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Chine et États-Unis se parlent de nouveau, mais peuvent-ils éviter une guerre chaude ?

En 2015, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi avait reçu à Pékin Anthony Blinken, alors adjoint au secrétaire d'État américain de l'administration Obama. (Source : CGTN)
En 2015, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi avait reçu à Pékin Anthony Blinken, alors adjoint au secrétaire d'État américain de l'administration Obama. (Source : CGTN)
Après des mois de silence, la Chine et les États-Unis s’apprêtent enfin à reprendre langue. Le département d’État américain l’a confirmé ce mercredi 10 mars : son chef, Anthony Blinken, et le conseiller de la Maison Blanche pour la Sécurité nationale Jake Sullivan rencontreront Yang Jiechi, le plus haut responsable chinois pour la politique étrangère, de même que le ministre des Affaires étrangères Wang Yi à Anchorage, en Alasaka, la semaine prochaine. Que signifie cette reprise de contact alors que le risque de conflit armé est de nouveau évoqué par les militaires des deux pays ?
La rencontre devrait avoir lieu jeudi prochain, le 18 mars. Elle ne sera pas suivie d’autres contacts de haut niveau entre les deux pays à moins de déboucher sur « des résultats tangibles », a pris soin de préciser Ned Price, le porte-parole du Département d’État. Elle aura en outre lieu à mi-distance entre Washington et Pékin, mais aux États-Unis, ce qui n’est pas sans portée symbolique. « Il était important pour nous que cette rencontre de cette administration avec des responsables chinois se déroule sur le sol américain après que nous avons rencontré et consulté nos alliés, aussi bien en Asie qu’en Europe », a précisé Ned Price.
En outre, l’entrevue prendra place après un sommet virtuel ce vendredi 12 mars du « Quad », ce forum stratégique qui rassemble les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. Anthony Blinken reviendra alors d’une visite officielle à Tokyo et à Séoul lors de laquelle il va, selon toute probabilité, réaffirmer la solidité de l’alliance entre l’Amérique et ces deux pays voisins de la Chine.
Yang Jiechi est le chef du Bureau des Affaires étrangères du Parti communiste chois, tandis que Wang Yi est l’un des plus fidèles lieutenants du président Xi Jinping. Il n’est pas question donc, à ce stade, d’évoquer la possibilité d’un sommet entre le président chinois et son homologue Joe Biden.
Anthony Blinken et Jake Sullivan mettront à profit cette rencontre pour aborder un large éventail de questions, y compris celles sur lesquelles Washington et Pékin entretiennent « de profonds désaccords », a souligné Ned Price : « Nous serons francs dans l’explication de nos inquiétudes sur les défis que [les Chinois] posent pour la sécurité et les valeurs des États-Unis et celles de nos alliés et partenaires. »

Piège de Thucydide

Cette initiative, minutieusement préparée du côté américain, intervient alors que des responsables chinois et américains ont pris langue ces derniers jours pour expliquer leurs inquiétudes quant au risque d’une guerre chaude entre Chinois et Américains.
Dans un livre qui vient de paraître aux États-Unis, 2034 : A Novel of the Next World War, l’amiral James Stavridis, ancien commandant en chef de l’OTAN, explique comment un incident armé entre les forces navales américaine et chinoise en Mer de Chine du Sud dégénère et aboutit à une guerre totale entre les deux superpuissances. « Nous sommes en 2034 et une guerre est sur le point d’éclater. Une flotille de trois destroyers américains se fraient un passage en Mer de Chine du Sud et, à proximité du Récif Mischief, ils rencontrent un bâtiment chinois. Et c’est là que les choses partent en vrille », écrit-il.
À peu près au même moment, vendredi 5 mars, le général Xu Qiliang, plus haut responsable de l’armée chinois après Xi Jingping qui est le chef de la Commission militaire centrale, a évoqué le spectre d’un conflit avec les États-Unis. « Confrontés au piège de Thucydide et à des problèmes frontaliers, l’armée doit accélérer ses capacités, a souligné le général Xu qui est aussi l’un des 25 membres du Bureau politique du Parti communiste chinois. Nous devons enregistrer des avancées dans nos méthodes de combat et mettre à plat les fondations pour la modernisation militaire. »
Ce « piège de Thucydide » qui se met en place quand une puissance émergente vient à défier la puissance régnante, fait référence à Athènes se dressant face à Sparte lors de la Guerre du Péloponnèse dans la Grèce antique. Il est au centre d’un livre de Graham Allison, politologue et professeur émérite à Harvard, publié en 2019 en français sous le titre Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide ? L’auteur explique comment les deux grandes puissances mondiales se dirigent vers une guerre dont ils ne veulent ni l’un ni l’autre.
C’est la première fois qu’un responsable militaire chinois donne crédit à cette thèse. Xi Jinping avait rejeté cette idée en 2015, lors d’une visite à Seattle. « Il n’existe pas une telle chose appelée piège de Thucydide. Mais si certaines grandes puissances commettent régulièrement de mauvais calculs stratégiques, ils pourraient créer de tels pièges pour elles-mêmes », avait-il alors affirmé.

Invasion de Taïwan

Le 5 mars dernier, le Premier ministre chinois Li Keqiang a annoncé un budget militaire de 1 355 milliards de yuans (209 milliards de dollars) pour 2021, en hausse de 6,8 % comparé à 2020, budget qui a été en progression constante toutes ces dernières années. Il est certes très loin du budget militaire américain – 934 milliards de dollars pour 2021, soit plus que tous les budgets militaires du monde réunis -, mais il se situe au deuxième rang mondial.
Le chef du gouvernement chinois a précisé lors de son discours ouvrant la session plénière annuelle de l’Assemblée nationale populaire que ce budget permettrait à l’Armée populaire de libération (ALP) de « renforcer ses capacités de préparation au combat ».
Ce budget est, par comparaison, seize fois supérieur à celui de Taïwan qui s’élève à 13,2 milliards de dollars, en hausse de 4 % sur un an. De surcroît, ce budget officiel est jugé par les experts très inférieur au budget réel, ne prenant pas en compte notamment le coût des recherches sur de nouveaux armements. Pourquoi un tel budget ? La Chine est-elle menacée d’une invasion étrangère imminente ou même distante ? À l’évidence non. Est-ce alors pour attaquer un jour Taïwan ? Les frères de sang chinois en viendraient-ils à s’entre-tuer ?
Sur ce sujet explosif, l’amiral américain Philip Davidson, commandant en chef pour l’Asie-Pacifique, a déclaré mardi 9 mars que la Chine pourrait bien tenter d’envahir Taïwan avant la fin de la décennie, profitant de ses avancées militaires dans la région pour prendre l’avantage sur les États-Unis. « Je suis inquiet sur le fait que [les Chinois] accélèrent leurs ambitions pour supplanter les États-Unis et notre leadership dans l’ordre international d’ici 2050, a expliqué le responsable militaire américain devant la Commission des Affaires militaires du Sénat, cité par le Guardian. Taïwan est clairement l’une de leurs ambitions avant cette date. Et je crois que la menace est manifeste au cours de la prochaine décennie, en fait dans les six prochaines années. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).