Politique
Analyse

JO d'hiver de Pékin : Washington annonce un boycott diplomatique, une "fanfaronnade" selon la Chine

Ni le président américain, ni aucun diplomate des États-Unis ne se rendra à Pékin pour les Jeux olympiques d'hiver à Pékin du 4 au 20 février 2022. (Source : NYT)
Ni le président américain, ni aucun diplomate des États-Unis ne se rendra à Pékin pour les Jeux olympiques d'hiver à Pékin du 4 au 20 février 2022. (Source : NYT)
Les États-Unis n’enverront aucun responsable officiel aux Jeux Olympiques d’hiver de Pékin prévus du 4 au 20 février prochains. En cause, « le génocide et les crimes contre l’humanité en cours au Xinjiang », a justifié la Maison Blanche ce lundi 6 décembre. Une décision « contraire à l’esprit de la charte olympique », a dénoncé la Chine.
En se rendant à Pékin, « la représentation diplomatique américaine traiterait ces Jeux comme si de rien n’était, malgré les violations flagrantes des droits humains et les atrocités de la Chine au Xinjiang. Et nous ne pouvons tout simplement pas faire cela », a déclaré la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki. Avec ce boycott, aucun représentant du gouvernement des États-Unis n’assistera donc aux Jeux d’hiver, mais les athlètes américains, eux, participeront bien aux compétitions. « Les athlètes de la Team USA ont notre soutien total. Nous serons derrière eux à 100% pendant que nous les encouragerons depuis ici. Nous n’allons pas contribuer à la fanfare de ces Jeux », a-t-elle ajouté, précisant que la Chine avait été informée de cette décision avant son annonce officielle.
Depuis des mois déjà, le gouvernement américain cherchait la meilleure façon de se positionner à l’égard des Jeux d’hiver, un événement populaire et planétaire organisé par un pays qu’il accuse de perpétrer un « génocide » contre les musulmans ouïghours du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine. Bien que symbolique, ce boycott diplomatique représente un grave revers à la fois politique et diplomatique infligé aux autorités chinoises.
Les appels au boycott de ces olympiades hivernales s’étaient multipliés ces derniers mois en raison des nombreuses violations des droits humains en Chine, non seulement au Xinjiang mais aussi au Tibet et à Hong Kong. Déjà en mars dernier, l’administration Biden avait qualifié la répression contre les Ouïghours de « génocide ». Le mois dernier, le président américain avait déclaré qu’il étudiait la question d’un boycott diplomatique des JO de Pékin.
Le régime chinois dément formellement être responsable de violations des droits humaine au Xinjiang ou au Tibet. Peu après l’annonce de la Maison Blanche, Liu Pengyu, un porte-parole de l’ambassade de Chine à Washington, a qualifié cette décision d’être « contraire à l’esprit de la charte olympique ».
Ce lundi déjà, alors que l’annonce de Washington était imminente, le ministère chinois des Affaires étrangères avait mis en garde les États-Unis contre un tel boycott. « Je tiens à souligner que les Jeux Olympiques d’hiver ne sont pas une tribune pour des postures ou des manipulations politiques, avait avertit Zhao Lijian, l’un des porte-parole de ce ministère. Un boycott serait une fanfaronnade, une atteinte grave à l’esprit de la charte olympique, une provocation politique éhontée et un affront sérieux aux 1,4 milliard de Chinois. Si les Etats-Unis veulent à tout prix faire les choses à leur manière, la Chine prendra des contre-mesures fermes. »

L’Europe et les alliés attendus

« Nous espérons que nos alliés en Europe et peut-être aussi l’Australie vont suivre le même chemin, a souhaité lundi David Shullman, directeur du programme Global China du Conseil Atlantique. Une position commune adoptée par les démocraties serait de nature à envoyer un message beaucoup plus fort au sujet du caractère inacceptable des abus de la Chine qu’un effort isolé des États-Unis que Pékin dénoncerait comme une posture qui serait menée par la rivalité entre les États-Unis et la Chine. »
Le sénateur démocrate du New Jersey, Bob Menendez, président de la Commission des relations extérieures du Sénat, a, lui, estimé que la décision américaine constituait « une réponse forte à la campagne génocidaire menée par le Parti communiste chinois au Xinjiang. J’invite tous les alliés et partenaire qui partagent nos valeurs à se joindre aux États-Unis pour eux aussi adopter un boycott diplomatique. »
Pour Michael McCaul, chef de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, l’administration Bident doit maintenant exercer des pressions sur le Comité olympique pour qu’il « protège la liberté de parole de tous les participants » aux Jeux de Pékin. « Ces Jeux représentent une opportunité unique pour le Parti communiste chinois pour tenter de dissimuler leurs atrocités, y compris le génocide [au Xinjiang] et il appartient au monde libre de s’unir pour les rejeter. »
La présidente de la chambre des Représentants Nancy Pelosi a, quant à elle, déclaré qu’elle ferait en sorte que les élus se prononcent par un vote cette semaine sur le Uygur Forced Labour Prevention Act, un projet de loi qui, s’il est adopté, aurait pour conséquence de bloquer le commerce de tous les produits fabriqués au Xinjiang dans des conditions jugées inacceptables. Le Sénat américain a déjà adopté ce texte de loi en juillet dernier. « Comme je l’ai dit lorsque j’ai lancé un appel au boycott diplomatique en mai dernier, a lancé Nancy Pelosi, les trois décennies d’actes répressifs de Pékin démontrent que la communauté internationale ne peut plus donner à Pékin un chèque en blanc et en même temps espérer que sa conduite va changer. La communauté internationale doit maintenant parler de façon claire et d’une seule voix pour s’opposer à la répression contre les droits humains, que ce soit le génocide commis au Xinjiang ou encore sa longue campagne de répression menée contre le peuple tibétain ainsi que ses attaques contre les droits fondamentaux à Hong Kong et sur le continent chinois. »
L’Australie, le Canada et l’Europe étudient depuis plusieurs mois déjà l’éventualité de ce boycott. Lundi, un responsable britannique a indiqué que son gouvernement « n’a pas encore pris de décision. Mais nous partageons les mêmes inquiétudes. Nous sommes en train de réfléchir à ce que sera notre position. » Ce responsable qui s’exprimait de façon anonyme, a ajouté que ce sujet serait probablement débattu par les ministres des Affaires étrangères du G7 le week-end prochain à Liverpool au Royaume-Uni.
La France « va se coordonner » avec les autres pays de l’Union européenne sur ce dossier, a indiqué ce mardi l’Élysée. « Nous prenons bonne note du choix des Américains. Lorsque nous avons des préoccupations sur les droits de l’homme, nous le disons aux Chinois. »

Appels au boycott complet

Le sénateur Mitt Romney, qui avait dirigé comité d’organisation des JO d’hiver de Salt Lake City en 2002, a affirmé sur Twitter que ce boycott constituait « le bon message » à envoyer à Pékin, ajoutant même : « Plus jamais les JO ne doivent être attribués à un pays qui commet un génocide et viole de manière si flagrante les droits humains de ses propres citoyens. »

L’ancien chef de la diplomatie américaine sous Donald Trump, Mike Pompeo, a d’ailleurs, lui, appelé à un boycott complet des JO : « Le Parti communiste chinois se fiche complètement d’un boycott diplomatique, car, au bout du compte, ils accueillent tout de même les athlètes du monde entier. »

Par ailleurs, des élus du Congrès américain n’ont pas manqué de dénoncer les entreprises américaines qui versent des milliards de dollars en étant des sponsors des Jeux Olympiques tout en restant silencieux sur la situation au Xinjiang.
Pour Sophie Richardson, directrice pour la Chine de l’ONG Human Rights Watch, ce boycott représente « une étape cruciale pour confronter l’État chinois à ses crimes contre l’humanité ciblant les Ouïghours et les populations turcophones. Mais cela ne devrait pas être la seule action. Les États-Unis devraient maintenant redoubler d’efforts avec des États portés sur le sujet pour enquêter et déterminer les meilleures voies pour que les responsables de ces crimes rendent des comptes et que justice soit rendue aux survivants. »

Le CIO se réjouit d’une « décision purement politique »

Dans ses discussions avec ses alliés, l‘administration Biden n’a pas exercé de pressions sur eux pour les amener à décider eux aussi un tel boycott, ont indiqué deux responsables américains proches du dossier cités lundi par le New York Times. Mais, ont ajouté ces deux responsables, ces mêmes alliés savent bien que les États-Unis seraient déçus s’ils décidaient d’envoyer une délégation de hauts responsables politiques à Pékin.
Réagissant à cette annonce, le Comité International Olympique (CIO) a déclaré ce mardi 7 décembre qu’il respectait la décision américaine. Le CIO se réjouit que cette décision « politique » ne remette pas en cause la participation des sportifs américains. « La présence de responsables gouvernementaux et de diplomates est une décision purement politique pour chaque gouvernement, que le CIO, dans sa neutralité politique, respecte pleinement », a précisé un porte-parole de l’instance olympique lundi à l’AFP.
La Chine s’était vu confier l’organisation de ces jeux en 2015. Depuis cette date, la controverse n’a pas cessé de s’amplifier. Dernière péripétie en date, le scandale retentissant créé début novembre par les accusations de viol de la joueuse de tennis chinoise Peng Shuai contre l’ancien vice-Premier ministre Zhang Gaoli. Cet homme de 75 ans fut jusqu’en 2018 l’un des sept dirigeants les plus puissants de Chine, étant l’un des sept membres de la Commission permanente du Bureau politique du Parti. Zhang avait d’ailleurs joué un rôle important dans l’obtention par la Chine de l’organisation des Jeux d’hiver.
Ce scandale sans précédent en Chine a suscité un regain d’appels au boycott des JO de Pékin. En effet, depuis plus d’un mois, le doute continue de planer quant au sort réservé à Peng Shuai. La communauté internationale s’est largement inquiétée du silence de la joueuse et de ses apparitions suspectées d’être mises en scène par le gouvernement chinois. Récemment, Steve Simon, le directeur de l’Association du Tennis Féminin (WTA), a annoncé qu’aucun tournoi féminin n’aurait lieu en Chine en 2022.
Par Pierre-Antoine Donnet

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).