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Après la COP26, vers une détente entre la Chine et les États-Unis ?

Le président chinois Xi Jinping et son homologue américain Joe Biden. (Source : I24News)
Le président chinois Xi Jinping et son homologue américain Joe Biden. (Source : I24News)
L’accord sur le climat adopté à Glasgow ce samedi 13 novembre a suscité de nombreuses déceptions. Pas d’engagement sur la sortie des énergies fossiles ni sur le financement des « pertes et préjudices » subis par les pays en développement, victimes de catastrophes climatiques inévitables. Cependant, cette quinzaine écossaise avait accouché d’un autre accord surprise entre la Chine et les États-Unis sur la lutte contre le changement climatique. Une annonce qui s’est doublée d’un prochain sommet virtuel entre Joe Biden et Xi Jinping prévu ce lundi 15 novembre, ajouté à un narratif chinois moins agressif qu’à l’accoutumée. Les relations entre les deux superpuissances du monde s’acheminent-elles vers une détente ?
La COP26 avait mal commencé entre Washington et Pékin. Présent à Glasgow au début de la Conférence onusienne sur le climat la semaine dernière, Joe Biden avait qualifié de « grande erreur » l’absence à la COP26 de son homologue chinois Xi Jinping, l’accusant d’avoir « tourné le dos » à la crise climatique. Et puis l’annonce a pris tout le monde par surprise ce mercredi 10 novembre. Le premier et le deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre vont faire front commun. La Chine et les États-Unis se sont mis d’accord sur une « déclaration conjointe sur le renforcement de l’action climatique, a annoncé à la presse l’émissaire chinois pour le climat, Xie Zhenhua. Les deux parties reconnaissent l’écart existant entre les efforts actuels et les objectifs de l’accord de Paris. »
Dans un tweet, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, présent à Glasgow, a salué cet accord. Il voit y « un pas important dans la bonne direction. [Cet accord] montre que la coopération est la seule voie pour la Chine et les États-Unis », alors que les tensions entre les deux pays ont récemment semblé déborder sur le dossier de la diplomatie climatique.

« En tant que deux principales puissances mondiales, la Chine et les États-Unis doivent assumer la responsabilité de travailler ensemble et avec les autres parties pour combattre le changement climatique », a encore déclaré l’émissaire chinois.
S’exprimant peu après son homologue de Pékin, l’émissaire américain pour le climat John Kerry s’est félicité de cette « feuille de route » destinée à définir « la façon dont nous allons limiter le réchauffement et travailler ensemble à relever les ambitions climatiques ».

Objectifs de l’Accord de Paris

Dans le texte mis en ligne, les deux pays s’engagent à œuvrer à la COP26 pour « une issue ambitieuse, équilibrée et inclusive sur l’atténuation (baisse des émissions), l’adaptation et le soutien » financier. Plus globalement, ils s’engagent à « prendre des mesures renforcées pour relever les ambitions pendant les années 2020 », en réaffirmant leur attachement aux objectifs de l’accord de Paris, un réchauffement limité « bien en deçà » de 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, et si possible à 1,5 °C. Or le monde se trouve toujours selon l’ONU sur une trajectoire « catastrophique » de réchauffement de 2,7 °C.
Le Premier ministre britannique Boris Johnson, hôte de la conférence de Glasgow, venait à peine de lancer un appel à une « impulsion forte » dans les discussions, assurant qu’il n’y aurait « pas d’excuses » pour échouer, lorsque Pékin et Washington ont annoncé une « déclaration conjointe sur le renforcement de l’action climatique ». « Ce document contient des déclarations fortes sur les études alarmantes des scientifiques, la réduction des émissions de carbone, et le besoin urgent d’accélérer les actions pour y parvenir, a déclaré John Kerry aux journalistes. Il s’engage à une série d’actions importantes sur cette décennie, au moment où elles sont nécessaires. »
« Nous pouvons tous nous engager sur la voie d’un développement vert, à faibles émissions de carbone et durable », a déclaré de son côté Xi Jinping, au cours d’une conférence virtuelle jeudi en marge du sommet du Forum de Coopération économique Asie-Pacifique (Apec), sans mentionner explicitement cet accord.
« Au-delà de la COP, c’est important pour le monde », a de son côté déclaré à l’AFP le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans. Ce texte a cependant provoqué des réactions mitigées, notamment des pays pauvres, qui insistent pour que les plus riches tiennent leur promesse d’aide.

Rencontre virtuelle

Autre signe d’un réchauffement entre Pékin et Washington : une première rencontre virtuelle entre Joe Biden et Xi Jinping aura lieu ce lundi 15 novembre, selon la Maison Blanche. Les deux hommes se sont déjà téléphoné à deux reprises, mais ce sommet sera l’occasion pour les deux superpuissances de poursuivre le dialogue, au moment où les relations entre Pékin et Washington sont au plus bas sur toute une série de sujets, du commerce aux droits humains en passant par les ambitions régionales de la Chine. Le principe de cette rencontre, la première en visioconférence depuis l’arrivée au pouvoir du démocrate en janvier, avait été annoncé début octobre par la Maison Blanche.
Interrogé ce jeudi 11 novembre lors d’un point de presse, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Wang Wenbin a rappelé que les deux chefs d’État avaient « convenu de maintenir de fréquents contacts par des moyens multiples ». « Actuellement, la Chine et les États-Unis sont en étroite communication à propos des arrangements spécifiques pour le sommet des dirigeants », a-t-il ajouté.
C’est à Anchorage, en Alaska, que les États-Unis et la Chine avaient organisé en mars leur premier face-à-face depuis l’arrivée à la Maison Blanche de Joe Biden. La rencontre avait donné lieu au déballage inédit des profonds désaccords entre les deux premières puissances mondiales.
Les tensions sont encore montées d’un cran ces dernières semaines au sujet du sort de Taïwan, que les autorités chinoises considèrent comme une province qui doit revenir dans leur giron.

« Remettre les relations sur les rails »

Joe Biden assure aussi vouloir coopérer avec les autorités chinoises sur certains défis communs comme le climat. Mais face à lui, il parlera désormais à un homme au sommet de sa puissance dans son pays. Une résolution approuvée à l’issue du plénum du Parti communiste loue la pensée du président chinois, incarnation du « meilleur de la culture et de l’ethos chinois de [son] temps », et va lui permettre de conserver sa place lors du XXe congrès, prévu en 2022.
« Les deux dirigeants discuteront de la manière à employer pour gérer de façon responsable la compétition de même que de l’utilité de coopérer là où nos intérêts se retrouvent, a déclaré ce vendredi 12 novembre la porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki. Le président Biden ne cachera pas les intentions et les priorités des États-Unis et sera clair et franc sur nos inquiétudes. »
Ce samedi 13 novembre, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a déclaré au secrétaire d’État américain Anthony Blinken que les États-Unis devaient s’abstenir d’envoyer « de mauvais signaux » en direction de Taïwan. « Ce sommet n’est pas seulement un événement majeur pour les relations sino-américaines, mais aussi un événement majeur pour les relations internationales, a-t-il précisé lors d’un entretien téléphonique cité par le South China Morning Post. Les peuples des deux pays de même que la communauté internationale espèrent que cette rencontre saura accomplir des résultats pour le bénéfice des deux pays. [Cet entretien] doit être l’occasion de remettre les relations sino-américaines sur les rails d’un développement sain et stable. »
Mais si les relations sino-américaines semblent légèrement se réchauffer, Xi Jinping ne parait pas disposé à baisser la garde. Ce jeudi, même s’il s’est dit « prêt à travailler » avec les États-Unis, le président chinois a mis en garde contre un contexte digne de la « guerre froide », au sein de la région Asie-Pacifique, où les Américains-Unis cherchent à contrer les ambitions de Pékin.
Il reste donc à voir jusqu’où ira cette détente, tant sont nombreux et compliqués les antagonismes politiques, géopolitiques, stratégiques et technologiques entre les États-Unis et la Chine.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).