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Chine : les eurodéputés gèlent l'accord sur l'investissement, une gifle pour Pékin

Le parlement européen "subordonne à la levée des sanctions par la Chine [son] examen de l'accord sur les investissements", selon la résolution votée le 20 mai 2021. (Source : La Croix)
Le parlement européen "subordonne à la levée des sanctions par la Chine [son] examen de l'accord sur les investissements", selon la résolution votée le 20 mai 2021. (Source : La Croix)
Ce jeudi 20 mai, par une majorité de 599 voix pour et 30 voix contre (58 abstentions), le parlement européen a décidé de geler pour une durée indéterminée l’examen du traité sino-européen sur les investissements conclu le 30 décembre dernier au terme de sept années de négociations acharnées. Un revers politique et diplomatique majeur pour le régime chinois.
L’accord global sur les investissements (Comprehensive Agreement on Investment, CAI), annoncé en fanfare par Pékin et Bruxelles, avait besoin d’un vote favorable du Parlement européen pour devenir une loi. Mais les eurodéputés ont voté pour ne même pas envisager ce feu vert tant que les sanctions chinoises imposées contre des personnalités européennes ne seront pas annulées. Le Parlement « subordonne à la levée des sanctions par la Chine [son] examen de l’accord sur les investissements », est-il indiqué dans cette résolution.
La motion a en fait réuni l’ensemble des grands partis représentés au parlement européen, y compris le Parti Populaire Européen (PPE), le groupe des socialistes et démocrates, de même encore que les groupe Renaissance et les Verts, dans une unité rarement vue à Bruxelles.

L’UE sous-estimée

« La partie chinoise espérait désespérément cet accord CAI, mais elle a fait un mauvais calcul et continue encore aujourd’hui de sous-estimer la détermination du parlement européen à défendre les intérêts de l’Europe et ses valeurs », a déclaré à l’issue du vote l’eurodéputé allemand Reinhard Bütikofer qui est l’une des personnalités ciblées par les sanctions chinoises.
Les sanctions européennes ont été adoptées le 22 mars contre quatre responsables du Parti et une organisation chinoise en raison de la répression du gouvernement de Pékin à l’encontre de la minorité ouïghoure dans au Xinjiang dans le nord-ouest du pays et l’imposition d’une loi sur la sécurité nationale à Hong Kong. En réponse à ces sanctions, Pékin avait le même jour annoncé un arsenal de « contre-sanctions » dont l’ampleur avait largement dépassé celle des mesures européennes.
Parmi les personnalités ciblées, figurent cinq membres du Parlement européen, de même que la totalité de la Commission politique et sur la sécurité, une institution ayant rang d’ambassadeur, ainsi encore que des chercheurs spécialistes de la Chine. Pékin cherchait à l’évidence à intimider l’Union européenne, mais c’est exactement l’inverse qui s’est produit.

« Terreur politique »

La motion adoptée jeudi ne s’arrête pas là. Elle « déplore le manque d’unité au sein du Conseil de l’Europe concernant les mesures à prendre face à la répression contre la démocratie à Hong Kong ». Elle invite les dirigeants européens à adopter des conclusions concernant Hong Kong et exige que les 27 pays membres de l’UE « suspendent les traités sur les extraditions avec la Chine ».
Elle demande en outre à Bruxelles de mettre au point des plans pour interdire l’importation sur le sol européen de marchandises qui pourraient avoir été produites avec l’aide du travail forcé dans le Xinjiang, région où un système concentrationnaire érigé par les autorités chinoises pourrait détenir plus d’un million de Ouïghours et d’autres membres de minorités ethniques de confession musulmane.
La Chine nie avec véhémence ces accusations. Elle affirme que ces camps sont des « centres de formation professionnelle » et déclare que les accusations de génocide sont « des inventions malveillantes ».
La résolution propose en outre « des mesures ciblées » pour « faire face de façon appropriée aux menaces chinoises dans le domaine de la cybersécurité ».
Ce jeudi, un groupe de 55 activistes chinois en exil de premier plan ont demandé à l’Union européenne d’être encore plus ferme à l’égard de la Chine. Ils ont plus spécifiquement appelé les dix pays membres de l’UE qui ont encore un traité d’extradition avec la Chine de l’annuler. « Non seulement de tels accords bilatéraux avec la Chine légitiment un système judiciaire qui ne respecte pas les normes de base des lois internationales, mais ils jouent un rôle pour les efforts du Parti communiste chinois visant à exporter son régime et la terreur politique à l’étranger », souligne une lettre de ce groupe adressée aux dirigeants européens.

Découplage économique

Avant le vote de la résolution du parlement européen, le gouvernement de Pékin avait bien tenté de déminer le terrain. « Le traité est équilibré, mutuellement bénéfique et un accord gagnant-gagnant. Ce n’est pas un cadeau de l’une des parties à l’autre, mais un traité mutuellement bénéfique. Une approbation rapide est dans l’intérêt des deux parties », avait déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian. La Chine, avait-il ajouté, « espère que l’Union européenne va réfléchir et se garder de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine ». Peine perdue donc.
Le 5 mai encore, la chancelière allemande Angela Merkel avait défendu l’accord. « Malgré toutes les difficultés qui vont certainement apparaître en ce qui concerne la ratification » de cet accord, il s’agit « d’une initiative très importante qui ouvre une plus grande réciprocité dans l’accès à nos marchés réciproques », a estimé la chancelière lors d’un colloque organisé par l’union conservatrice allemande CDU/CSU. Rappelons que la Chine est le premier marché à l’exportation de l’Allemagne.
Le traité avait nécessité plus de sept ans de négociations âpres et plus de trois douzaines de sessions de négociations. Le régime de Xi Jinping y voyait un outil politique majeur pour espérer contrebalancer les pressions américaines. Même les milieux d’affaires européens y avaient vu un accord souhaitable.
Selon Wolfgang Niedermark, membre exécutif de la Fédération des industries allemandes, « bien sûr, nous devons être réalistes et ce n’est pas ce traité qui va changer le monde. Mais dire que nous sommes déçus est un euphémisme. Le dragon continuera de nous lancer des défis et, à la fin de la journée, nous serons obligés de trouver des solutions : nous ne pouvons pas nous engager dans le découplage de nos économies. La Chine est trop grande et trop importante pour simplement imaginer que nous puissions nous en éloigner. »
Quelle qu’ait été la décision du Parlement européen ce jeudi, le traité avait en réalité très peu de chances de voir le jour car il devait encore être ratifié par les 27 pays membres de l’UE. Un pari quasi insurmontable.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).