Economie
Analyse

Avec sa croissance en berne, la Chine restera-t-elle le moteur de l’économie mondiale ?

L'économie chinoise est-elle en train de prendre l'eau à la manière des inondations de Zhengzhou en juillet 2021 ? (Source : Barrons)
L'économie chinoise est-elle en train de prendre l'eau à la manière des inondations de Zhengzhou en juillet 2021 ? (Source : Barrons)
Mauvaise nouvelle à Pékin : la croissance du PIB chinois a chuté à 4,9 % au troisième trimestre 2021, bien en-dessous des attentes des experts et la plus mauvaise performance depuis des années. Un chiffre qui sonne l’alarme sur les risques de stagflation et qui pourrait bien remettre en question le postulat selon lequel la Chine est la locomotive de la croissance économique mondiale.
Ces chiffres du Bureau national des statistiques chinois (BNS) sont à comparer avec une croissance de 7,9 % au second semestre et même 18,3 % pour la période de janvier à mars 2021. Un score qu’avait permis une sortie de pandémie du Covid-19 dans de bonnes conditions sur le plan industriel. La Chine était alors perçue comme le pays qui s’en était le mieux sorti parmi les grandes économies du globe.
Souvenons-nous. Bien que sévèrement touchée par la pandémie apparue dans la ville chinoise de Wuhan fin 2019, la Chine avait été la seule grande économie du monde à afficher une croissance insolente en 2020 (+2,3 %). Résultat qui confortait les prédictions de certains analystes selon qui la Chine allait immanquablement devenir la première puissance économique du monde aux alentours de 2028, dépassant alors le PIB des États-Unis.
Or d’autres statistiques poussent les économistes à s’inquiéter sur la santé de la machine économique du pays. C’est ainsi que la production industrielle chinoise a déçu le marché avec une croissance d’à peine 3,1% en septembre comparée à septembre 2020 – contre 5,3% en août. De son côté, l’inflation augmente à un rythme inquiétant. En revanche, les ventes au détail ont fait mieux que prévu : elles ont progressé de 4,4 %, mieux qu’en août (+2,5 %) et plus qu’anticipé par Bloomberg (+3,5 %).

Pénurie d’électricité et production de charbon en baisse

Certes, il y a des raisons à ce ralentissement de l’économie. Parmi elles, une grave pénurie d’électricité qui, depuis le début de l’automne, affecte les usines chinoises et l’ensemble du secteur manufacturier. Cette pénurie en électricité avait contraint plusieurs provinces à imposer des rationnements, engendrant des coupures d’électricité dans les logements et les usines. Parmi les usines affectées, celles produisant du ciment, de l’acier et de l’aluminium, particulièrement importants pour l’économie du pays. « Cette chute dans le secteur manufacturier semble partie pour s’aggraver encore », a estimé l’économiste de Capital Economics Julian Evans-Pritchard, cité par la BBC.
S’ajoute le scandale immobilier causé par la quasi-faillite du géant Evergrande et de plusieurs autres promoteurs importants du pays qui alimente la crainte de voir la bulle immobilière exploser, avec des risques de contamination à d’autres secteurs de l’économie du pays. Par ailleurs, la production de charbon a dramatiquement chuté à cause des inondations records dans la province du Shaanxi qui, à elle seule, produit 30% du combustible dans tout le pays. Les autorités avaient également décidé de réduire la production de charbon des grandes centrales dans le but diminuer les émissions de gaz à effet de serre et de se conformer ainsi aux engagements de la Chine en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
« Depuis le début de l’année, les prix de l’énergie ont grimpé de façon significative sur les marchés internationaux, en particulier ceux du gaz naturel et du pétrole qui ont atteint des sommets sans précédent, ceci alors que l’offre intérieure chinoise d’électricité et de charbon se contracte », a souligné ce lundi 18 octobre Fu Linghui, un porte-parole du BNS, cité par South China Morning Post. Toute une série de facteurs ont conduit à ce rationnement [d’électricité] dans certains endroits du pays, ce qui a évidemment eu un impact sur le production. »
Autre sujet d’inquiétude : les investissements dans les infrastructures, des biens et services, et des équipements en machines n’ont augmenté que de 7,3 % pour la période de janvier à septembre, comparé à la même période de 2020, là encore un chiffre inférieur aux attentes du marché.

Conséquences pour l’économie mondiale

En attendant une embellie à Pékin, l’annonce du recul de la deuxième économie mondiale avait immédiatement pesé sur les bourses internationales dans la journée de lundi. Elles se sont depuis nettement reprises.
Tout ceci mène à la grande question : la Chine entre-t-elle dans une période de stagflation qui se produit quand une économie est touchée à la fois par une faible croissance, une inflation forte et un chômage en hausse. Certains économistes chinois, cités par le journal de Hong Kong, le pensent. « Les chiffres du troisième trimestre renforcent la crainte d’un risque accru de stagflation, déclare ainsi Zhang Zhiwei, chef économiste du groupe Pinpoint Asset Management. Cependant, le taux de chômage est plutôt en recul, ce qui est étonnant. »
Pour Woei Chen-Ho, économiste de la United Overseas Bank de Singapour, la pénurie dans le secteur de l’énergie et la crise immobilière risquent fort d’amener à une révision des prévisions du gouvernement chinois pour la croissance en 2021. « Les chiffres que nous constatons sont en réalité beaucoup plus faibles que ce à quoi nous nous attendions, souligne-t-il dans une interveiw à la BBC. Je pense que le quatrième trimestre verra une croissance encore plus faible en raison de la pénurie dans le secteur de l’énergie. »
D’autre économistes chinois, tel Shen Xinfeng de la société de courtage Northeast Securites, sont d’avis que la Chine va probablement évoluer dans un état de « quasi-stagflation » dans les derniers mois de 2021. Autrement dit, elle sera confrontée à des coûts de production en hausse et une hausse modérée des prix à la consommation, mais à une croissance durablement ralentie.
Que se passerait-il si un tel ralentissement durable de la croissance entravait le moteur de l’économie mondiale qu’est la Chine ? L’interdépendance est telle qu’un ralentissement continu et brutal causerait un vent de panique partout sur la planète, souligne le site Quartz. En 20é0, les investisseurs étrangers détenaient près de 3,5 % des capitaux propres et du marché obligataire chinois. Le pourcentage est faible en apparence, mais il correspond à des centaines de milliards de dollars. En retour, la Chine est l’un des plus gros acheteurs de bons du Trésor américain. Si elle ralentissait les achats de ces bons, les États-Unis devriaient attirer d’autres clients en relevant leurs taux d’intérêt, ce qui affecterait les taux dans toute l’économie américaine. Selon un étude de l’Asian Development Bank, un choc négatif de croissance en Chine frapperait de plein fouet les économies émergentes en Asie et les autres pays de BRICS, et cela bien plus fort que les économies occidentales.

Pékin veut rassurer

Cependant, plusieurs responsables officiels se sont efforcés de modérer ces inquiétudes. À l’instar de Yao Jingyuan, membre du bureau des conseillers du Conseil d’État, pour qui il n’y a pas de raison de s’inquiéter outre mesure. « La Chine ne va pas connaître d’inflation significative et encore moins une hyperinflation car nous ne trouvons pas les bases pour un tel phénomène », a-t-il assuré. L’une des solutions, selon lui, sera pour les autorités de stabiliser les revenus des ménages et de veiller à éviter une inflation trop forte, ce qui pourrait alors permettre d’assouplir la politique monétaire du pays.
En visite à la grande foire commerciale de Canton, le 15 octobre, le Premier ministre Li Keqiang s’était, lui aussi, voulu rassurant. « La Chine a les outils adéquats pour faire face aux défis économiques que le pays connaît […] et devrait être en mesure d’atteindre un taux de croissance de plus de 6 % », a-t-il déclaré, reconnaissant cependant que l’économie faisait doit affronter de « nombreux facteurs d’instabilité et d’incertitude ».
Face au mouvement de panique qu’avait engendré la pénurie d’électricité, Pékin avait dû début octobre faire volte-face sur sa décision de réduire la production d’électricité des grandes centrales à charbon du pays. Le gouvernement s’est donc depuis résigné à inciter les compagnies minières chinoises à produire à nouveau autant que faire se peut. Pour les encourager, les autorités ont même partiellement libéralisé les prix de l’électricité, permettant aux producteurs de la vendre à un tarif 20 % plus élevé que celui imposé par le régulateur. Les factures d’électricité vont donc augmenter, alimentant une inflation déjà repartie à la hausse
Jusqu’en 2016, la Chine avait connu des taux de croissance à deux chiffres impressionnants. Un « miracle économique » suscité par les grandes réformes initiées à partir de 1978 par Deng Xiaoping. Mais depuis cette date, la croissance du PIB chinois avait déjà ralenti, oscillant entre 6 et 7 %. En raison de la pandémie, la croissance avait connu un trou d’air au premier trimestre de 2020 avec une croissance négative de -6,8 %.
Il y a quelques jours, le Fonds monétaire international (FMI) avait, le premier, lancé un avertissement sur une croissance ralentie, révisant légèrement à la baisse (8 % au lieu de 8,1 % précédemment) sa prévision de croissance chinoise pour l’année 2021. Le gouvernement de Pékin, lui, a toujours fait preuve de prudence, avec une prévision de croissance de « plus de 6 % » cette année.
Il reste que la Chine demeure, contre vents et marées, un pays prisé par les investisseurs étrangers. C’est ainsi que les investissements directs étrangers se sont élevés à près de 114 milliards de dollars sur les huit premiers mois de l’année. Ils avaient atteint environ 144 milliards de dollars sur l’ensemble de l’année 2020. Selon les spécialistes, 2021 pourrait constituer un nouveau record.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).