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JO de Pékin 2022 : le parlement européen appelle l'UE au boycott, la Chine excédée

Les Jeux olympiques d'hiver de Pékin auront lieu du 4 au 20 février 2022. (Source : QZ)
Les Jeux olympiques d'hiver de Pékin auront lieu du 4 au 20 février 2022. (Source : QZ)
La crise entre la Chine et l’Union européenne s’est fortement aggravée le 8 juillet dernier. Le Parlement de Bruxelles a appelé les responsables de l’Union européenne et aux États membres à refuser les invitations de Pékin pour les Jeux olympiques d’hiver de 2022, afin de protester contre les atteintes aux droits humains à Hong Kong et au Xinjiang.
Dans un texte adopté par 578 voix (29 contre et 73 abstentions), les eurodéputés ont exhorté la Commission, le Conseil et les États membres à « refuser les invitations de représentants gouvernementaux et de diplomates à assister aux Jeux olympiques d’hiver de Pékin 2022, à moins que le gouvernement chinois ne démontre une amélioration tangible de la situation des droits de l’homme à Hong Kong, dans la région du Xinjiang, au Tibet, en Mongolie-Intérieure et ailleurs en Chine. »
Le Parlement européen « condamne avec la plus grande fermeté la fermeture forcée du journal Apple Daily, le maintien du gel de ses actifs et les arrestations de ses journalistes, autant d’étapes franchies par la Chine dans le démantèlement de la société libre à Hong Kong et la fin définitive de la liberté des médias et de la liberté d’expression à Hong Kong », selon cette résolution qui n’a pas de force contraignante.
Le gouvernement de Hong Kong a sur le champ critiqué ce vote, le qualifiant de « démagogie » et « d’obstacle à une coopération mutuellement bénéfique entre la Chine et l’UE ».
Après l’interpellation de plusieurs de ses responsables et le gel de ses avoirs, l’Apple Daily, quotidien d’opposition de langue chinoise et depuis longtemps dans le collimateur de Pékin en raison de son soutien déclaré au mouvement pour la démocratie et de ses critiques récurrentes des dirigeants chinois, a été contraint de mettre la clef sous la porte après 26 ans d’existence et a fait paraître le 24 juin son dernier numéro.
Les eurodéputés demandent à la Commission européenne et aux États membres de « faire de la loi sur la sécurité nationale une priorité absolue de l’ordre du jour de toutes les réunions entre l’Union européenne et la Chine, y compris lors des consultations diplomatiques préparatoires à ces réunions ».
Cette loi, entrée en vigueur le 30 juin 2020, a été imposée par Pékin à Hong Kong pour reprendre la main sur ce territoire après le mouvement de contestation populaire de 2019. Elle menace ceux reconnus coupables de « collusion avec une puissance étrangère » de peines allant jusqu’à la prison à perpétuité.

« Représailles de la Chine »

L’initiative du Parlement européen a immédiatement suscité la colère des médias chinois. C’est une nouvelle illustration des tensions qui règnent entre Bruxelles et Pékin. « Le Parlement européen rassemble les idéologies les plus radicales et les plus extrêmes de la société occidentale, et fournit en même temps une scène pour des spectacles de toutes sortes de vices politiques qui font parler d’eux et se font remarquer », dénonce ainsi l’édition chinoise du très officiel Global Times. Le quotidien nationaliste, placé sous la tutelle du Quotidien du Peuple, accuse les parlementaires de ne chercher qu’à provoquer « un volume et un impact maximaux » tout en « ignorant la vérité, les responsabilités et les conséquences ».
Selon le journal, le Parlement européen a en réalité adopté des sanctions à l’identique des sanctions américaines contre les responsables de Hong Kong. Mais il est aussi « allé encore plus loin que les États-Unis en ce qui concerne les JO d’hiver ».
L’éditorialiste du Global Times affirme néanmoins que cet appel restera lettre morte : « La distance entre la résolution du Parlement européen et sa politique réelle à l’égard de la Chine est encore plus grande que l’écart entre les attitudes des Parlements et des gouvernements nationaux envers la Chine […]. Compte tenu des relations actuelles entre les pays européens et la Chine, il est très peu probable que leur résolution soit mise en œuvre. »
Les relations sino-européennes sont « mutuellement bénéfiques », poursuit l’éditorialiste chinois, qui conteste l’idée véhiculée par les eurodéputés selon laquelle le rapport de forces est en leur faveur. « Si l’Union européenne sanctionne de hauts fonctionnaires de Hong Kong et de la Chine, ils seront inévitablement, à leur tour, confrontés à des représailles de la Chine », assure-t-il.
Soulignant que les questions du Xinjiang et de Hong Kong relèvent « des affaires intérieures de la Chine », l’éditorialiste affirme que « l’époque où les États-Unis et l’Occident [pouvaient] se déchaîner gratuitement » est révolue. Dans ce contexte, si Washington et Bruxelles étaient déterminés à provoquer des tensions sur ces deux sujets, le journal clame : « Nous sommes prêts à accepter les conséquences de telles collisions. »
Journal d’informations internationales de qualité à son lancement en 1993, le Global Times profite volontiers de la vague d’orgueil national qui a accompagné l’émergence de la Chine sur la scène mondiale. Il se distingue par des éditoriaux nationalistes virulents, de style tabloïd, s’écartant du ton empesé du Quotidien du Peuple, organe du Parti communiste chinois, auquel il appartient. Ses prises de positions tranchées sont un indicateur des tendances les plus radicales dans les hautes sphères pékinoises. Sa diffusion a connu un développement fulgurant et le journal se dit maintenant numéro deux sur le plan national.

Accord suspendu sur les investissements

La crise entre Bruxelles et Pékin, elle, ne date pas d’hier. Elle avait connu une nouvelle étape avec le refus des eurodéputés d’entériner un traité sur la protection des investissements entre la Chine et l’Union européenne. Un accord négocié âprement pendant sept ans et conclu le 30 décembre 2020.
L’appel des eurodéputés inflige un revers majeur au gouvernement chinois qui espérait pouvoir compter sur des relations apaisées avec l’Union européenne pour contrebalancer les relations exécrables entre Pékin et Washington.
L’appel au boycott des eurodéputés ne porte que sur un boycott diplomatique. Cela veut dire que seuls les responsables politiques et diplomatiques de l’Union européenne sont invités à refuser de se rendre à Pékin pour assister aux Jeux d’hiver en 2022, les sportifs n’étant donc pas concernés.
Il n’empêche, cette idée fait son chemin, y compris aux États-Unis où les voix se multiplient pour exiger de l’administration Biden de faire la même chose. Tout ceci sur fond de déclarations de « génocide » qui serait perpétré par le gouvernement chinois contre la minorité musulmane des Ouïghours par les parlements de plusieurs pays, dont le Canada, le Royaume-Uni et la Belgique. Le parlement français est sur le point d’examiner une déclaration identique.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).