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Chine-États-Unis : le fiasco du dialogue d’Anchorage lourd de conséquences pour l’avenir

À gauche, la délégation chinoise emmenée par Yang Jiechi, chef du bureau des Affaires étrangères du Parti communiste chinois et le ministre Wang Yi. Face à eux, la délégation américaine emmenée par le secrétaire d'État Anthony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, le 18 mars 2021 à Anchorage en Alaska. (Source : Medium)
À gauche, la délégation chinoise emmenée par Yang Jiechi, chef du bureau des Affaires étrangères du Parti communiste chinois et le ministre Wang Yi. Face à eux, la délégation américaine emmenée par le secrétaire d'État Anthony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, le 18 mars 2021 à Anchorage en Alaska. (Source : Medium)
Le premier dialogue de haut niveau entre la Chine et les États-Unis depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden le 20 janvier dernier s’est tenu à Anchorage, en Alaska ce jeudi 18 mars. La rencontre s’est soldée par un fiasco intégral, mettant en lumière un fossé plus béant que jamais entre les deux grandes puissances de la planète. Un épisode dramatique aux conséquences futures encore difficiles à cerner, mais peut-être incalculables.
Tout à commencé dès le démarrage de ces entretiens, lorsque le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a pris la parole en premier et accusé la Chine de « menacer » la « stabilité mondiale ». « Nous allons discuter de nos profondes inquiétudes au sujet des actes de la Chine s’agissant du Xinjiang, de Hong Kong, de Taïwan, des cyberattaques contre les États-Unis et de la coercition économique contre nos alliés », a lancé le chef de la diplomatie américaine devant les caméras, alors que le protocole prévoyait plus de discrétion pendant les quelques minutes traditionnellement ouvertes à la presse. « Toutes ces actions menacent l’ordre établi sur des règles qui permettent de maintenir la stabilité mondiale », a ajouté le chef de la diplomatie américaine, qui a aussi reproché à la Chine son manque de transparence dans les recherches sur l’origine du Covid-19.
S’en est suivi un torrent d’accusations d’une violence inouïe de la part de Yang Jiechi, le plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la diplomatie. « Les États-Unis font usage de la force militaire et de l’hégémonie financière pour réduire au silence les autres pays, a-t-il dit, rouge de colère. Ils abusent de soi-disantes notions de sécurité nationale pour faire obstacle aux échanges commerciaux normaux et inciter certains pays à attaquer la Chine. »
Le monologue du responsable chinois a duré plus de quinze minutes devant la presse médusée. Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a ensuite enfoncé le clou. Les dernières sanctions américaines adoptées pour punir la Chine pour sa reprise en main de Hong Kong sont inacceptables, a-t-il dénoncé, ajoutant que les propos de Anthony Blinken constituaient une entrave au protocole adopté d’un commun accord pour ce face-à-face. « Ce n’est pas comme cela que l’on accueille ses invités », a-t-il observé.
Yang Jiechi a encore relevé que sur le chapitre des droits de l’homme, les États-Unis présentaient un piètre visage avec les Noirs américains qui sont « assassinés ». Ce à quoi le conseiller américain pour la sécurité nationale Jake Sullivan a répliqué que les États-Unis ne cherchaient pas le conflit avec la Chine. Mais, a-t-il ajouté, « nous respecterons toujours nos principes pour notre peuple et pour nos alliés ».
En outre, le dirigeant chinois a expliqué que Washington devait abandonner « sa mentalité de guerre froide » et celle toute aussi présente de « confrontation ». « Les États-Unis ne représentent pas l’opinion publique internationale et ce n’est pas le cas non plus du monde occidental », a-t-il lancé.

Dîner annulé

Après cet échange surréaliste qui a duré plus d’une heure, les deux délégations se sont mutuellement accusées d’avoir dérogé au protocole diplomatique convenu. La partie américaine a fait savoir à la presse que l’accord conclu avec Pékin prévoyait une prise de parole de deux minutes chacune. « La délégation chinoise semble être arrivée avec l’intention délibérée de provoquer un coup d’éclat, avec pour but de dramatiser la situation, a expliqué un responsable américain à la presse rassemblée dans un hôtel d’Anchorage où s’est déroulé ce face-à-face. Des exposés diplomatiques exagérés sont souvent destinés à un usage intérieur. »
Malgré cet épisode, les deux délégations sont plus tard convenues de poursuivre leurs entretiens. Deux sessions ont eu lieu ce jeudi dans la soirée et une troisième était prévue pour vendredi matin 19 mars, le tout à huis clos. Signe des fortes tensions entre les deux délégations, un dîner prévu dans la soirée de jeudi n’a pas eu lieu.
Un responsable de haut rang de l’administration américaine a expliqué à la presse que la première session avait permis des échanges « significatifs, sérieux et directs », se prolongeant largement au-delà des deux heures prévues à l’origine. « Nous avons fait usage de la session comme nous l’avions prévu pour expliquer nos intérêts et nos priorités et nous avons entendu la même chose de nos partenaires chinois », a souligné ce responsable cité par l’agence Reuters.

Au-delà d’une simple guerre froide

Les autorités chinoises avaient présenté ce face-à-face comme un « dialogue stratégique » mais la Maison Blanche avait fait savoir que non. Pour elle, il s’agissait d’un entretien suivi d’aucun autre s’il ne débouchait pas sur des « résultats substantiels ». Dans ces conditions, le souhait de Pékin de voir se tenir un jour un sommet entre le président Xi Jinping et son homologue américain Joe Biden est-il totalement hors de propos ? Un occasion de rencontre entre les deux présidents pourrait surgir bientôt. En effet, Biden prévoit d’organiser un sommet sur le climat le mois prochain à Washington et Xi pourrait bien y participer, selon des sources diplomatiques.
Le rendez-vous d’Anchorage a démontré que Pékin et Washington ne sont en réalité plus d’accord sur rien. Il semble signaler une escalade entre les deux rivaux qui va au-delà d’une simple guerre froide et qui ouvre peut-être le début d’une période de dangers, d’incertitudes et de risques inédits entre la Chine et les États-Unis.
Et comme par un hasard de calendrier, le chef de la diplomatie chinoise accueille ce lundi 22 mars à Pékin son homologue russe Serqueï Lavrov pour « partager des opinions sur des questions internationales d’un intérêt mutuel », ceci dans un contexte de reprise de guerre froide entre Américains et Russes après que Joe Biden a accusé Vladimir Poutine d’être « un tueur » et de le menacer « d’en payer le prix ».
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).