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Pour les États-Unis de Biden, la Chine reste "le plus grand défi" du siècle

S'il a tourné le dos à la rhétorique des sanctions de Donald Trump, le président américain Joe Biden n'apaise pas la tension avec la Chine. (Source : VOANEWS)
S'il a tourné le dos à la rhétorique des sanctions de Donald Trump, le président américain Joe Biden n'apaise pas la tension avec la Chine. (Source : VOANEWS)
Les dernières déclarations du président américain Joe Biden, à l’occasion de son premier discours de politique étrangère, ne laissent plus de place au doute. L’affrontement entre la Chine et les États-Unis enclenché par son prédécesseur Donald Trump est parti pour durer très longtemps, avec Taïwan parmi les contentieux les plus explosifs.
Le 26 février dernier, le locataire de la Maison Blanche a donné le ton des futures relations sino-américaines. L’Union européenne et les États-Unis, a déclaré Joe Biden, doivent se préparer à une « compétition stratégique de longue haleine » avec la Chine. Elle sera « intense », a-t-il même insisté, soulignant que les Américains et leurs alliés devront « tenir bon » pour défendre la démocratie face à un autoritarisme qui gagne du terrain à travers le globe.
« Il nous faut nous dresser contre les abus et la contrainte du gouvernement chinois qui sabotent les fondements du système économique mondial », a affirmé le président dans des propos largement ignorés par les médias européens, ajoutant que Washington « s’opposera à ceux qui monopolisent et banalisent la répression ». Le ton de la rivalité entre les deux plus grandes puissances du monde est donné.
Les espoirs manifestés par Xi Jinping d’un retour à des relations apaisées entre son pays et les États-Unis avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en seront douchés pour de bon. Juste avant le discours de ce dernier, Michael McCaul, sénateur républicain et chef de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, a invité le président américain à adopter « des actes courageux et significatifs » face à la Chine : « Les réprimandes et le dialogue sévère ne sont plus suffisants. »
Comme pour enfoncer le clou, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a déclaré ce mercredi 3 mars que les relations de Washington avec Pékin représentaient la priorité de la politique étrangère du président Biden et que la Chine constituait « le plus grand test géopolitique » de ce siècle.

Le « tabou » de l’alliance sino-russe

Les ministres de la Défense des 30 pays membres de l’OTAN se sont réunis il y a deux semaines en conférence virtuelle, leur première réunion depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Au cœur de leurs discussions, leur approche commune face à la Chine et à la Russie. Le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg en a profité pour souligner devant la presse le 15 février que les pays membres de l’Alliance devaient « adopter une approche plus globale » pour prendre en compte les nouveaux défis posés par les Chinois et les Russes.
C’est de Pékin qu’est venu un signal important sur ses intentions militaires. Le ministère chinois de la Défense a déclaré ce lundi 1er mars que la Chine n’avait pas l’intention de forger une alliance armée avec la Russie contre l’OTAN. « Les relations militaires sino-russes représentent une force importante dans le cadre de la coopération stratégique entre les deux pays, a expliqué le ministère. Les deux parties adhèrent au principe de non-alignement, de la non-confrontation et de leur volonté de ne pas prendre pour cible de pays tiers, ce qui diffère complètement de l’alliance militaire entre certains pays. »
Ces mots viennent clarifier les intentions de Pékin après des propos ambigus tenus en octobre à Moscou par Vladimir Poutine. L’homme fort du Kremlin avait affirmé « ne pas exclure » une alliance militaire entre son pays et la Chine. C’était là la première déclaration russe dans ce sens depuis que le pacte avec Pékin de l’après-guerre s’était effondré dans les années soixante, ouvrant la voie à une longue période de brouille et d’acrimonie entre la Chine et l’Union soviétique.
Pour l’expert chinois des questions militaires basé à Shanghai, Ni Lexiong, cité par le South China Morning Post, la simple mention d’une alliance militaire avec la Russie est un « sujet tabou » : « Aujourd’hui, il n’y a que les pays qui veulent livrer une guerre pour annoncer des plans pour des alliances militaires. Vous vous mettez vous-mêmes dos au mur en faisant cela, abandonnant du même coup toute possibilité pour la négociation. Ceci n’est pas dans l’intérêt de la Chine. »
Les relations entre les deux grands voisins se sont néanmoins considérablement réchauffées depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping fin 2012, qui allait se donner un « mandat à vie ». Ce dernier a depuis qualifié à de nombreuses reprises Vladimir Poutine, lui aussi installé dans un « pouvoir sans fin », de « meilleur ami ».

Taïwan et l’ambiguité stratégique américaine

Mais c’est sur l’épineuse question de Taïwan que vont se concentrer désormais les relations sino-américaines. « L’île rebelle », seul exemple de démocratie vivante dans le monde chinois, est pour Washington un maillon stratégique dans son dispositif géopolitique et militaire en Asie-Pacifique. de son côté, Pékin menace régulièrement de recourir à la force pour parvenir à la réunification de l’ancienne Formose au continent chinois.
Sur ce sujet, Herbert Raymond McMaster, ex-conseiller de Donald Trump pour la Sécurité nationale, a soulevé un point important devant la Commission des affaires militaires du Sénat américain. Il n’est pas dans l’intérêt des États-Unis de lever « l’ambiguïté stratégique » traditionnellement observée par Washington sur ses intentions à l’égard de Taïwan en cas de conflit avec la Chine, a souligné ce général à la retraite, ajoutant qu’elle reste « adéquate » et « suffit pour envoyer un signal fort à la Chine ». Selon lui McMaster, « le message à la Chine doit être : « Hey, vous pouvez supposer que les États-Unis ne répondront pas, mais rappelez-vous, c’était là la supposition qui avait été faite en juin 1950, lorsque la Corée du Nord avait envahi la Corée du Sud ». »
On connaît la suite : l’armée américaine s’était massivement déployée sur le sol coréen contre les forces armées chinoises dans ce conflit qui fit plus de 800 000 morts parmi les militaires coréens, nordistes et sudistes, et 57 000 parmi les militaires des forces de l’ONU. Le nombre de victimes civiles est estimé à 2 millions et le nombre de réfugiés à 3 millions. La péninsule a été dévastée par les combats et les bombardements. Séoul fut détruite à plus de 70 %.
Cependant, lundi 1er mars, deux membres du Congrès américain, Tom Tiffany, représentant républicain du Wisconsin à la Chambre, et Scott Perry, élu républicain de Pennsylvanie, ont déposé un projet de loi demandant aux États-Unis de mettre fin à leur politique « d’une seule Chine » et de restaurer des liens officiels avec Taïwan. Dans un communiqué de presse, Tom Tiffany a expliqué qu’il était temps de rompre avec « le mensonge réitéré par Pékin sur le fait que Taïwan fait partie de la Chine communiste, en dépit du fait avéré que ce n’est pas le cas ». Si une telle loi devait se concrétiser, ce serait un tremblement de terre politique et diplomatique. Mais nous n’en sommes pas là.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).