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Chine–Russie : Face à Biden, les limites du rapprochement entre Xi et Poutine

Le président chinois Xi Jinping et son homologue russe Vladimir Poutine au Kremlin à Moscou, le 5 juin 2019. (Source : National Interest)
Le président chinois Xi Jinping et son homologue russe Vladimir Poutine au Kremlin à Moscou, le 5 juin 2019. (Source : National Interest)
Il faut être deux pour danser le tango. Ces dernières semaines, Xi Jinping et Vladimir Poutine ne cessent de se parler au téléphone. Que se passe-t-il ? C’est tout simplement le produit de la confrontation idéologique aigüe que leur livrent à eux deux les États-Unis. Si le rapprochement entre la Chine et son immense voisin russe paraît évident, les choses sont loin d’être aussi simples.
L’histoire, tout le monde la connaît : tout couple traverse des périodes fastes et d’autres plutôt de vaches maigres. Il en va ainsi de la Chine et de la Russie qui ont connu des périodes d’amour puis de haine. En apparence, ce serait plutôt l’amour fou ces derniers temps. Quoique, à y regarder à deux fois, cela ne soit pas si sûr.
Lundi 28 juin, un communiqué commun sino-russe semblait mettre les points sur les i. Moscou et Pékin affirmaient leur volonté de renforcer leur entente et de promouvoir « un ordre international plus juste et plus démocratique » dans le but de contrebalancer les États-Unis et leur offensive idéologique.
À l’issue d’une récente visioconférence, le président Xi Jinping et son homologue russe Vladimir Poutine ont tenu à apporter un démenti : les deux pays ne cherchent nullement à mettre en place une nouvelle guerre froide ni une coalition militaire. À l’inverse, ont-ils affirmé, leurs relations bilatérales sont devenues « plus mûres, stables et solides », les deux pays étant désormais l’un pour l’autre des « partenaires prioritaires ».
Il n’empêche, ce deuxième sommet en distanciel en l’espace de quelques semaines entre les deux présidents et la longueur de leur communiqué visaient à l’évidence Joe Biden. Depuis son arrivée à la Maison Blanche en janvier dernier, la priorité des priorités pour le président américain est devenue la confrontation contre une Chine autoritaire et conquérante.
Deux semaines auparavant, le chef de l’État russe avait certes rencontré à Genève Joe Biden dans le but de trouver une relation plus stable entre la Russie et les États-Unis et, surtout, parvenir à se faire confiance. Le président américain avait présents à l’esprit les liens de plus en plus étroits entre Pékin et Moscou. N’oublions pas que Joe Biden avait, quelques semaines auparavant, qualifié Vladimir Poutine de « tueur ».
Le communique sino-russe vise donc Washington sans le dire : « Certains pays font usage de l’idéologie pour tracer des lignes, s’ingérer brutalement dans les affaires intérieures de pays souverains, imposer des sanctions unilatérales et bouleverser les bases légales de système des relations internationales, y compris dans le domaine du contrôle des armements. »
« Plus le monde devient turbulent, plus la Chine et à la Russie devront renforcer leur coopération stratégique », affirme encore ce communiqué. Face à cette adversité, les deux parties n’ont d’autre choix que d’approfondir leur coordination et leur coopération dans les domaines politique, sécuritaire, militaire, économique, énergétique et technologique. Leurs objectifs : « défendre leurs intérêts communs sur la scène internationale » et « poursuivre leur pratique d’un multilatéralisme authentique » afin de sauvegarder l’équilibre international, poursuit le communiqué de Xi Jinping et Vladimir Poutine. Et d’enfoncer le clou : « La Russie a besoin d’une Chine prospère et stable tandis que la Chine a besoin d’une Russie forte et gagnante. Chine et Russie se voient comme des partenaires prioritaires. »

Présence chinoise en Asie centrale

Pour Shi Yinhong, professeur de relations internationales à l’Université du Peuple à Pékin, cité par le South China Morning Post, tant que l’alliance occidentale conduite par les États-Unis se livre à une confrontation toujours plus virulente à l’encontre de la Chine et de la Russie, il est très naturel pour ces deux pays « d’éprouver le sentiment d’urgence de la nécessité impérieuse de resserrer leur relations qui en sont déjà à une quasi-alliance. […] Ces liens ne vont pas manquer de se resserrer encore davantage si la confrontation Chine-États-Unis et Russie-États-Unis devient encore plus tendue. »
Écho semblable auprès de Danil Bochkov, un expert au Conseil russe des Affaires Internationales, lui aussi cité par le quotidien de Hong Kong. « En réalité, affirme-t-il, il est rare que figure la mention de « partenaires prioritaires » dans des documents officiels, bien que les dirigeants de ces deux pays aient tendance à considérer le partenariat stratégique Russie-Chine comme une priorité pour les deux parties. » Dans une interview diffusée peu avant le sommet de Genève, Vladimir Poutine est ainsi allé jusqu’à défendre la politique menée par le gouvernement chinois contre la minorité musulmane des Ouïghours au Xinjiang.
Rappelons que Xi Jinping et l’homme fort du Kremlin se sont rencontrés plus de 25 fois et qu’ils se considèrent l’un l’autre comme leur « meilleur ami ». Les États-Unis ont plusieurs fois exprimé leurs inquiétudes, tout particulièrement à propos de leur coopération militaire et de leurs exercices conjoints. Mais il serait hasardeux d’affirmer que cette coopération pourrait aller jusqu’à cibler nommément les États-Unis.
Pour Shi, « cette coopération militaire aurait pour domaine une assistance russe à la Chine pour des équipements militaires de haute technologie. Mais je ne pense pas que la Russie en arrive à faire état de relations militaires conjointes à propos de Taïwan tout comme une assistance militaire chinoise contre l’Ukraine. La Chine et la Russie ne sont pas disposées à provoquer un conflit armé de grande envergure avec l’alliance occidentale conduite par les États-Unis. »
Selon Artyom Lukin, un professeur associé à l’Université russe Far Eastern à Moscou, il existe également des tensions dans les relations entre Moscou et Pékin à propos de la présence chinoise croissante en Asie centrale. « Mais jusqu’à présent, ces différends n’ont eu qu’une signification périphérique dans leur relation bilatérale. Pour ce qui concerne l’avenir proche, bien plus les rapproche que le contraire », estime le professeur.
Cependant, le poids économique de la Chine est sans commune mesure avec celui de la Russie, dont le PIB représente approximativement celui de l’Italie. La Chine, selon les prévisions généralement acceptées par les économistes occidentaux, devrait devenir la première puissance économique en PIB total devant les États-Unis aux alentours de 2028. La Russie n’est donc que le petit frère face à son imposant voisin chinois. Voici pourquoi Vladimir Poutine craint que Xi Jinping en arrive un jour à lui donner le « baiser de la mort ».
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).