Politique
Entretien

Tenzin Dekyi, exilée tibétaine : "Contribuer à une prise de conscience sur le Tibet d'aujourd'hui"

Tenzin Dekyi : "J’espère que mes recherches pourront contribuer à une prise de conscience de la communauté internationale sur la situation actuelle au Tibet." (Crédit : Tenzin Dekyi)
Tenzin Dekyi a 25 ans. Diplômée de Sciences Po Paris, elle fait partie de ces quelque 100 000 Tibétains de l’exil. Elle représente aujourd’hui un espoir pour l’élite tibétaine. Pierre-Antoine Donnet, journaliste et auteur de Tibet mort ou vif, s’est entretenue avec elle.

Contexte

En 1962, vingt enfants tibétains débarquent discrètement à Orly sans leurs parents. Un projet du Dalaï-lama, ficelé dans le plus grand secret en accord avec le plus haut sommet de l’État français, y compris le général de Gaulle. La République française estimait qu’il fallait former ces gamins pour qu’ils deviennent un jour les cadres d’un Tibet indépendant. Aujourd’hui plusieurs milliers de réfugiés tibétains vivent en France, pour certains des demandeurs d’asile qui ont fuit récemment la situation critique à l’intérieur du Tibet, envahi en 1950 par l’Armée populaire de libération chinoise.

Le 10 mars dernier marquait le 62ème anniversaire de l’insurrection des Tibétains contre la domination de Pékin en 1959. La répression de cette rébellion a permis à la Chine de consolider son contrôle du plateau tibétain et a conduit aux nombreuses violations des droits de l’homme dans les décennies qui ont suivi. Aujourd’hui, le gouvernement chinois a lancé de grands projets d’infrastructures pour relier davantage la région au reste de la Chine. Dans le même temps, selon un rapport d’Adrian Zenz, chercheur spécialiste du Tibet et du Xinjiang, publié en 2020 par la Jamestown Foundation, les autorités appliquent les méthodes mises en place pour les Ouïghours : elles retirent des milliers de fermiers et d’éleveurs tibétains de leur vie traditionnelle et les forcent à suivre des « formations professionnelles » dans un cadre militarisé, avant de les envoyer en groupes faire un nouveau travail loin de chez eux.

D’où venez-vous ?
Tenzin Dekyi : Je suis née dans la petite ville de Dehradun dans le nord de l’Inde. J’ai passé toute mon enfance dans cette ville et j’ai été élève dans une école tibétaine dans cette ville avant de rejoindre Ahmedabad, dans l’ouest de l’Inde pour mes études secondaires.
Vos parents sont-ils toujours en Inde ?
Oui. Ma mère est née au Népal et mon père en Inde. Mes grands-parents avaient quitté le Tibet pour l’Inde.
Après vos études en Inde, qu’avez-vous fait ?
Après avoir étudié en Inde, j’ai poursuivi mes études à Sciences Po Paris à partir de 2014. J’ai ensuite commencé un Bachelors of Arts, que j’ai terminé en 2017, toujours à Sciences Po, puis j’y ai obtenu un Master en économie en 2019.
Où travaillez-vous aujourd’hui ?
Je travaille actuellement à l’OCDE en tant que consultante extérieure. L’OCDE est vraiment l’endroit où je voulais travailler. Mais je ne peux le faire sur une base permanente car je n’ai pas la citoyenneté d’un pays membre de cette organisation. Dans l’avenir, si je suis en mesure d’obtenir la citoyenneté française, j’adorerais continuer à y travailler. Sinon je continuerai à candidater pour d’autres emplois en France. Je suis intéressée par une carrière dans l’économie et je suis tout particulièrement attirée par le développement économique.
Qui sont les Tibétains en exil vivant à Paris et comment vivent-ils la situation actuelle au Tibet ?
Il y a beaucoup de Tibétains qui ont choisi la France comme refuge. Nombreux sont ceux qui se voient contraints de fuir leur pays en secret, pour éviter la prison ou d’autres situations terribles et trouver à l’étranger une meilleure éducation. Ils arrivent d’abord au Népal pour ensuite rejoindre d’autres pays. Beaucoup d’entre eux quittent le Tibet seuls, en laissant derrière eux leur famille, poussés par le désespoir. Beaucoup d’entre eux sont des jeunes. C’est souvent leurs familles qui les poussent à partir pour trouver une meilleure vie à l’étranger. C’est souvent un acte de désespoir. Ceux qui partent sont gagnés par la tristesse. Mais plus tard, ils trouvent réconfort et espoir au contact des Tibétains de l’exil. Bien souvent, ils se joignent à eux pour travailler ensemble pour renforcer les connaissances à l’étranger sur la situation actuelle à l’intérieur du Tibet.
Quelle inspiration trouvez-vous au contact de l’élite tibétaine en exil ?
Cette élite fait de son mieux pour mettre à profit ses connaissances pour le Tibet de demain. Peut-être pourrais-je un jour ajouter ma propre contribution à ce combat.
Que pensez-vous pouvoir faire pour le Tibet à l’avenir ?
Je vais certainement m’employer à continuer de répandre les connaissances sur l’avenir de la culture et la situation politique du Tibet. Il y a toujours avantage à apprendre pour moi-même aussi. Je suis intéressée au développement économique et j’ai donc l’intention d’écrire et de réaliser des recherches sur le développement de la communauté tibétaine en exil. Et, avec un peu d’espoir, à l’intérieur du Tibet. Je veux continuer mes recherches dans ces domaines. J’espère qu’elles pourront contribuer à une prise de conscience de la communauté internationale sur la situation actuelle au Tibet.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle à l’intérieur du Tibet ?
Je sais qu’elle est très difficile. Ma mère a encore de la famille au Tibet. Il est très difficile d’entrer en relation avec elle. Il y a très peu de liberté. Il est très difficile pour eux de communiquer avec le monde extérieur. Beaucoup de Tibétains à l’intérieur du Tibet ont de la famille à l’étranger. Mais il leur est très difficile de communiquer avec eux, sans parler de pouvoir évoquer la politique.
Comment voyez-vous le travail réalisé par le gouvernement tibétain en exil à Dharamsala ?
Ce travail est crucial pour maintenir notre culture, nos traditions, nos valeurs. Il contribue également grandement à la prise de conscience à l’étranger sur la situation actuelle au Tibet. Ils s’emploient en outre à contribuer à une meilleure vie pour les Tibétains en exil. Il contribue également à instruire les Tibétains de l’exil à mieux comprendre les valeurs que sont la démocratie et les droits de l’homme.
Comment trouvez-vous du réconfort dans votre vie quotidienne ?
L’enseignement du Dalaï-lama est celui de la compassion, de la non-violence. Dans ce moment troublé, il est important de garder à l’esprit la non-violence, la compassion et le dialogue. Nous serons un jour récompensés pour ces efforts.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).