalité des femmes ouïghoures. Le but est que ce taux baisse jusqu’à être nul et même négatif. Aujourd’hui déjà, ce taux baisse de façon dramatique. D’ici 20 ans, cela entraînera 3 ou 4 millions de bébés qui ne seront pas nés. Or les critères d’un génocide définies en 1948 par la convention des Nations Unies sont clairs, ce à quoi nous assistons au Xinjiang correspondant à ces critères : il s’agit de la destruction méthodique des élites intellectuelles, religieuses et spirituelles de cette région. Autrement dit, il s’agit de détruire une minorité ethnique. De même que les mariages interethniques forcés. Entre 2017 et 2021, des dizaines de milliers de naissances ont été empêchées. Le plan à long terme est celui-ci : c’est un génocide lent, accompagné de meurtres de masse, du travail forcé. Il y a pour nos démocraties une obligation de mettre un terme à ce génocide. Nous y sommes obligés par la Convention de 1948. »
Le terme de génocide, tel qu’il a été défini par Raphael Lemkin en 1943, nomme un crime commis avec l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel. Le meurtre collectif est le moyen le plus répandu pour garantir l’éradication d’un groupe mais il existe d’autres moyens pour y parvenir. Les actes constitutifs de génocide ont été définis au sein de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en 1948. Cette définition a été adoptée dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998.
D’après la Convention des Nations Unies adopté en 1948, les critères constitutifs de génocide sont les suivants : meurtre de membres d’un groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres d’un groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

« Nouvelles routes de la soie »

Un génocide est-il en cours au Xinjiang ? L’Histoire et l’horreur semblent bien se répéter en Chine, un peu plus de trente ans après le massacre de la place Tiananmen à Pékin le 4 juin 1989, lorsque l’armée chinoise avait ouvert le feu sur des manifestants prodémocratie et fait des centaines, voire des milliers de morts. On ne connaîtra jamais le bilan réel de ce désastre que la machine de la propagande du régime a depuis effacé de la mémoire collective. De toute évidence, une tragédie encore plus abominable se déroule depuis 2015 au Xinjiang, où les autorités chinoises ont interné plus d’un million de Ouïghours de confession musulmane, soumis à un traitement inhumain. Comment pourrions-nous le passer sous silence ? Les témoignages qui se multiplient ne laissent plus de place au doute. Selon de multiples sources crédibles, plus d’un million de Ouïghours, peut-être jusqu’à trois millions, sont internés dans des « camps de rééducation », tandis que plus de 500 000 autres, dont des enfants, seraient contraints au travail forcé. Les autorités chinoises nient farouchement ces informations et ont baptisé ces camps « centres de formation professionnelle », un démenti qui ne trompe guère au vu des informations recueillies qui vont toutes dans le même sens.
Interrogé par Mediapart, Adrian Zenz avait récemment expliqué la terrible logique en marche au Xinjiang : « Les Ouïghours sont culturellement et spirituellement plus proches d’Istanbul que de Pékin. Des décennies de répression et les brutalités de la Révolution culturelle ont conduit à un mélange toxique de relations ethniques. Plus récemment, les Ouïghours ont pu chercher leurs racines en écoutant de la musique turque ou des sermons islamiques via Internet et leurs smartphones. Pékin met l’accent sur la résistance violente des Ouïghours, mais la résistance passive et non violente à l’assimilation et à l’intégration était probablement le plus gros problème. Cette incapacité de contrôler pleinement leur société est devenue un problème croissant pour Pékin. En 2013, le Xinjiang a été déclaré la région du cœur de l’initiative Belt and Road [Nom officiel des « Nouvelles routes de la soie », NDLR]. La région est riche en ressources naturelles et d’une grande importance géopolitique. En fin de compte, Pékin a estimé qu’il fallait quelque chose comme une « solution finale » à cette situation. Les leçons qu’il apprend actuellement au Xinjiang peuvent être appliquées à d’autres régions et à d’autres groupes religieux. Maintenant, Hong Kong est en train de devenir un autre Xinjiang. La répression est devenue le principal outil de gouvernance de Pékin. »

« On ne supprime pas ainsi toute une culture »

Rappelons le témoignage de Gulbahar Haitiwaji, victime d’un piège machiavélique tissé par l’appareil sécuritaire chinois. Cette Ouïghoure basée en France a été contrainte de retourner dans sa région natale, le Xinjiang, en 2017, où elle a connu l’enfer des camps d’internement. Dans une interview diffusée par Asialyst, elle a raconté les tourments qu’elle a subis après un retour au Xinjiang où elle avait été sommée de revenir par les autorités pour régulariser ses droits à la retraite. « À l’époque, j’étais peu méfiante. Je n’avais même jamais entendu parler des camps d’internement au Xinjiang. Lors de mes précédentes visites, j’avais noté un renforcement des checkpoints et des contrôles d’identité, mais rien d’anormal. Alors lorsque mon ancien employeur m’appelle et me demande de venir rapidement, je lui demande simplement si je peux faire une procuration. Elle m’est refusée. Dix jours plus tard, je suis donc au Xinjiang avec l’idée d’y rester deux semaines. Cela durera en fait deux ans et neuf mois. On me harcèle de questions sur ma vie en France et celle de ma famille. Puis on me présente une photo de ma fille, prise lors d’une manifestation de Ouïghours à Paris. Sur le cliché, elle brandit un drapeau du Turkestan oriental [l’actuel Xinjiang, NDLR]. Sur le coup, j’en veux un peu à ma fille car de mon côté, je ne militais pas. La police me remet en liberté mais confisque mon passeport. À la mi-janvier, on me dit de revenir le chercher. Trois membres de la Sécurité d’État m’attendent. Je suis emmenée à la maison d’arrêt de Karamay. »
Pourquoi ce régime sévère ? « Il faut savoir qu’à l’époque, mon mari était le vice-président de l’Association des Ouïghours de France, poursuit-elle. Les dernières fois que nous étions revenus au Xinjiang, en 2012 et 2014, il avait été convoqué par la Sécurité d’État qui lui avait demandé d’espionner notre communauté en France. Il avait refusé et je pense que les autorités ont voulu prendre des mesures de rétorsion. Et comme j’étais la seule de la famille à ne pas avoir la nationalité française, il était plus facile d’agir contre moi. […] Nous sommes au début une petite dizaine dans ma cellule, puis une trentaine. Les détenues ouïghoures ont les pieds enchaînés toute la journée. Nous sommes vêtues d’un uniforme jaune, beaucoup trop fin pour supporter l’hiver et ses -30 degrés, et de petits chaussons noirs. On dort sur une banquette dans une couette puante, éclairés par des néons allumés nuit et jour. »
« Au sol, il y a deux carrés dessinés en rouge, décrit Gulbahar Haitiwaji. Toutes les heures, deux détenues doivent s’y tenir debout sans bouger, pour « monter la garde ». Les rares fois où l’on peut sortir, c’est sur une sorte de terrasse grillagée attenante à la cellule. Le froid y était insupportable et quand on revenait à l’intérieur, ils mettaient la climatisation le plus froid possible. C’était terrible. » En avril 2017, le traitement carcéral se durcit. « Oui, pendant vingt jours, je suis attachée au barreau de mon lit. Trois autres prisonnières subissent le même sort. Nous devons faire nos besoins dans un seau, aidées par nos codétenues. Nous n’avons jamais su pourquoi on avait subi cela durant cette période. […] Ils veulent nous faire disparaître, c’est un génocide culturel, une assimilation totale, mais il y a chez les gens une résistance, on ne supprime pas ainsi toute une culture. »
Ces témoignages qui se sont multipliés ces derniers mois n’empêchent pas les autorités chinoises de dénoncer des mensonges. Le Xinjiang « est une terre d’harmonie et de stabilité où la population vit et travaille en paix, estimait récemment le quotidien de langue anglaise China Daily, qui dépend du Quotidien du Peuple, porte-voix du Parti communiste chinois. C’est une terre de prospérité et de progrès grâce à une philosophie fondée sur le développement. C’est une terre de bonheur où le bien-être de la population s’améliore sans cesse. C’est une terre de joie où la liberté de croyance religieuse est respectée et protégée. C’est une terre aux paysages magnifiques, une terre où les opportunités sont infinies. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).