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La France participe à des exercices militaires avec le Japon pour contrer la Chine

Le porte-hélicoptères français Tonnerre, l'un des deux navires tricolores impliqués dans les exercices maritimes conjoints avec le Japon en mer de Chine orientale. (Source : SCMP)
Le porte-hélicoptères français Tonnerre, l'un des deux navires tricolores impliqués dans les exercices maritimes conjoints avec le Japon en mer de Chine orientale. (Source : SCMP)
Des navires de la France, du Japon, des États-Unis et de l’Australie ont commencé le 11 mai des exercices militaires conjoints en mer de Chine orientale. Les premiers du genre dans une zone stratégique, suscitant des réactions de Pékin qui oscillent entre la colère et l’ironie.
Pour la première fois, des militaires français ont participé au Japon à des manœuvres maritimes et terrestres avec des troupes nippones. Ces exercices ont commencé respectivement les 11 et 14 mai. Ils témoignent d’une coopération militaire accrue de l’Archipel avec les nations européennes, en plus de celle, traditionnelle, avec les États-Unis, sur fond d’inquiétudes croissantes face à la montée en puissance de la Chine dans la région Indo-Pacifique.
Pékin ne s’y est pas trompé, fustigeant ces exercices dans un éditorial du 13 mai du quotidien anglophone China Daily, voix du pouvoir, en parlant d’une « erreur potentiellement coûteuse si les États-Unis et leurs alliés évaluent mal la situation et pensent qu’ils peuvent utiliser la coercition pour forcer la Chine à renoncer à défendre ses intérêts fondamentaux ».

Simulation de combat urbain

Les deux jours d’exercices terrestres ont mobilisé une soixantaine de soldats de la Légion étrangère, des troupes de marine ou du génie. Ils ont manœuvré avec la brigade d’intervention amphibie (ARDB) des forces japonaises d’autodéfense (FAD) et des marines américains.
Transporté par hélicoptère, le contingent a simulé un assaut et du combat urbain au camp d’entraînement des FAD de Kirishima, au cœur de Kyushu, dans le sud-ouest du Japon, selon un scénario de reprise d’une île aux mains d’une force ennemie.
Ces manœuvres inédites font partie de l’exercice ARC21, commencé le 11 mai à la base des FAD d’Ainoura, dans le département de Nagasaki au sud-ouest de l’archipel. L’exercice, qui s’est achevé le 16 mai, a également mobilisé des opérations navales en mer de Chine orientale, à vocation militaire et humanitaire, ainsi que de surveillance des activités de la Corée du Nord, dans le cadre de l’application des sanctions de l’ONU en réponse à ses programmes nucléaire et de développement de missiles.

Près des îles Senkaku-Diaoyu, disputées entre Tokyo et Pékin

Une dizaine de navires des trois pays et de l’Australie ont participé au volet maritime. La force française inclut la Mission Jeanne d’Arc 2021 (MJA), axée sur la formation des élèves officiers de marine, composée du porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre et de la frégate Surcouf.
« Il est bon de voir les FAD sortir de leur coquille et traiter avec des armées étrangères. Cela améliore leur confiance et permet des échanges de compétences », a observé le colonel retraité des marines américain, Grant Newsham, qui a contribué à la formation, en 2018, de la brigade d’intervention amphibie japonaise.
L’ARC21 avait aussi une forte portée politique. Les manœuvres se sont tenues non loin des Senkaku, îlots inhabité, administrés par le Japon en mer de Chine orientale, revendiqués par Pékin, qui les appelle Diaoyu. « L’exercice ARC21 est un moyen de dissuasion face au comportement de plus en plus agressif de la Chine dans la région », juge Takashi Kawakami, directeur de l’Institut d’études internationales de l’université Takushoku, cité le 14 mai par le quotidien Les Echos.

« Voisins » de la France

« La France est un partenaire qui partage avec le Japon la vision d’un Indo-Pacifique libre et ouvert », rappelle le ministre japonais de la Défense Nobuo Kishi. L’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine française, expliquait en novembre 2020, en prélude à l’ARC21, ce que l’exercice véhicule : « un message à la Chine », à savoir « l’importance de la liberté de navigation et du respect du droit international. Nous faisons front commun sur ce point avec nos partenaires que sont le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde. »
« Les nations de l’Indo-Pacifique sont nos voisins », rappelle l’amiral Vandier car la France possède des territoires dans l’océan Indien et le Pacifique Sud, où sont déployés en permanence 8 000 militaires. En 2018, en Australie, le président Emmanuel Macron avait évoqué un « nouvel axe Indo-Pacifique » prônant « une approche inclusive et stabilisatrice, fondée sur la règle de droit et le refus de toute forme d’hégémonie ».
Avant d’arriver au Japon, la Mission Jeanne d’Arc avait participé aux exercices La Pérouse dans le golfe du Bengale avec des navires américains, australiens, indiens et japonais. Par la suite, alors que le Tonnerre passait au sud de Taïwan pour venir au Japon, le Surcouf a opté pour le détroit de Taïwan, au nord de l’île.
« Les Chinois et les Taïwanais étaient présents. Nous sommes passés au milieu, selon une route en cohérence avec le droit international », assure le capitaine de vaisseau, Arnaud Tranchant, commandant de la MJA, qui considère par ailleurs qu’il est « important, en 2021, pour les jeunes officiers d’avoir une connaissance fine de cette région ».

La nouvelle présence allemande

Les navires français font régulièrement escale dans l’archipel nippon. En 2017, les forces japonaises ont participé à un exercice de débarquement sur les îles de Guam et Tinian, au cœur du Pacifique, aux côtés de troupes américaines, britanniques et françaises – alors transportées par le bateau tricolore, le PHA Mistral. D’autres nations européennes s’impliquent en Indo-Pacifique avec les Japonais.
La venue au Japon de la MJA doit être suivie, en 2021, de celle de la frégate allemande Hessen. Berlin a exprimé, en 2020, son souhait d’être plus présent dans l’Indo-Pacifique et a participé en avril à sa première rencontre « 2+2 » avec le Japon, qui a réuni leurs ministres de la défense et des affaires étrangères. Puis l’archipel accueillera en 2022 le groupe aéronaval britannique Queen Elizabeth, accompagné d’un navire néerlandais.
« Les nations européennes s’impliquent de plus en plus dans la région, en réaction à la récente montée en puissance de la Chine et à son agressivité en mer de Chine méridionale », analyse Akitoshi Miyashita, professeur en relations internationales à l’université Sophia, à Tokyo, également cité par Les Echos.
Mais ces coopérations restent des partenariats à échelle réduite et sont souvent cantonnées au domaine maritime, plus simple à gérer. « Nous sommes souvent dans l’effet d’annonce », fait remarquer un expert, cité par le journal économique, qui souligne les difficultés administratives et de coordination pour organiser des exercices sur le territoire japonais.

« Aucun impact » sur la Chine, selon Pékin

Pour Pékin, la présence croissante de militaires de différentes nations dans la région Indo-Pacifique pourrait favoriser un élargissement informel du dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad). Ce cadre réunit aujourd’hui les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. La Chine y voit un « OTAN asiatique », dirigé contre elle.
Le 13 mai, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Hua Chunying a assuré que ces exercices n’avaient « aucun impact » sur la Chine. « Quelqu’un pense-t-il sérieusement que ces exercices conjoints qui ont pour objectif de mettre la pression sur la Chine pourraient réellement faire lui peur ? », a-t-elle lancé, citée par le quotidien hongkongais South China Morning Post.
« Parmi ces quatre pays, il y a ceux qui ont développé une nature d’agression et d’invasion comme nous avons pu le voir dans l’histoire, a ajouté la porte-parole de la diplomatique chinoise. Plutôt que de se livrer à une introspection et de faire usage de leur puissance pour contribuer à la paix régionale, ils ciblent la Chine pour renforcer leur attitude belliqueuse. Quelle est leur intention ? Ces soi-disant exercices conjoints n’ont aucun impact sur la Chine et ne fait que leur coûter du gasoil. J’espère qu’ils feront usage du temps et des ressources pour leur propre pays et contribueront plutôt à la lutte contre la pandémie du coronavirus. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).