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La petite musique de Joe Biden, qui s'engage à "protéger" Taïwan en cas d'attaque chinoise

Le président Joe Biden sur le plateau de CNN, le 21 octobre 2021. (Source : SCMP)
Le président Joe Biden sur le plateau de CNN, le 21 octobre 2021. (Source : SCMP)
Les États-Unis défendront Taïwan en cas d’attaque déclenchée par la Chine communiste. La déclaration du président Joe Biden ce jeudi 21 octobre à Washington marque-t-elle un virage complet de l’Amérique ? Jusque-là, les administrations américaines successives s’étaient contentées de fournir des armes à l’ancienne Formose pour lui permettre de se défendre en cas de tentative d’invasion. Les propos du dirigeant américain ont toutefois été nettement modérés par la Maison Blanche quelques heures plus tard, et surtout par le chef du Pentagone. Que faut-il comprendre ?
Lors d’une rencontre organisée par CNN, un journaliste a posé la question au locataire de la Maison Blanche : « Pouvez jurer de protéger Taïwan ? Serez-vous à même de tenir le rythme du développement militaire chinois ? » La réaction du président ne s’est pas fait attendre : « Oui et oui », répondant par l’affirmative aux deux questions. « Il n’est pas besoin de s’inquiéter de savoir s’ils [la Chine et la Russie] vont devenir plus puissants. La Chine, la Russie et les reste du monde savent que nous sommes la plus grande puissance militaire dans l’histoire du monde. » Juste après ces propos, Joe Biden a été interrogé une deuxième fois par Anderson Cooper, le présentateur vedette de CNN : les États-Unis défendraient-ils Taïwan dans le cas d’une agression militaire chinoise ? « Oui, nous nous sommes engagés à le faire », a-t-il répondu de façon lapidaire.
Peu après, un porte-parole de la Maison Blanche s’est employé à modérer les déclarations du président, soulignant que les États-Unis n’avaient « pas annoncé de changement dans notre politique » sur la question. Comprendre : Washington garde sa politique dite « d’ambiguïté stratégique ». Les États-Unis reconnaissent la République populaire de Chine depuis 1979, date à laquelle Washington avait dans le même temps rompu ses relations diplomatiques avec Taipei. Depuis, ils livrent des armes à Taïwan sans dire clairement s’ils interviendraient militairement pour empêcher toute invasion chinoise de l’île. Cependant, doit-on en rester au démenti officiel ? C’est tout de même la deuxième fois en deux mois que Joe Biden dit explicitement que l’armée américaine volerait au secours de Taïwan pour protéger son autonomie de facto. La première fois aussi, la Maison Blanche avait aussitôt après déclaré que la politique américaine sur Taïwan « n’avait pas changé ».
Le chef du Pentagone, Lloyd Austin a, quant à lui, assuré ce vendredi 22 octobre que les États-Unis continueraient certes de soutenir les forces taïwanaises, mais ceci tout en refusant aussitôt de confirmer les propos de Joe Biden sur un « engagement » de Washington à défendre militairement l’île en cas d’attaque de la Chine. « Comme nous l’avons fait dans le passé sous de multiples administrations, nous continuerons d’aider Taïwan avec toutes les sortes de capacités militaires dont il aurait besoin pour se défendre lui-même, a déclaré devant la presse le secrétaire américain à la Défense, au siège de l’OTAN à Bruxelles. Donc, nous restons concentrés sur ces mesures. Et je ne vais m’engager dans des spéculations d’aucune sorte en ce qui concerne Taïwan. Personne ne veut voir les tensions dans le détroit de Taïwan mener à des affrontements, certainement pas le président Biden. »
Selon le New York Times, cette contradiction apparente entre le président et son adminstration contient un message adressée à la Chine. Joe Biden exprimerait ainsi sa volonté de durcir le ton à son égard afin de contrer les nouvelles capacités chinoises. Celles-ci permettraient à Pékin d’étrangler Taïwan par des moyens plus subtiles qu’une pure et simple invasion, comme couper ses câbles sous-marins, ses connections internet ou son approvisionnement maritime en gaz naturel liquide. L’administration Biden n’est pas prête à abandonner tout suite officiellement « l’ambiguïté stratégique » pour une « clarté stratégique », comme le demandent certains « faucons » de Washington. Ce qui manifestement n’empêche pas le président démocrate de jouer une petite musique plus ferme, dans le but de décourager la Chine de « réunifier » Taïwan au Continent par la force.

L’Otan botte en touche, Taipei se réjouit, Pékin ne bronche pas

De son côté, interrogé sur le risque de voir les forces de l’OTAN entraînées dans un potentiel conflit américain avec la Chine, le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, s’est refusé, lui aussi, à spéculer sur une situation hypothétique. « Ce qui importe, pour l’heure, c’est de réduire les tensions dans la région. Si je commence à spéculer, cela contribue au contraire à les exacerber », a-t-il fait valoir, appelant à un règlement des différends par des moyens politiques et diplomatiques.
Réagissant à ces dernières déclarations, le palais présidentiel à Taipei a réitéré que Taïwan était déterminé à ne jamais plier face aux mesures d’intimidations de Pékin qui, ces derniers mois, se sont intensifiées. « Taïwan démontrera sa ferme détermination à se défendre », a expliqué vendredi Xavier Cheng, un porte-parole de la présidente Tsai Ing-wen. Les États-Unis démontrent une nouvelle fois leur soutien « solide comme le roc » à Taïwan, s’est-il réjoui.
La Chine n’a pas encore officiellement réagi à ces déclarations de Joe Biden, bien que l’ambassadeur de Chine à Washington Zhang Jun a accusé les États-Unis d’actions « dangereuses qui conduisent à plonger la situation du détroit de Taïwan dans une mauvaise direction ».

Risques de guerre grandissants

Le risque d’une guerre à Taïwan est devenu ces derniers mois un sujet extrêmement sensible entre Pékin et Washington. Les déclarations américaines sur cette question deviennent peu à peu plus explicites, alors que les menaces de Pékin sur l’île rebelle se font de plus en plus insistantes.
Dans le même temps, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, pour ne citer que ces pays, ont eux aussi pris position dans le sens d’un soutien militaire à Taïwan en cas d’agression chinoise. Tokyo, en particulier, a clairement déclaré par la voix de son ancien Premier ministre Yoshihide Suga qu’une invasion de Taïwan par la Chine constituerait une « menace vitale » pour le Japon et sa population. Son ministre de la Défense était allé un peu plus loin en promettant l’appui logistique de l’armée japonaise à la flotte aérienne et maritime américaine en cas de conflit armé à Taïwan. Même musique à Séoul. La Corée du Sud, dont les forces armées bénéficient d’avancées technologiques majeures ces derniers mois, a pris une position voisine, tout comme l’Australie et même la Nouvelle-Zélande.
Des interrogations majeures subsistent sur les intentions de Xi Jinping à l’égard de l’île peuplée de plus de 23 millions d’âmes. Le président chinois a plusieurs fois menacé d’utiliser la force contre Taïwan pour le cas où l’ancienne Formose devait persister dans son refus de négocier les termes de sa réunification au continent chinois. Ces derniers mois, Xi, qui est aussi le chef de la Commission militaire centrale de son pays, n’a cessé de souffler le chaud et le froid, alternant les déclarations belliqueuses et celles plus apaisantes, sans jamais franchir le pas d’une véritable menace de déclaration de guerre imminente. Nombre d’experts sont aujourd’hui d’avis que le chef de l’État chinois ne donnera probablement jamais l’ordre à l’Armée populaire de libération (APL) de donner l’assaut contre Taïwan, sachant pertinemment que l’APL aurait alors de fortes chances de perdre la guerre ou de remporter une victoire à la Pyrrhus.

Puissance de feu américaine

Car la Chine n’ignore pas la puissance de feu de l’armée américaine qui demeure considérable sur le théâtre de l’Indo-Pacifique, tant dans les domaines maritime, aérien, que dans dans le renseignement, dans les capacités américaines à paralyser l’ennemi par des techniques de leurre et de contre-mesures très sophistiquées. Or une défaite de l’armée chinoise aurait de fortes chances de provoquer rapidement l’effondrement du Parti communiste chinois et, avec lui, la disparition de Xi Jinping de la scène politique du pays.
En outre, les forces armées taïwanaises ont, elle aussi, entrepris depuis des années un effort considérable de modernisation pour être en mesure de résister à une attaque chinoise. Sans pouvoir réellement paralyser une tentative chinoise d’envahir Taïwan, elle serait en mesure de tenir tête à l’envahisseur plusieurs jours, suffisamment longtemps pour permettre aux forces armées américaines d’entrer dans le conflit, suivies par celles du Japon, de la Corée du Sud et de l’Australie.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).